Tube digestif et diabète

Objectifs pédagogiques

  • Connaître les différentes pathologies digestives associées au diabète
  • Connaître les mécanismes provoquant les troubles moteurs
  • Connaître la prise en charge de la gastroparésie diabétique

Résumé

L’incidence du diabète augmente en France comme dans le reste du monde. Les complications digestives de la maladie, principalement liées à la neuropathie secondaire à la micro-angiopathie, altèrent considérablement la qualité de vie du diabétique et participent au déséquilibre glycémique. Elles peuvent toucher l’ensemble du tractus digestif. Leur prévalence est d’autant plus élevée que le contrôle glycémique est imparfait. Cependant, des études de cohorte montrent que des facteurs indépendants de l’hyperglycémie, environnementaux et nutritionnels interviennent dans la physiopathologie de la neuropathie. On observe chez les diabétiques au niveau de l’œsophage une prévalence accrue de troubles moteurs, source de dysphagie et de reflux. La gastroparésie est la complication digestive la plus invalidante. Avec la diarrhée et l’incontinence fécale, cette gastroparésie altère considérablement la qualité de vie du patient et contribue au mauvais équilibre du diabète. Des pathologies auto-immunes peuvent également être associées au diabète de type 1 et doivent être recherchées. Les symptômes digestifs sont souvent intriqués ce qui rend le diagnostic difficile. Fréquemment un traitement symptomatique doit être associé à la restauration de l’équilibre glycémique pour améliorer la symptomatologie et éviter que l’atteinte digestive soit par elle-même source de déséquilibre du diabète.

Introduction

Le diabète, qu’il soit de type 1 ou 2, est une maladie de plus en plus prévalente. En France, la population diabétique est chiffrée actuellement à 3 millions d’individus. Avec 400 nouveaux cas diagnostiqués chaque jour, elle sera voisine de 5 millions à l’horizon 2022.

Le diabète peut affecter le tube digestif à tous les niveaux [1]. Cette gastro-entéropathie diabétique peut concerner jusqu’à 75 % des patients dans certaines séries. Certaines manifestations, telle qu’une gastroparésie, vont affecter l’histoire naturelle de la maladie diabétique en compromettant l’équilibre du diabète avec un impact sur la mortalité et la morbidité de la maladie diabétique. D’autres, comme les troubles du transit, altérent avant tout la qualité de vie des malades. Toutes ces manifestations sont à l’origine de dépenses de santé notables en raison des hospitalisations très fréquentes qu’elles provoquent.

Les conséquences du diabète sur le tube digestif et l’augmentation d’incidence de la maladie vont amener les hépato-gastroentérologues à être de plus en plus confrontés aux conséquences digestives de la maladie ­diabétique.

Nous n’aborderons pas dans ce chapitre deux aspects particuliers : a) les modifications du microbiote intestinal qui peuvent conduire à l’apparition d’un diabète de type 2, b) le problème général de l’apport de la chirurgie bariatrique et de ses conséquences fonctionnelles lorsqu’elle est proposée comme traitement de fond d’un ­diabète de type 2.

Quelle est la physiopathologie de l’atteinte digestive au cours du diabète ?

Elle est multifactorielle.

L’atteinte nerveuse [2-6]

Elle concerne à la fois le réseau neuronal entérique (SNE), riche réseau neuronal organisé sous la forme de deux plexus (myentérique et sous-muqueux) et comportant des neurones sensoriels et moteurs ainsi que des interneurones, et le système nerveux extrinsèque. Dans les conditions normales, l’échange d’informations sensitives et motrices entre le SNE et le système nerveux central via le système nerveux extrinsèque conditionne le fonctionnement normal du tube digestif, notamment lors de la prise alimentaire. Au cours de la maladie diabétique, ces 2 systèmes peuvent être touchés et la perturbation de leur échange d’informations contribue à la survenue de troubles moteurs et/ou à l’altération de la sensibilité digestive.

La neuropathie autonome [2-3]

Elle est la mieux connue car elle affecte près d’un malade diabétique sur deux après 20 ans d’évolution du diabète. Les lésions concernent les petites fibres amyéliniques des systèmes sympathique et parasympathique, ainsi que le pneumogastrique et les ganglions et les troncs nerveux sympathiques. Elle est liée à une microangiopathie. Des phénomènes inflammatoires et ischémiques micro-vasculaires secondaires à des altérations des vasa vasorum déterminent l’apparition de cette neuropathie qui est entretenue et même aggravée par un diabète mal équilibré.

