Comment traiter une première poussée de maladie de Crohn ?

Objectifs pédagogiques

  • Connaître l’histoire naturelle de la maladie de Crohn
  • Quel bilan initial réaliser ?
  • Quels signes de gravité et facteurs prédictifs d’évolutivité rechercher ?
  • Indication et suivi d’un traitement par corticoïde
  • Quelles stratégies thérapeutiques envisager en cas de cortico-dépendance ou résistance ?
  • Faut il obtenir comme objectif une rémission profonde ?
  • Quand et comment évaluer l’efficacité de son traitement ?

La première poussée de la maladie de Crohn (MC), que l’on peut étendre au concept de « MC précoce » – définie par une durée de moins de 18 mois et l’absence de traitement antérieur par les immunosuppresseurs ou les anticorps monoclonaux ciblant le TNFα [1] – constitue une situation clinique dont la prise en charge thérapeutique a profondément évolué au cours des dernières années. À l’exception des formes compliquées d’emblée qui requièrent toujours une attitude chirurgicale dans près de 20 % des cas, la MC précoce constitue une situation où la plupart des lésions peuvent être réversibles et où de nombreuses options thérapeutiques sont envisageables. En 2015, les objectifs thérapeutiques se doivent donc d’être ambitieux. Au-delà du simple contrôle durable de symptômes et du sevrage en corticoïdes, il convient de viser à normaliser les biomarqueurs quand ils sont élevés et à cicatriser l’ensemble des anomalies morphologiques à commencer par les lésions endoscopiques, afin de prévenir la destruction intestinale et ainsi la résection chirurgicale. L’objectif thérapeutique ultime serait alors de modifier l’histoire naturelle de la MC.

Une fois le diagnostic de MC confirmé, plusieurs options médicamenteuses sont envisageables et surtout plusieurs combinaisons thérapeutiques sont alors possibles. Le bénéfice d’un traitement salicylé en cas de MC active semble marginal, voisin de celui d’un placebo. Cette option ne peut être proposée qu’en cas de poussée minime à modérée [2]. En 2015, la corticothérapie demeure le traitement de la première poussée de maladie de Crohn quand celle-ci est minime, modérée ou sévère et qu’elle soit localisée ou plus étendue. Le budésonide constitue ici une alternative à la corticothérapie classique lorsque les poussées sont de topographie iléale terminale et iléo-colique droite. Néanmoins, les corticoïdes ont de nombreux effets indésirables et surtout ne permettent pas de cicatriser les lésions endoscopiques, si bien qu’ils n’ont aucune efficacité en traitement d’entretien. Ils doivent donc rester d’utilisation ponctuelle.

En ce qui concerne les immunosuppresseurs, et plus particulièrement l’azathioprine, deux essais contrôlés récents ont démontré que sa prescription précoce systématique ne permettait pas un meilleur contrôle de la maladie par rapport à l’attitude classique qui est d’attendre une réponse insuffisante aux corticoïdes pour l’initier [3, 4]. La place de l’azathioprine en traitement précoce s’est donc considérablement réduite. Cette molécule peut être proposée en monothérapie après une poussée inaugurale dans les formes modérées, cortico-dépendantes en l’absence de complication [2].

L’évolution actuelle tend vers des traitements anti-TNF plus précoces et plus prolongés. En pratique, ces molécules sont proposées d’emblée en cas de poussées inaugurales étendues, sévères et/ou compliquées de fistules ano-périnéales [2]. En cas d’évolution réfractaire sous corticoïdes, les anti-TNF sont plus efficaces que les immunosuppresseurs conventionnels mais c’est surtout l’association de ces deux classes thérapeutiques qui constitue la stratégie thérapeutique la plus efficace comme l’a démontré l’essai SONIC [5]. Le recours précoce à une telle bithérapie soulève aujourd’hui de nombreuses questions sur sa durée et sa tolérance au long cours, mais aussi sur les possibilités par la suite de désescalade thérapeutique, si bien que cette approche doit être réservée aux patients dont l’évolution risque d’être la plus péjorative.

En 2015, la stratégie thérapeutique initiale au cours de la maladie de Crohn est habituellement une approche ascendante rapide qui prend en compte la gravité de la maladie et les facteurs de risque présentés par le patient. En somme, une simple corticothérapie suffit pour les formes légères de maladie de Crohn, l’association corticoïdes et immunosuppresseurs est à proposer dans les formes modérées sans facteurs de mauvais pronostic et sans complications et un traitement par anti-TNF d’emblée, éventuellement associé à un immunosuppresseur, est à réserver aux formes sévères et aux formes modérées avec des facteurs de mauvais pronostic ou une destruction intestinale avérée et/ou des lésions ano-périnéales. C’est ensuite le suivi rapproché du patient, à la fois clinique mais aussi des paramètres inflammatoires objectifs que sont les biomarqueurs, l’endoscopie et l’imagerie, que l’option thérapeutique initiale pourra et devra être ajustée le cas échéant.

Références

  1. Peyrin-Biroulet L, Billioud V, D’Haens G, et al. Development of the Paris definition of early Crohn’s disease for disease-modification trials: results of an international expert opinion process. Am J Gastroenterol 2012; 107:1770-6.
  2. Dignass A, Van Assche G, Lindsay JO, et al. The second European evidence-based Consensus on the diagnosis and management of Crohn’s disease: Current management. J Crohns Colitis 2010;4:28-62.
  3. Cosnes J, Bourrier A, Laharie D, et al. Early administration of azathioprine vs conventional management of Crohn’s Disease: a randomized controlled trial. Gastroenterology 2013;145:758-65.
  4. Panés J, López-Sanromán A, Bermejo F, et al. Early Azathioprine Therapy Is No More Effective Than Placebo for Newly Diagnosed Crohn’s Disease. Gastroenterology 2013;145: 766-74.
  5. Colombel JF, Sandborn WJ, Reinisch W, et al. Infliximab, azathioprine, or combination therapy for Crohn’s disease. N Engl J Med 2010; 362:1383-95.

Les Cinq points forts

  1. Dans la plupart des cas, les lésions observées lors de la première poussée de la maladie de Crohn peuvent être réversibles.
  2. L’objectif thérapeutique souhaitable et accessible est alors d’obtenir une rémission profonde (normalisation des marqueurs biologiques, cicatrisation des lésions) afin de limiter la destruction intestinale.
  3. La corticothérapie demeure bien souvent incontournable dans la prise en charge initiale d’un patient atteint de maladie de Crohn, à la condition d’être administrée en cure courte.
  4. En cas de cortico-dépendance ou résistance, la stratégie thérapeutique doit être ascendante et rapide dans le but de proposer les traitements les plus efficaces sans délai.
  5. Le suivi régulier des patients permet d’ajuster la thérapeutique au plus près, que ce soit dans le sens d’une optimisation ou plus tard d’une désescalade thérapeutique.