Les pancréatites aiguës
Objectifs pédagogiques
- Savoir évaluer la gravité d’une PA
- Savoir réaliser le bilan étiologique
- Connaître les principales mesures à prendre et les erreurs à éviter
- Connaître les indications de la CPRE, de la sphinctérotomie en urgence
- Apprécier le moment de la cholécystectomie
- Savoir prendre en charge les nécroses et les pseudokystes
Introduction
La pancréatite aiguë (PA) est une affection fréquente qui soulève plusieurs problèmes aux rangs desquels : l’évaluation du pronostic, le diagnostic étiologique, la prise en charge optimale des formes non compliquées et la prise en charge des complications en particulier la surinfection de la nécrose et le pseudo-kyste symptomatique.
Comment évaluer le pronostic ?
Cette évaluation est basée sur des critères clinico-biologiques, des critères radiologiques et des critères évolutifs. Les critères clinico-biologiques répondent historiquement à ceux définis par Ranson. Ces derniers sont faciles à collecter à l’admission, plus difficile sur les 48 premières heures. Les critères de Ranson sont anciens et ils ont été initialement validés sur la mortalité. Ils avaient pour intérêt une valeur prédictive négative élevée, c’est-à-dire qu’un patient avec score de Ranson A à l’admission a très peu de chance de présenter une complication et aucune mortalité. Néanmoins, ils ont actuellement remplacés par la recherche d’un SIRS (pour « Systemic Inflammatory Response Syndrome ») défini par la présence d’au moins 2 ou plus des critères suivants : température < 36 ou > 38 °C, fréquence cardiaque > 90 battements/minute, fréquence respiratoire > 20/minute, et leucocytes < 4 ou > 12 × 109/L. La persistance d’un SIRS au-delà de 48 heures est hautement prédictif de PA sévère. Il faut rajouter à ces critères des données importantes qui sont cliniques : une infiltration des flancs, la présence d’une obésité, l’existence de signes de défaillance viscérale d’emblée (choc, tachycardie, hypoxie, dyspnée…). Au plan biologique, on retiendra le dosage de la CRP (en particulier la cinétique sur les 3 premiers jours), celui de la calcémie, le nombre de plaquettes [1, 2]. Les critères radiologiques font appel au score scannographique (après injection de produit de contraste) de Balthazar en exigeant de nos confrères radiologues de quantifier la nécrose (Index de nécrose). Les critères de suivi reposent sur la clinique bi-quotidienne à la recherche de signes de décompensation (hypoxie, choc, troubles de la conscience, épanchement pleural..), d’infection, de persistance ou non des douleurs et de l’iléus. Au plan biologique, on s’attachera à détecter des stigmates d’infection (polynucléose, élévation conjointe de la CRP et de procalcitonine), de défaillance (créatinine, CIVD, ictère). Enfin la surveillance radiologique est effectuée par tomodensitométrie (en l’absence d’insuffisance rénale, examen tous les 10 à 15 jours) dans les cas de nécrose intra et/ou extra-pancréatique étendue [1, 2]. À l’issue du suivi la PA sera classée selon 3 classes : PA bénigne (pas de défaillance d’organe, pas de complication locale ou générale ; PA modérément grave (défaillance d’organe résolutive en 48 heures et/ou complication locale ou générale sans défaillance d’organe persistante) ; PA grave (défaillance d’organe persistante au-delà de 48 heures soit un organe, soit multiples organes) [1, 2].
Comment faire le diagnostic étiologique ?