Sur le plan digestif, la neuropathie autonome se traduit avant tout par une gastroparésie et des troubles du transit, constipation ou diarrhée. L’atteinte autonome provoque aussi des troubles cardio-vasculaires (tachycardie de repos, incapacité de s’adapter à l’effort, hypotension orthostatique), des troubles de l’érection, une mauvaise adaptation pupillaire à l’obscurité, une dysurie et une incapacité à ressentir correctement les symptômes d’une hypoglycémie.

Cette neuropathie autonome est associée à une surmortalité avec une mortalité à 10 ans de 29 %, contre seulement 6 % chez les patients indemnes. La mortalité est avant tout en rapport avec les troubles cardio-vasculaires.

L’atteinte du SNE [4-6]

Elle est de description plus récente.

Les modèles expérimentaux d’animaux, rendus diabétiques par injection de streptozotocine, révèlent que le ­diabète s’associe précocement à une dégénérescence neuronale à tous les niveaux du tube digestif. Les pertes neuronales initiales concernent principalement les neurones à effet moteur inhibiteur via la libération de substances, avant tout le monoxyde d’azote (NO) mais aussi le VIP ou le neuro­peptide Y. Inversement, les neurones excitateurs à acétylcholine ou à substance P sont préservés. Chez l’homme, des lacunes plus ou moins étendues dans le maillage neuronal, la perte de neurones nitrergiques et la raréfaction des cellules de Cajal ont été rapportées chez les diabétiques de type 1 et 2 souffrant d’une gastroparésie. Ces anomalies étaient d’autant plus marquées que le diabète était sévère. Un stress oxydatif accru provoquant la production de radicaux libres, une inflam­mation d’origine gliale, la réduction de certains facteurs neurotrophiques (neurotrophine-3, facteur de croissance d’origine insulinique) sont autant d’élé­ments contribuant aux altérations neu­ronales et à une apoptose excessive.

L’atteinte intestinale proprement dite

L’augmentation de la perméabilité intestinale [7]

La qualité de la barrière intestinale, notamment sa perméabilité, est essentielle pour que l’interaction entre le milieu luminal et le système immunitaire intestinal se fasse de façon optimale. Une augmentation de la per­méabilité intestinale, essentiellement para-cellulaire, existe dans le diabète de type 1 et 2. Elle est mise en cause dans l’apparition du diabète 1 et 2 mais également dans celle de la gastroentéropathie du diabétique. Ces anomalies précèdent l’apparition des symptômes digestifs.

Les anomalies du microbiote [8]

L’importance du microbiote intestinal est de plus en plus mis en avant dans de nombreuses pathologies digestives. Des modifications du microbiote existent au cours du diabète, surtout de type 2, avec notamment une diminution des Bactéroidetes et une augmentation des Firmicutes. Ces modifications paraissent favorisées par un apport alimentaire lipidique élevé. Les changements dans l’écosystème intestinal pourraient également jouer un rôle via la modification des acides biliaires endo-luminaux qu’ils entraî­nent. Lorsque des troubles moteurs intestinaux apparaissent, une pullulation microbienne est souvent détectée.

Les perturbations hormonales [9-10]

Une raréfaction des cellules endocrines et une diminution de leur sécrétion ont été mises en évidence chez le sujet diabétique. Ces sécrétions hormonales anormales contribuent aux troubles de la motricité et de l’absorption. Le rôle d’une réduction du pool des cellules sécrétant de la ghréline est notamment mis en avant [10].

Le rôle du mauvais équilibre ­glycémique [1]

Le mauvais équilibre glycémique, qui peut être favorisé par l’existence d’une gastroparésie, est un élément majeur dans la survenue de la gastro-entéropathie diabétique.

L’équilibre glycémique a un effet direct sur la motricité digestive par des mécanismes mal élucidés, au moins partiellement hormonaux. Quand la glycémie s’élève au-dessus de 8 mmol/L la motricité antro-pyloro-duodénale est altérée. L’hyperglycémie contribue également à l’agression des neurones entériques en induisant un stress oxydatif et une apoptose qui affectent les voies métaboliques intracellulaires et le fonctionnement de la glie. Ces effets de l’hyperglycémie contribuent à la fois aux troubles moteurs et sensitifs digestifs observés chez les diabétiques [611].

