Régimes et syndrome de l’intestin irritable
Objectifs pédagogiques
- Pourquoi envisager un régime au cours du SII ?
- Connaître le principe, la place et les limites du régime enrichi en fibres, du régime sans gluten, du régime pauvre en FODMAPs
Introduction
Le syndrome de l’intestin irritable (SII), qui associe des douleurs abdominales et/ou un inconfort et des troubles du transit, est un motif fréquent de consultation en médecine générale ou chez les gastroentérologues. Le SII touche 5 % de la population en France, et peut être responsable d’une altération de la qualité de vie aussi importante que celle de maladies chroniques telles que le diabète insulinodépendant, l’insuffisance rénale terminale ou la maladie de Crohn. Les mécanismes physiopathologiques des symptômes, notamment des douleurs, sont multiples, parmi lesquels on retrouve des troubles de la motricité digestive, une hypersensibilité viscérale, une micro-inflammation intestinale (avec un rôle de la flore intestinale et des troubles de la perméabilité) et des anomalies dans les contrôles centraux (médullaires et corticaux) de la douleur. Un rôle de l’alimentation est également suggéré. Compte tenu de l’efficacité modérée des traitements médicamenteux disponibles [1], l’utilisation d’une stratégie non médicamenteuse, qui serait basée sur des conseils diététiques, paraît intéressante chez les patients avec SII.
Rôle de l’alimentation
Les patients remarquent souvent eux-mêmes un lien temporel ou une exacerbation des symptômes en rapport avec l’alimentation [2]. Ainsi dans une étude réalisée en Suède chez 330 patients, 64 % des patients déclaraient que leurs symptômes étaient en relation avec l’alimentation (pour 28 % les symptômes survenaient dans les 15 minutes suivant le repas et pour 93 % dans les 3 heures suivant le repas). Dans cette même étude, 51 % des patients identifiaient un aliment responsable [3] et les aliments qui donnaient le plus fréquemment des symptômes digestifs étaient pour les produits d’origine animale : la crème (37 %), le plus souvent responsable de douleurs et selles liquides et le lait (30 %) ; pour les fruits et végétaux : le chou (57 %), l’oignon (56 %) et les pois et haricots (46 %) le plus souvent responsables de gaz, de douleur et de distension ; parmi les autres produits on retrouvait : les épices fortes (45 %), les aliments frits (44 %, responsable de dyspepsie et de douleurs), la pizza (44 %, responsables de douleur, de dyspepsie et de selles liquides), les produits fumés (35 %, responsables de dyspepsie et de douleur), l’alcool (33 %, responsable de selles liquides) et le café (39 %, responsable de reflux, de dyspepsie et de selles liquides). Dans cette étude enfin, un « score de repas », qui comprenait le nombre d’aliments responsables et la sévérité des symptômes, n’était pas lié ni au type de SII (selon le type de trouble du transit prédominant) ni au fait que les patients soient suivis en médecine de ville ou dans un centre tertiaire mais était majoré chez les femmes et en cas d’anxiété plus importante [3].
L’influence de l’alimentation est également suggérée par les résultats d’une étude rétrospective japonaise qui a montré un bénéfice d’un jeûne de 10 jours suivi d’une réalimentation par rapport à un traitement « standard » (alimentation normale, médicament et psychothérapie) sur différents symptômes digestifs (douleur, ballonnement, diarrhée) et sur la qualité de vie [4]. Dans une autre enquête japonaise réalisée sur internet chez 15 000 participants et qui avait identifié un SII chez 13,1 % des sujets, la consommation régulière de 3 repas quotidiens était plus rare chez les SII symptomatiques que chez les non symptomatiques. Une appétence pour la viande et la consommation de légumes était inférieure chez les SII symptomatiques ainsi que l’existence d’un bon appétit régulier (28 % SII symptomatiques contre 45 % des non symptomatiques) [5].