Chez l’adulte, 40 à 50 % des PA sont d’origine biliaire, 30 % sont d’origine alcoolique et les 20 à 30 % restants sont occupés par les causes diverses et les formes idiopathiques. Le bilan étiologique doit se dérouler en 3 phases. À la phase initiale lors de la poussée de pancréatite ce sont les données de l’anamnèse, la biologie et l’imagerie qui peuvent orienter vers une étiologie biliaire (femme de plus de 50 ans, excès de poids, antécédents de colique hépatique, cholestase et cytolyse hépatique, lithiase vésiculaire à l’échographie), alcoolique (homme de la quarantaine, éthylique chronique, poussées douloureuses antérieures, parfois calcifications au scanner), évident dans un contexte de traumatisme, d’infection, de prise médicamenteuse pancréatotoxique (interroger le site http://www.mediquick.net), d’hypercalcémie ou d’hypertrigylcéridémie [3-5]. À la phase secondaire sera effectué un bilan chez les patients pour lesquels le bilan initial ne montre pas d’étiologie (PA idiopathique a priori) ou lorsque la cause biliaire, alcoolique ou nonA nonB n’est pas totalement prouvée. Ce bilan sera réalisé à deux mois car certaines images d’inflammation ou de nécrose peuvent gêner la visualisation de lésions pancréatiques. Ce bilan comportera un nouvel interrogatoire (prise de toxiques non avouée, médicaments), un nouveau bilan biologique en particulier lipidique, phosphocalcique mais aussi immunologique (ACAN, IgG4) et une imagerie par cholangiopancréatographie IRM assortie le plus souvent à une échoendoscopie. En effet, l’IRM visualise les lésions canalaires pancréatiques (TIPMP, pancréatite auto-immune) alors que l’échoendoscopie assure le diagnostic de minilithiase (cause fréquente de PA idiopathique) et des atteintes parenchymateuses et canalaires pancréatiques (pancréatite chronique, tumeurs). Ce bilan secondaire permet de réduire de 50 % la proportion de PA dites initialement idiopathiques. Il faut aussi noter qu’en fonction de l’âge du patient certaines étiologies sont plus particulièrement à rechercher notamment chez le sujet de moins de 35 ans : les médicaments, la pancréatite autoimmune, les formes génétiques (recherche de mutations de PRSS1, SPINK1, CTRC et CFTR) et la consommation chronique de cannabis (Tableau I).
Au terme de ces deux phases, 12 à 15 % de PA restent idiopathiques chez l’adulte et nécessitent un suivi avec en particulier une échographie vésiculaire (apparition d’un sédiment vésiculaire ou minilithiase biliaire dans l’année qui suit) voire de nouvelles imageries pancréatiques en cas de récidive [3, 5]. Cette conduite à tenir est résumée dans la figure 1.
Traitement des formes bénignes et des pancréatites aiguës biliaires
Devant un PA à priori bénigne, c’est-à-dire sans facteur de pronostic péjoratif clinico-biologique ou scannographique, l’hospitalisation est de mise dans un secteur traditionnel en ne négligeant pas une forte réhydratation intiale (au moins 3 litres afin d’éviter un retard de réanimation en cas de troisième secteur se constituant dans les heures suivant l’admission, en maintenant une pression artérielle moyenne entre 65 et 85 mm Hg et un débit urinaire > 0,5-1 ml/kg/h), une antalgie efficace et rapide (le plus souvent par morphinique) et la mise à jeun strict. L’évolution dans les 48 heures, jugée sur la clinique bi-quotidienne (douleur, examen abdominal, iléus, température, pouls, tension, saturation en O2), la biologie simple (bilan électrolytique, créatinine, calcémie, CRP, bilan hépatique) quotidienne nous donnera des indications précieuses sur le type de PA (éléments éventuellement complétés par le scanner à 48-72 après admission). S’il n’existe aucun signe de gravité, la réalimentation sera prescrite progressivement dès que la douleur abdominale (et l’iléus éventuel) aura cédé et ce en l’absence d’antalgique. Dans le cas contraire, le plus souvent dans le cadre d’une PA qui va se compliquer et/ou avec nécrose étendue, il faudra évaluer la nécessité d’une nutrition artificielle entérale (avec nutriments élémentaires) ou parentérale [6].
Dans le cadre d’une PA biliaire bénigne, l’objectif est d’éviter la récidive. La cholécystectomie peut être effectuée lors de la même hospitalisation en l’absence de complications aiguës et de nécrose. En cas de nécrose ou de collection liquidienne étendue ou de nécrose extra-pancréatique, la cholécystectomie devra être reportée de 6 semaines après un contrôle scannographique (vérifiant l’absence de lésion/nécrose persistante). Dans le cadre de PA accompagnée d’une angiocholite (fièvre élevée, cholestase volontiers ictérique à l’admission) il est licite de proposer une sphinctérotomie endoscopique à condition : de la réaliser dans les 48 heures suivant l’admission, par un opérateur expérimenté, au sein d’un centre référent pour l’endoscopie thérapeutique. Si le (la) patient(e) est vu(e) tard, ce geste n’est plus indiqué voire dangereux [2, 7].