Les différentes atteintes digestives et leur traitement

L’atteinte digestive haute

Elle est particulièrement délétère car elle altère la qualité de vie mais contribue aussi au mauvais équilibre du ­diabète.

La gastroparésie diabétique [12-14]

Le diabète, qu’il soit de type 1 ou 2, est la cause dans 30 % des cas d’un ralentissement objectif de la vidange gastrique, en l’absence de tout obstacle mécanique (définition d’une gastroparésie). Dans le diabète de type 1, l’incidence cumulée de cette gastroparésie sur 10 ans est de 4,8 %, avec une survenue particulièrement fréquente chez les malades atteints d’une néphropathie, d’une rétinopathie et/ou d’une neuropathie diabétique. L’incidence cumulée de la gastroparésie est seulement de 1 % dans le diabète de type 2.

Sont évocateurs des vomissements réguliers qui soulagent un inconfort épigastrique, une plénitude épigastrique post-prandiale avec sensation de digestion prolongée, une satiété précoce et/ou nausées. Le déclenchement ou l’aggravation de la symp­tomatologie par la prise alimentaire renforce la suspicion diagnostique. Cependant, seulement 40 % des malades décrivant de tels symptômes souffrent réellement d’une gastroparésie. Dans certains cas, les mêmes symptômes peu­vent même témoigner d’une vidange anormalement rapide. Une douleur abdominale épigastrique ou péri-ombilicale, volontiers quotidienne, parfois permanente, est un autre mode de révélation d’une gastroparésie. Nocturne dans près de 2/3 des cas, elle perturbe le sommeil d’un malade sur deux. Chez certains malades, la douleur est décrite comme un ballonnement gênant, de siège sus-ombilical.

Parmi les malades gastroparétiques, les diabétiques ont une particularité : la gastroparésie peut être pauci symptomatique et les vomissements sont souvent absents. Dès lors, il est important d’évoquer la gastroparésie devant des signes indirects : perte de poids mal comprise, symptomatologie de reflux gastro-œsophagien mal contrôlée par un traitement anti-sécrétoire bien suivi, difficultés d’équilibration du diabète. Dans le diabète de type 1, la gastroparésie désynchronise l’horaire des pics glycémiques post-prandiaux par rapport aux horaires proposés des injections d’insuline et favorise les accidents hypoglycémiques. Dans le diabète de type 2, la gastroparésie favorise la mauvaise biodisponibilité des anti-diabétiques oraux, source d’hyperglycémies.

Du fait de l’absence de corrélation entre les symptômes et la réalité d’une gastroparésie, une mesure objective de la vidange gastrique est utile pour assoir le diagnostic. Si la méthode de référence demeure la scintigraphie, une étude de cette vidange avec un test respiratoire à l’acide octanoïque marqué par le 13C, isotope stable du carbone, est envisageable.

La prise en charge efficace de la gastroparésie demeure un challenge pour le clinicien.

La première ligne de mesures s’appuie sur des recommandations hygiéno-­diététiques (fragmentation de la prise alimentaire, réduction de la fraction lipidique et de l’apport en fibres), la suppression les médicaments ralentissant la vidange gastrique, la normalisation de la glycémie et le recours aux prokinétiques [12, 15].

Le métoclopramide est efficace mais la fréquence de ses effets secondaires (20 %) en limite l’utilisation. L’utili­sation de la dompéridone est désormais déconseillée en raison du risque de troubles du rythme qui n’est pas contre-balancée par une efficacité symptomatique démontrée à moyen terme. L’érythromycine et l’azithromycine ont des propriétés prokinétiques qui dépendent de la dose administrée et du mode d’administration : par voie intraveineuse, l’érythromycine doit être infusée à la dose de 3 mg/kg en 20 à 30 minutes pour déclencher des contractions antrales alors que 250 mg toutes les 6 à 12 heures est la dose préconisée pour une administration orale d’érythromycine. L’azithromycine a été testée à la dose de 250 mg en intra-veineux. Il faut savoir pour l’erythromycine, que l’hyperglycémie diminue son efficacité, qu’un phénomène de tachyphylaxie est problématique lors d’une utilisation prolongée et que l’érythromycine, substrat et inhibiteur du cytochrome P450 3A4, interagit avec le métabolisme hépatique de nombreux médicaments tels que le fluconazole, le kétoconazole, le vérapamil ou le diltiazem. La co-administration d’érythromycine avec des médicaments allongeant l’espace QT est à éviter de façon formelle car l’érythromycine augmente le risque d’allongement de l’intervalle QT et de torsade de pointe, surtout dans les 4 jours suivant l’institution du traitement et en cas de cardiopathie sous-jacente. Le prucalopride, agoniste 5-HT4, peut être testé mais son effet moteur gastrique est moins net que celui décrit au niveau du côlon. Les analogues de la ghréline sont en cours d’évaluation.