Habitudes alimentaires des patients avec SII et conséquences des régimes
La réalisation d’un régime est fréquente chez les patients avec SII, ainsi dans une enquête réalisée en France en 2013 chez 222 adhérents de l’APSSII (Association des Patients Souffrant du Syndrome de l’Intestin Irritable, www.apssii.org) 46 % des répondants déclaraient suivre un régime au moment de l’étude. Différentes études se sont intéressées aux conséquences potentielles en terme d’apport calorique ou d’éventuelles carences. Dans une étude réalisée aux USA en 2005 [6], la charge calorique, la quantité de graisse, d’hydrate de carbones et de protéines étaient similaires entre 99 patients (avec SII et ou dyspepsie) et 119 sujets contrôles. Seule la répartition des calories était différente avec moins de calories sous forme d’hydrates de carbone et plus sous forme de graisses. Ceci n’a cependant pas été confirmé dans une étude anglaise réalisée à la recherche de carences chez les patients qui réalisent souvent des régimes d’exclusion, retrouvant même un ratio inverse des graisses et des hydrates de carbone dans la répartition des calories [7]. Dans cette dernière étude chez les 104 patients qui avaient rempli un « Food Frequency Questionnaire » (questionnaire alimentaire rétrospectif sur 12 mois), il n’y avait pas de différence par rapport aux recommandations nutritionnelles anglaises destinées aux adultes, notamment pas de carence en calcium, vitamine C, folates et riboflavine et il n’existait pas de différence selon le type de SII (SII-C, SII-D ou SII-A). Dans une autre étude réalisée en Suède chez 187 patients (avec questionnaire alimentaire sur 4 jours), les apports n’étaient pas non plus significativement différents comparés à ceux de la population générale et des recommandations suédoises et ils n’étaient pas différents selon le sous-type (SII-C, SII-D,SII-M), la sévérité ou le niveau d’anxiété [8]. Dans cette étude, les apport en vitamines étaient variables avec des niveaux d’apport quotidien plus élevés que les recommandations pour la vitamine E, les folates, le fer, la vitamine C et les fibres mais des apports quotidiens plus faibles pour la vitamine A, la riboflavine, le calcium et le potassium. Une étude norvégienne qui rapportait une fréquence élevée des évictions (62 % des sujets), identifiait des apports inadéquats dans 12 % des cas avec chez 3 patients une charge calorique insuffisante avec amaigrissement, des évictions exagérées de produits contenant des lipides et des risques des carences vitaminiques chez 7 patients [9]. Dans la même population, une étude plus récente constate une moindre consommation de produits laitiers, une consommation accrue d’eau, de thé, de boissons gazeuses chez les patients atteints de SII [10]. Une enquête cas-témoins coréenne ayant identifié un SII chez 29 % des 319 étudiants interrogés (critère Rome III) a retrouvé des apports comparables en glucides, lipides, protéines et micronutriments chez les sujets avec ou sans SII, l’ensemble des apports étant d’ailleurs voisin des apports recommandés [11]. L’effet des conseils diététiques sur les modifications à long terme de l’alimentation a été étudié au cours d’une enquête cas-témoins norvégienne réalisée chez des patients avec SII ayant bénéficié pour certains de conseils diététiques sur 2 ans (éviction de certains aliments) et chez des témoins recrutés parmi le personnel de l’hôpital [12]. À 2 ans, les apports en glucides, lipides, protides étaient comparables, cependant la consommation de produits lactés était moindre chez les patients avec SII sans conseils diététiques par comparaison aux contrôles et aux patients avec SII ayant reçu les conseils diététiques. Une consommation majorée de lait de soja et moindre de riboflavine était notée chez les SII symptomatiques non conseillés. Une moindre consommation de pâtes, riz, couscous et légumes était notée chez les SII symptomatiques par rapport aux contrôles [12].