Traitement de la nécrose infectée et des pseudo-kystes
Le tableau II résume les définitions et caractéristiques des collections pancréatiques au cours des PA et ce en fonction du temps. Entre 10 et 20 % des patients avec PA présentent une atteinte nécrotique pancréatique ou péri-pancréatique. La nécrose va s’infecter dans près de 2/3 des cas. C’est un élément pronostique majeur car la mortalité des PA graves passe de 15 à 30 % en cas d’infection de la nécrose par rapport à une nécrose non infectée. L’infection est bactérienne (Entérocoque, E. Coli) et/ou fungique. Le diagnostic doit être évoqué en général après la 4e semaine (Tableau II) quand la nécrose commence à s’organiser avec une coque périphérique et un contenu à la fois liquidien et solide. Ce diagnostic d’infection est étayé sur des arguments cliniques (fièvre, sepsis sévère, vomissements, ictère) mais aussi biologiques (CRP et procalcitonine) et radiologiques (présence de bulles d’air au sein de la nécrose à l’examen scannographique).
On discutera en fonction de l’accessibilité, d’une ponction de la nécrose à l’aiguille fine sous scanner à la recherche d’une infection bactérienne et/ou fungique. Le traitement doit être fait au sein d’un centre référent tertiaire possédant toutes les compétences requises pour la prise en charge des PA graves et ce après concertation pluridisciplinaire : gastroentérologues, réanimateurs, radiologues et chirurgiens et avec l’appui d’une imagerie récente par scanner. On choisira l’approche dite « step up » : première étape radiologique, éventuellement complétée par l’approche endoscopique pour finir par l’approche chirurgicale mini invasive puis invasive en dernier recours. Chaque procédure sera débutée par un prélèvement systématique bactériologique et fungique de la nécrose. Le traitement radiologique consiste à la mise en place de drains sous contrôle scannographique, par voie rétropéritonéale, transgastrique ou transhépatique. Le calibre des drains va de 12 à 16 Fr et sera suivi d’un lavage abondant avec du sérum physiologique avec contrôle de la position et de l’évolution tous les 10 à 15 jours. Cette technique est applicable à la plupart des localisations de la nécrose. Le traitement endoscopique concerne essentiellement la nécrose pancréatique et péri-pancréatique. La voie d’abord est surtout transgastrique. Une première technique consiste à repérer la zone nécrotique principale par échoendoscopie avec ponction en zone non vasculaire et dans un deuxième temps à dilater le point de ponction sous contrôle endoscopique (duodénoscope, gastroscope ou coloscope) puis à procéder à la nécrosectomie au moyen de sonde de Dormia, anse à filet ou tripode. La deuxième technique, plus récente, consiste à la mise en place en un seul temps sous contrôle entièrement échoendoscopique d’une prothèse diabolo expansive (en général 16 mm de diamètre et suffisamment longue pour éviter la migration) permettant une nécrosectomie dans un deuxième temps. Dans les 2 techniques, un drain naso-kystique de 18 Fr est laissé en place dans la cavité en fin de procédure pour lavages quotidiens. La procédure de nécrosectomie peut être réitérée en fonction du résultat clinique et radiologique. Le traitement chirurgical peut être qualifié de « mini-invasif » et correspond à une rétropéritonéoscopie préférentiellement par voie gauche latérale en passant entre le rein et la racine du mésocolon. Il peut être plus « invasif » par voie transpéritonéale. Il ne sera indiqué qu’après échec des deux approches radiologique et endoscopique. La main du chirurgien peut être guidée par la mise en place pré-opératoire d’un drain radiologique. Elle consiste à extraire la nécrose, laver et mettre en place de très gros drains de lavage. Dans tous les cas, il faudra prendre aussi en compte : l’aspect nutritionnel, le traitement du diabète, celui d’une surinfection fungique et des autres complications de la pancréatite aiguë.