L’échec de ces mesures de première intention conduit à discuter l’option d’un traitement endoscopique ou une stimulation électrique à haute fréquence de l’estomac (SEG). Un spasme pylorique peut expliquer certaines gastroparésies diabétiques. Mais l’utilité de dilatations pneumatiques pyloriques ou d’injections intra­sphinctériennes de toxine botulique demeure à démontrer [16]. La difficulté clinique réside dans la difficulté d’identifier dans la pratique les malades diabétiques gastroparétiques ayant un spasme pylorique. L’effet symptomatique de la SEG a été décrit dans des gastroparésies diabétiques, sévères (vomissements pluriquotidiens avec retentissement nutritionnel) et réfractaires à tous les traitements avec un gain pondéral et, dans certaines séries, une équilibration plus facile du diabète avec une baisse du chiffre d’hémoglobine ­glycosylée [17].

Quand la perte de poids excède 10 %, le recours à l’alimentation artificielle se discute. Du fait de sa moindre morbidité et de sa meilleure efficacité, la nutrition entérale, en site duodénal ou jéjunal, est à préférer à la nutrition parentérale. L’intérêt d’une solution chirurgicale, telle qu’une diversion duodénale, est très discuté [15].

L’atteinte œsophagienne

Les troubles moteurs œsophagiens au cours du diabète sont non spécifiques [18-20]. Ils seraient retrouvés chez plus d’un diabétique sur deux décrivant des symptômes orientant vers le tube digestif haut, même en l’absence de dysphagie caractérisée. Les contractions sont mal ou non propagées et/ou d’amplitude réduite, parfois répétitives. Un défaut de relaxation du sphincter inférieur de l’œsophage est possible avec, au maximum, un tableau manométrique d’achalasie. L’atteinte œsophagienne, en contrariant la prise alimentaire, est délétère pour l’équilibre du diabète.

Un reflux gastro-œsophagien (RGO) est décrit par 14 % des malades diabétiques, plus volontiers dans le diabète de type 2 (prévalence entre 25 et 41 %), notamment par les malades dont le diabète évolue depuis plus de 10 ans [21]. Il peut être favorisé par une ­gastroparésie qui augmente le contenu gastrique susceptible de refluer. L’alté­ration du péristaltisme œsophagien retarde la clairance acide œsophagienne et accroît le risque d’œso­phagite. Dans certaines séries, la neuropathie viscérale est apparue un facteur indépendant de risque d’œsophagite liée à une moindre sensibilité muqueuse œsophagienne aux ­épisodes de reflux [19]. Plus de 20 % des malades avec neuropathie périphérique étaient porteurs d’une œsophagite ulcérée asymptomatique. La prise en charge du RGO et des troubles moteurs de l’œsophage chez les diabétiques n’a rien de spécifique.

L’atteinte du tube digestif bas

Elle contribue de façon importante à l’altération de la qualité de vie des malades.

Les troubles du transit

La Diarrhée [22]

Une diarrhée chronique survient chez 3 à 22 % des diabétiques selon les études. Cliniquement, il s’agit d’une diarrhée plutôt motrice, explosive, volontiers intermittente. Les selles sont abondantes, plutôt aqueuses, ­fréquentes (plus de 10 selles par jour), souvent nocturnes. Une stéatorrhée est possible. La diarrhée peut être associée à une incontinence fécale et doit être distinguée d’une fausse diarrhée de constipation, également fréquente.