Allergie ou intolérance alimentaire et régimes d’évictions
Un aliment unique est rarement incriminé comme facteur déclenchant des douleurs et l’existence d’une allergie alimentaire authentique semble peu fréquente, cependant des intolérances à certains aliments ont été décrites. Une authentique hypersensibilité, confirmée par un test d’activation des basophiles in vitro, a été retrouvée chez 20 % des patients [13]. Il existe une littérature abondante sur l’utilité des anticorps pour le diagnostic d’intolérance alimentaire chez les patients avec SII. Dans une étude réalisée chez des sujets sains et des patients avec dyspepsie ou SII, le dosage des IgE totales semblait moins intéressant que celui des IgG spécifiques pour le diagnostic d’intolérance alimentaire et aucun de ces dosages n’était corrélé à la sévérité de la maladie [14]. Un régime d’exclusion basé sur le résultat des IgG montrait une amélioration sur les symptômes du SII et sur la compliance rectale dans une étude ouverte [15]. Dans une autre étude anglaise randomisée en double aveugle [16], l’exclusion d’aliments basée sur la base des dosages d’IgG (identification d’un panel de 29 allergènes) s’accompagnait d’une amélioration des symptômes supérieure à celle observée avec des conseils diététiques sans éviction des allergènes identifiés par les résultats des tests, ces résultats étaient renforcés par une bonne compliance au régime. C’est sur la base de ces études que de nombreux patients se voient recommander de baser un régime d’exclusion sur les résultats des anticorps. Cependant, il existe de nombreux biais qui doivent faire remettre en cause ces résultats, ainsi 100 % des patients avaient au moins un IgG positif, ce qui est évidemment supérieur à la réalité de la prévalence des intolérances basée sur un interrogatoire. On note aussi que, malgré une randomisation, les types d’IgG étaient différents dans les 2 groupes (ex : 86 % pour la levure dans le groupe régime avec éviction vs 0 % dans le groupe régime sans éviction, ce qui pourrait expliquer des résultats différents). La différence observée dans cette étude pourrait aussi s’expliquer par effet propre du régime sans rôle de l’allergie, ainsi dans le groupe régime avec éviction on recommandait l’exclusion du lait chez 84 % des patients et du blé chez 49 % contre seulement 1 % et 8 % des patients du groupe régime sans éviction. Une autre étude cas-témoin récente réalisée chez 269 patients avec SII et 277 sujets sains suggère qu’il est peu probable que les IgG et IgG4 soient responsables de l’hypersensibilité en rapport avec l’alimentation et notamment la levure, mais reflètent plutôt le régime alimentaire des patients [10]. L’association entre le niveau de certaines IgG et la sévérité de la maladie traduit également un changement dans les pratiques alimentaires quand la maladie est plus sévère [10]. Dans une étude norvégienne réalisée chez 84 patients, dont 70 % avaient des symptômes liés avec l’alimentation et limitaient ou excluaient certains aliments, la perception de cette intolérance alimentaire n’était pas reliée au résultat des tests d’allergie ou de malabsorption [9]. Compte tenu de ces résultats, les conseils de pratique de la SNFGE pour la prise en charge du SII ne recommandent pas d’utiliser les résultat des dosages d’IgG pour baser des conseils diététiques (cf. conseil de pratique SNFGE 2013). Qui plus est, ces tests sont onéreux et non pris en charge par la CPAM.
Rôle des lipides
Certains mécanismes par lesquels l’alimentation provoque les symptômes du SII pourraient n’être présents que chez les patients. Ainsi il a été décrit chez des patients avec SII que les repas riches en graisses pouvaient augmenter les symptômes et qu’une perfusion duodénale de lipides entraînait une hypersensibilité viscérale colique (abaissement des seuils de douleur et d’inconfort) aussi bien chez des patients avec SII-D et SII-C [17]. Cependant cet effet sensibilisant de la perfusion de lipides n’était significativement différent de celui observé chez les sujets sains que chez les patients avec SII-D, mais pas chez ceux avec SII-C. Cette perfusion de lipide peut aussi provoquer une rétention de gaz à l’origine de douleurs et ballonnements sans différence selon les différents sous-types SII-D ou SII-C [18]. Une réponse colique au repas anormale a également été décrite chez les patients[19].