Toutes les causes de diarrhée des non diabétiques peuvent être retrouvées chez les diabétiques, mais il faut systématiquement éliminer une diarrhée provoquée par la prise de Biguanides (GLUCOPHAGE®, STAGID®…), une diarrhée avec stéatorrhée due à une pancréatite chronique, une diarrhée secondaire à une hyperthyroïdie associée au diabète ou encore une diarrhée due à une maladie cœliaque à laquelle ferait penser un syndrome de malabsorption.

La diarrhée diabétique elle-même est une diarrhée hydrique, fécale, non ­sanglante, indolore, présentant deux caractéristiques cliniques essentielles : la fréquence des selles allant de 10 à 30 selles par jour, impérieuses, sur­venant souvent après les repas et ­parfois la nuit ou à l’occasion d’une hypo­glycémie. Elle s’accompagne dans 50 % des cas, d’une incontinence fécale. L’évolution se fait par poussées de quel­ques jours à quelques semaines, suivies d’un retour du transit à la normale ou même assez fréquemment d’une constipation. Cette rythmicité est donc bien différente de celle de la fausse diarrhée des constipés. Fait particulier, cette diarrhée s’accompagne dans 50 % des cas d’une stéatorrhée modérée, sans déficit pancréatique externe ou atrophie villositaire et sans syndrome de malabsorption majeur ni amai­grissement.

La diarrhée du diabétique est souvent multifactorielle. Celle spécifiquement rattachée à une complication du diabète est majoritairement présente chez les diabétiques de type 1, notamment les hommes (sexe ratio : 3/2), surtout lorsque la durée d’évolution de leur ­diabète insulino-dépendant dépasse 8 ans, et qu’une neuropathie autonome existe. La neuropathie autonome ou viscérale diabétique altère les motricités grêlique (interdigestive et postprandiale) et colique : disparition des complexes migrants moteurs absents, activité de type Phase II continue, contrac­tions non coordonnées et non propagées, absence de réponse motrice du grêle à la prise alimentaire, dimi­nution des contractions propulsives duodénales, et augmentation des contractions rétrogrades. Ces anomalies motrices provoquent souvent une pullulation bactérienne endo-luminale qui aggrave la diarrhée [23, 24]. Au niveau du côlon, la perte des mécanismes inhibiteurs de contrôle (VIP, NO) secondaire au diabète accroît la motricité. L’effet diarrhéogène de ces troubles moteurs est accentué par l’altération des capacités d’absorption hydro-électrolytique coliques.

Sur le plan thérapeutique, les ralentisseurs du transit d’utilisation courante sont préconisés en première intention. En cas d’échec, la colestyramine (1 sachet, trois fois par jour avant les repas) peut être essayée. Cette résine permet de séquestrer les acides biliaires synthétisés en excès par l’absence de régulation entérocytaire. Une autre résine, le colesevelam serait plus efficace mais le médicament est pour l’instant réservé en ATU dans certaines hypercholestérolémies.

La pullulation microbienne : une cause à ne pas méconnaître [23].

Elle expliquerait près d’une diarrhée chronique sur deux chez le diabétique. En cas de pullulation, le nombre de selles quotidiennes et le nombre de symptômes gastro-intestinaux augmentent. Sa présence n’est pas corrélée avec la durée du diabète. Elle est favorisée par les troubles moteurs du grêle, notamment l’absence de complexes moteurs migrants [24].

Le diagnostic demeure difficile. Le tubage duodénal protégé est réservé à quelques centres et ne détecte pas une pullulation iléale. Un test respiratoire à la recherche d’une production d’hydrogène précoce après charge orale en glucose est une alternative disponible dans quelques centres. Le plus souvent, le diagnostic est envisagé de principe et un traitement antibiotique d’épreuve est proposé à la fois comme test diagnostique et comme traitement. Les fluoro-quinolones représentent l’antibiothérapie de choix, en raison de leur pouvoir bactéricide sur la majorité des entérobactéries et de leur spectre épargnant les bactéries anaérobies. En pratique, la mono-antibiothérapie orale de 7 à 10 jours est l’attitude conseillée par la plupart des auteurs. Elle peut être répétée ou réalisée en alternance avec une autre classe thérapeutique en cas de rechute. Un antibiotique très peu absorbé, la rifaximine est une nouvelle option [25], qui ne pourra être pour l’instant utilisé qu’hors AMM puisque le médicament est indiqué dans la prévention ou le traitement de l’encéphalopathie hépatique. Avec l’antibiothérapie, la réduction des apports en lactose peut être bénéfique.