Rôle des fibres
Un apport majoré en fibres a été classiquement proposé aux patients atteints de SII. Les fibres ne sont efficaces que dans les formes de SII avec constipation. Si on veut augmenter l’apport en fibres alimentaires (supplémentation de 20-40 g), cette augmentation doit être progressive sur une dizaine de jours. L’effet thérapeutique des fibres chez les patients atteints de SII a fait l’objet d’une méta-analyse en 2008, incluant 12 essais comparatifs avec soit un placebo, soit un régime pauvre en fibres [20]. Globalement, l’effet des fibres est à la limite de la significativité (risque relatif ou RR 0,87, intervalle de confiance à 95 % ou IC 95 % 0,76-1,00). Seule, l’ispaghula a un effet bénéfique net (6 études), avec un RR de 0,78 (IC 95 % 0,63-0,96). Dans une revue systématique de la littérature [21] et dans une étude réalisée chez des patients suivis en médecine générale [22], les fibres solubles (psyllium, ispaghula, gomme guar…) entraînaient une amélioration symptomatique, à l’inverse des fibres insolubles, comme le son de blé, qui aggravaient les ballonnements. Une méta-analyse plus récente incluant 12 études (621 patients) portant sur des régimes riches en fibres n’a retrouvé d’effet bénéfique, ni pour les fibres solubles, ni pour les fibres insolubles [23]. Le rôle prébiotique des fibres solubles reste discuté.
Régime sans gluten
Une association avec la maladie cœliaque a été décrite dans certaines études (0-3 %) [24] mais la coexistence réelle des deux maladies est rare, ne justifiant pas un régime sans gluten en l’absence de maladie cœliaque avérée. La recherche d’une maladie cœliaque par le dosage des anticorps antitransglutaminase est recommandée en cas de SII à prédominance diarrhéique ou dans les formes avec alternance diarrhée et constipation [1]. Les études qui retrouvent des cas de maladie cœliaque chez des patients avec SII sont le plus souvent des études sur questionnaires et/ou chez des patients suivis en médecine interne et avec des cas de SII non confirmé par un spécialiste en consultation. Ces cas pourraient correspondre au croisement de manifestation communes digestives chez des patients avec authentique maladie cœliaque [25]. Des éléments récents plaident cependant pour une amélioration possible des symptômes chez certains patients en rapport avec une « hypersensibilité au gluten » sans maladie cœliaque. Dans une étude anglaise récente, cette « hypersensibilité » était plus fréquente chez les patients avec SII que dans la population générale (20 % vs 3,89 %) [26]. Dans une étude randomisée réalisée chez 34 patients sans maladie cœliaque et avec amélioration sous régime sans gluten, après réintroduction à l’aveugle du gluten, 68 % des patients avec reprise occulte du gluten vs 40 % dans le groupe sans reprise du gluten, ont eu une aggravation des scores de douleur, de ballonnement, de leur insatisfaction par rapport à la consistance des selles et de leur fatigue évalués après une semaine par EVA [27]. Le mécanisme pourrait faire intervenir des symptômes liés à la fermentation des peptides du gluten, une activation cholinergique médiée par le gluten, la stimulation du système nerveux entérique par des molécules directement neuroactives ou stimulant la libération de neurotransmetteur notamment par les mastocytes, ou bien passer par un effet des peptides de la gliadine autre que le gluten. Récemment, il a été montré que cet effet n’était pas lié à une somatisation. Par ailleurs chez les patients avec sensibilité non cœliaque au gluten, il existe une augmentation des lymphocytes T (CD3+) dans la muqueuse avant challenge par du gluten et une augmentation de l’ARNm de l’interféron g après challenge [28]. Le régime sans gluten, s’il est réalisé, n’a pas de particularité par rapport à celui suivi dans le cadre d’une maladie cœliaque et il exclut le blé, le seigle et l’orge. Il faut cependant noter qu’il peut exister une confusion entre les effets bénéfiques des régimes « sans gluten », même chez des patients sans maladie cœliaque avérée (avec « sensibilité anormale au gluten ») [27]) et du régime « pauvre en FODMAPs ». En effet, en voulant diminuer la part des aliments avec gluten, on diminue également celles des FODMAPs. Les résultats des dernières études semblent d’ailleurs plutôt en faveur d’un effet propre de la réduction des FODMAPs, car dans une étude randomisée réalisée chez des patients hypersensibles au gluten (dont 35 % présentaient une constipation), la réalisation au préalable d’un régime pauvre en FODMAPs neutralise les effets de la réadministration du gluten sur les symptômes du SII [29].