Lorsque la pullulation est liée à la ­disparition des phases III dans le grêle, il est logique d’essayer d’en induire pharmacologiquement : la trimébutine (dose minimale : 600 mg/jour), l’éry­thromycine à faible dose (40 à 50 mg) ou surtout l’octréotide (50 à 100 µg par voie sous-cutanée, 1 à 3 fois par jour) [26], sont des solutions thérapeutiques potentielles.

La constipation

20 à 44 % des sujets diabétiques souffriraient de constipation ou auraient recours à l’utilisation de laxatifs [1]. Cette constipation peut être autant une constipation de transit que la conséquence d’un trouble de l’évacuation rectale.

Les mécanismes qui favorisent le ­ralentissement du transit colique chez le diabétique sont la diminution du réflexe gastro-colique précoce et tardif, la diminution du réflexe péristaltique par atteinte du SNE, l’augmentation de l’amplitude des contractions coliques segmentaires spontanées par la libération en excès de neurotransmetteurs excitateurs et/ou un défaut de neurotransmetteurs inhibiteurs, et la moindre réponse des mécanorécepteurs coliques à la distension, secondaire à l’hyperglycémie [27]. Parallèlement, la diminution de la sensibilité rectale contribue à des troubles de l’évacuation rectale en émoussant le besoin exonérateur [2829].

D’un point de vue thérapeutique, outre l’équilibre glycémique optimal et les règles hygiéno-diététiques habituelles, la prise en charge n’a rien de spécifique. Dans les constipations de transit résistant aux laxatifs usuels, le prucalopride, agoniste sélectif des récepteurs sérotoninergiques de type 5-HT4 peut être essayé, avec une prise quotidienne unique de 2 mg, réduite à 1 mg en cas d’insuffisance rénale. Un ralentissement distal sur le temps de transit des marqueurs amène à proposer un traitement adapté, éventuellement discuté à partir des résultats de la manométrie ano-rectale.

L’incontinence fécale [1] :

Environ 10 % des diabétiques se plaignent d’une incontinence fécale active ou passive. L’incontinence est à différencier de la diarrhée, qu’elle peut masquer ou aggraver. Elle est une source majeure d’altération de la qualité de vie chez les malades, notamment lorsque les accidents sont nocturnes, interrompant le sommeil.

La physiopathologie de l’incontinence anale n’est pas encore très claire. Les études d’hyperglycémie provoquée chez les sujets sains suggèrent que l’hyperglycémie altère le besoin exonérateur [2829] alors que la contraction volontaire du sphincter anal est conservée chez ces patients. L’existence d’une neuropathie autonome qui augmente le seuil de sensibilité rectale augmente le risque d’incontinence [2].

Conclusion

L’atteinte digestive au cours du diabète peut revêtir plusieurs aspects, souvent associés. Son traitement repose en ­première intention sur les traitements symptomatiques usuels et l’optimi­sation de l’équilibre glycémique. Une approche pluridisciplinaire associant le diabétologue, le gastroentérologue et le nutritionniste est souvent nécessaire. En cas de difficultés, des thérapeutiques plus spécifiques sont à envisager. Les données physiopathologiques les plus récentes, mettant en avant le rôle du microbiote et la perméabilité intestinale accrue offrent de nouvelles cibles thérapeutiques.

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Les cinq points forts

  1. L’équilibre glycémique est un objectif thérapeutique majeur pour améliorer l’efficacité de la prise en charge des complications digestives.
  2. Il faut savoir évoquer une gastroparésie, souvent paucisymptomatique, devant des difficultés d’équilibration glycémique.
  3. La diarrhée du diabétique est le plus souvent plurifactorielle. Un test thérapeutique par antibiotiques peut être intéressant dans l’hypothèse d’une pullulation microbienne qui existerait dans près d’un cas sur deux.
  4. La cause iatrogène (biguanides) est toujours à évoquer devant une diarrhée chez un diabétique de type 2.
  5. L’incontinence fécale, que le patient qualifie parfois de « diarrhée », est favorisée par les troubles du transit, un trouble de la sensibilité rectale et/ou une incompétence sphinctérienne.