Intolérance au lactose
Le problème de l’intolérance au lactose est fréquemment posé par les patients. Le déficit en lactase peut donner des symptômes proches du SII et on retrouve suivant les populations jusqu’à 70 % des sujets avec un déficit des capacités d’absorption qui peut être mis en évidence par un test respiratoire au lactose (qui peut cependant être positif sans symptômes). En cas d’intolérance, si les quantités de lactose ingérées (lait, yaourt, glace) dépassent les capacités d’absorption, il peut y avoir une fermentation par les bactéries coliques entraînant des ballonnements, des gaz, un inconfort et ou une diarrhée. L’intolérance au lactose est très fréquente en cas de SII, dans une étude hollandaise on la retrouve chez 24,3 % des patients avec SII vs 5,7 % contrôles (P < 0,009) [30] et même chez 68,2 % des patients dans une étude italienne [31]. Chez les patients avec intolérance vraie et régime poursuivi, l’amélioration pourrait être durable (87,5 % sans symptômes à 5 ans). Cependant, les patients se croyant intolérants au lactose n’ont que rarement un test respiratoire positif. De plus, chez les patients ayant également un test respiratoire négatif, le régime sans lactose peut entraîner une amélioration. Ceci pourrait être dû à d’autres mécanismes comme l’allergie aux protéines du lait de vache. L’apport de lactase chez des sujets intolérants n’a pas montré d’efficacité sur les symptômes du SII.
Fructose et FODMAPs
Récemment, des études menées en Australie ont aussi montré que certains sucres et hydrates de carbone (fructose, édulcorants type sorbitol), dits fermentescibles (« Fermentable Oligo-, Di-, and Monosaccharides, And Polyols » ou FODMAPs), utilisés notamment par l’industrie agroalimentaire mais également présents sous forme naturelle dans de nombreux aliments, pouvaient favoriser les symptômes du SII, douleurs, ballonnements et gaz, par un effet osmotique au niveau iléal, et par une modification de la production de gaz par les bactéries au niveau colique [32]. Le fructose est présent dans les pommes, les poires, le miel, les jus de fruits, les fruits secs. Le lactose est présent dans le lait et les produits laitiers. Les polyols sont souvent ajoutés dans les préparations industrielles, notamment hypocaloriques. Les galactanes (galacto-oligosaccharides ou GOS) et les fructanes (fructo-oligosaccharides ou FOS) sont présents dans les préparations à base de farine mais aussi dans certains légumes. Une malabsorption d’au moins un de ces sucres est très fréquente, notamment en cas de SII. Compte tenu des mécanismes en cause, cela devrait logiquement concerner plus de patients avec SII-D ou SII-M que des patients avec SII-C. Un essai randomisé australien, réalisé chez 41 patients avec SII, a évalué l’effet sur les symptômes digestifs de conseils diététiques orientés vers une alimentation pauvre en glucides fermentescibles [33] avec diminution des aliments riches en fructane (farine et oignons), en GOS (légumes), en polyols (poires), en lactose et en fructose. L’avis des patients était recueilli avant le régime et 4 semaines après son début. L’amélioration de l’ensemble des symptômes, notamment du ballonnement, des borborygmes et des émissions urgentes était plus fréquente dans le groupe bénéficiant de conseils que dans le groupe placebo (68 % contre 23 %). Cette intervention était associée à des modifications du microbiote (diminution des concentrations et proportions de bifidobactéries) [33]. Une autre étude réalisée en Angleterre chez 82 patients avec SII, dont 40 % ayant une constipation initiale, a montré un bénéfice d’un régime pauvre en FODMAPs sur un score global de symptômes, sur les ballonnements, les douleurs abdominales et des flatulences mais pas sur la constipation par rapport à des conseils diététiques standards [34]. En France, la part des FODMAPs dans l’alimentation des sujets sains ou des patients avec SII n’a pas été évaluée et ces résultats ne sont pas extrapolables, car il existe des différences importantes dans l’alimentation entre pays différents et notamment entre la France et la Grande- Bretagne ou l’Autralie. Dans une autre étude randomisée australienne réalisée chez 30 patients dont 13 avec SII-C, la consommation moyenne de FODMAPs était autour de 16 g par jour sans différence entre les patients avec SII et les sujets sains [35]. L’effet du régime pauvre en FODMAPs (moins de 0,5 g par repas) entraînait également une amélioration sur un score global ainsi que sur les douleurs, les ballonnements et les gaz. Cette amélioration semblait concerner tous les sous-types de patients, aussi bien SII-D que SII-C, mais des modifications plus objectives des selles (nombre, consistance, poids des selles et contenu en eau des selles) n’étaient obtenues que chez les patients avec SII-D [35]. Le principal obstacle de ce régime est la compliance à long terme car il nécessite une éducation complexe pour reconnaître les FODMAPs et évaluer leur charge dans l’alimentation et une observance de tous les instants difficile à obtenir. Dans une étude récente réalisée en Nouvelle-Zélande, la parfaite adhésion au régime ne concernait que 12,2 % des patients [36]. Idéalement avant de proposer un régime pauvre en FODMAPs, il faudrait pouvoir évaluer la charge en FODMAPs de l’alimentation des patients et ne pas le proposer si cette charge est déjà basse (aux environs de 4 g par jour ou moins). Ceci est difficile à faire en pratique car cette évaluation prend du temps et peu de diététiciennes sont aujourd’hui formées en France pour la réaliser. L’évaluation est également complexe car la co-ingestion de glucose avec les FODMAPs, diminue leur effet « nocif » sur les symptômes du fait d’une absorption des FODMAPs facilitée par celle du glucose. De manière pragmatique, on peut proposer au patient qui incrimine l’alimentation dans ses symptômes et n’a pas répéré d’aliment unique « responsable », de tester ce régime en utilisant une liste d’aliments « autorisés » et « déconseillés » comme celle fournie en annexe. En cas d’amélioration persistante (plus de 6 à 8 semaines) et importante des symptômes, on pourra proposer, à titre individuel, d’élargir progressivement ce régime en faisant des essais par type d’aliment car tous ces hydrates de carbone ne semblent pas avoir la même valeur de déclenchement des symptômes. Ce régime complexe nécessite, pour être bien suivi, un apprentissage de la part des patients qui peut être facilité par l’utilisation d’applications pour smartphones aujourd’hui disponibles. L’intérêt de ce régime, qui est très à la mode pour le traitement du SII, doit cependant être nuancé par une étude randomisée suédoise présentée en communication orale à l’UEGW 2014 (Böhn L, abstract 0P007) et qui montre que des conseils diététiques simples semblent aussi efficaces à 1 mois sur les symptômes qu’un régime pauvre en FODMAPs.
Conclusions
S’il existe un lien entre « repas ou aliments » et symptômes au cours du SII, qu’il soit suggéré par les patients (lien temporel ou renforcement des symptômes) ou par l’analyse de la littérature, il reste difficile de prodiguer des conseils diététiques simples pour les patients.
Il semble évident que des conseils adaptés ne peuvent être prodigués qu’après une analyse individuelle de l’alimentation des patients, réalisée au mieux par une diététicienne formée, et il reste alors à démontrer leur utilité à titre individuel sur les symptômes et la qualité de vie. On pourrait ainsi recommander, en fonction des situations individuelles, d’éviter des repas trop abondants, de manger des fibres en quantité normale, de diminuer sans les exclure le lactose (lait, glace, yaourt), les graisses, le fructose (miel, sirop de maïs, pommes, poires, dattes, oranges), les aliments producteurs de gaz (pois, brocolis, chou, son), et le sorbitol, le mannitol, le xylitol (chewing gum sans sucre) pour diminuer la charge en FODMAPs de l’alimentation. Il est inutile de poursuivre tout régime qui n’a pas d’efficacité initiale ou qui perd son efficacité après 2 mois. Certains patients peuvent cumuler différents régimes même sans recommandation et il faudra aussi se méfier de régimes trop restrictifs qui pourraient conduire à des carences, même si celles-ci ont rarement été mises en évidence jusqu’à présent dans les études publiées.
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- Staudacher HM, Whelan K, Irving PM, Lomer MC. Comparison of symptom response following advice for a diet low in fermentable carbohydrates (FODMAPs) versus standard dietary advice in patients with irritable bowel syndrome. J Hum Nutr Diet 2011;24:487-95.
- Halmos EP, Power VA, Shepherd SJ, Gibson PR, Muir JG. A diet low in FODMAPs reduces symptoms of irritable bowel syndrome. Gastroenterology 2014;146:67-75.
- de Roest RH, Dobbs BR, Chapman BA, Batman B, O'Brien LA, Leeper JA, Hebblethwaite CR, Gearry RB. The low FODMAP diet improves gastrointestinal symptoms in patients with irritable bowel syndrome: a prospective study. Int J Clin Pract 2013;67:895-903.
ANNEXE.
Exemple de conseils diététiques pour un régime pauvre en FODMAPs
Aliments autorisés (faible teneur en FODMAPs) Liste non exhaustive | Aliments déconseillés | |
---|---|---|
Produits laitiers | • Lait sans lactose ou pauvre en lactose, lait végétal (lait de soja par exemple) enrichi en calcium.• Yaourts faits maison avec du lait sans lactose ou pauvre en lactose, yaourts au lait végétal.• Fromages affinés : à pâte molle (camembert, brie, munster, Pont-l’Evêque), bleu (Roquefort, bleu d’Auvergne…), non cuites (gouda, edam mimolette, cantal reblochon…), à pâte dure (emmental, comté, beaufort). |
• Lait en boisson, en poudre, concentré et dérivés (sauce béchamel, flan…).• Crème glacée et dessert lacté.• Fromages frais (fromage blanc, mozzarella).• Yaourts, suisses… |
Fruits | • Banane, canneberge, ananas, pamplemousse, melon, citron, orange, fruit de la passion, papaye, framboise, rhubarbe, fraise, noix de coco, kiwi. | • Pomme, poire, pêche, cerise, prune, abricot, pastèque, mangue, mûre, fruits secs et oléagineux (noix, amande…), litchies. |
Légumes verts | • Carottes, céleri, endives, cœurs de palmier, haricots verts, laitue, panais, courges, patate douce, tomate, courgette, igname, navets, poivrons rouges, blettes, aubergines, poivrons, épinards… | • Artichaut, asperge, chou et dérivés : chou-fleur, brocoli, poireaux, ail, oignon, échalote, légumes secs (pois chiche, haricots rouges, lentilles…), champignons. |
Viande – Poisson – Œuf | • Tous | |
Produits céréaliers | • Sarrasin, épeautre, riz, avoine, polenta, millet, tapioca, quinoa… (sous toutes leurs formes : pain, biscottes, farine, semoule), pomme de terre, maïs. | • Blé – si en grandes quantités car bien toléré en petites quantités – et tous les dérivés (boulgour, semoule, farine, pain, biscotte…), orge, seigle. |
Préparations industrielles | • Toutes celles non indiquées ci à droite. | • Plats cuisinés contenant du fructose.• Sauce type barbecue, tomate concentrée, aigre-douce.• Miel.• Sirop d’érable.• Sirop de maïs. |
Produits contenant des polyols | • Aliments diététiques édulcorés, sucreries sans sucre. |
Fiche–établie–par–K.–Spiczonek,–diététicienne,–Hôpital–Avicenne,–P r –Sabaté,–Hôpital–Louis-Mourier–et–P r –Benamouzig,–Hôpital–Avicenne.–Septembre–2014
Les Quatre points forts
- Les Quatre points forts L’alimentation peut jouer un rôle au cours du SII et 2/3 des patients voient un lien direct entre repas et symptômes.
- Malgré des régimes d’évictions fréquents réalisés par les patients, les carences nutritionnelles sont rares.
- Les mécanismes sont multiples. À côté des causes déjà connues (intolérance au lactose, effet des lipides…), de nouveaux facteurs émergent (hypersensibilité au gluten sans maladie cœliaque, effet des FODMAPs).
- Il est très difficile de prodiguer des conseils diététiques simples, surtout en l’absence d’enquête diététique préalable.
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