En ce qui concerne les pseudokystes enfin, leur traitement ne se conçoit que pour les formes symptomatiques (compression, infection, hémorragie), 6 semaines au moins après le début de la PA et pour des lésions d’une taille > 6 cm. En effet, une régression spontanée est toujours possible surtout pour les pseudo-kystes de moins de 6 cm de diamètre et aborder un kyste asymptomatique expose à une surinfection. La technique de drainage sera endoscopique et le plus souvent guidée sous échoendoscopie (du moins cette dernière est nécessaire au moins à visée diagnostique avant drainage pour éviter les zones vascularisée et/ou si hypertension portale segmentaire). Le drainage sera réalisé par 2 prothèses « double queue de cochon » ou si le matériel intrakystique est très dense ou avec des débris, on pourra mettre en place un prothèse diabolo. En cas de communication avec le canal de Wirsung, le drainage pourra être fait par voie transpapillaire sous CPRE. En cas d’hémorragie aiguë par érosion artérielle, la radiologie interventionnelle est indiquée.
Ce qu’il ne faut pas faire
- Réaliser le scanner d’évaluation initiale du pronostic trop tôt (avant la 48-72e heure suivant le début des signes de pancréatite aiguë), ce qui va sous-estimer l’importance de la nécrose
- Réalimenter le(la) patient(e) trop tôt, exposant à une récidive précoce
- Se contenter du diagnostic de pancréatite aiguë idiopathique ou nonA nonB non confirmée et ne pas réaliser un bilan étiologique clinique, biologique et radiologique à distance de l’épisode aigü
- Retarder la date de la cholécystectomie pour une pancréatite aiguë biliaire bénigne
- Proposer un sphinctérotomie pour une pancréatite aiguë biliaire sans angiocholite
- Donner des antiobiotiques devant tout syndrome fébrile sans avoir fait la preuve d’une infection de la nécrose pancréatique ou d’une infection extra-pancréatique
- Drainer une collection ou de la nécrose dans les 4 premières semaines et en l’absence d’infection
- Drainer un pseudokyste non symptomatique
- Se passer d’une nutrition entérale ou parentérale pour toute pancréatite aiguë sévère
Références
- Banks PA, Bollen TL, Dervenis C, et al. Classification of acute pancreatitis -2012: revision of the Atlanta classification and definitions by international consensus. Gut 2013;62:102-11.
- Working Group IAP/APA Acute Pancreatitis Guidelines. IAP/APA evidence-based guidelines for the management of acute pancreatitis. Pancreatology 2013;13(4 Suppl 2):e1-15.
- Thevenot A, Bournet B, Otal P, et al. Endoscopic ultrasound and magnetic resonance cholangiopancreatography in patients with idiopathic acute pancreatitis. Dig Dis Sci 2013;58:2361-8.
- Lévy P, Boruchowicz A, Hastier P, et al. Diagnostic criteria in predicting a biliary origin of acute pancreatitis in the era of endoscopic ultrasound: multicentre prospective evaluation of 213 patients. Pancreatology 2005;5:450-6.
- Culetto A, Bournet B, Haennig A, et al. Prospective evaluation of the aetiological profile of acute pancreatitis in young adult patients. Dig Liver Dis 2015;47:584-9.
- Bakker OJ, van Brunschot S, van Santvoort HC, et al. Early versus on-demand nasoenteric tube feeding in acute pancreatitis. N Engl J Med 2014;371:1983-93.
- da Costa DW, Schepers NJ, Römkens TE, et al. Endoscopic sphincterotomy and cholecystectomy in acute biliary pancreatitis. Surgeon 2015 pii: S1479-666X(15)00101-8.
- van Santvoort HC, Besselink MG, Bakker OJ, et al. A step-up approach or open necrosectomy for necrotizing pancreatitis. N Engl J Med 2010;362:1491-502.
- Freeman ML, Werner J, van Santvoort HC, et al. Interventions for necrotizing pancreatitis: summary of a multidisciplinary consensus conference. Pancreas 2012;41:1176-9
Les Six points forts
- Le pronostic des pancréatites aiguës est fondé sur la présence de défaillance d’organe (SIRS), la tomodensitométrie et la CRP
- Le diagnostic étiologique est organisé en trois temps : à la phase initiale de la pancréatite, puis deux mois après la poussée aiguë en cas de pancréatite idiopathique ou de cause incertaine, et enfin sur le suivi de toute forme idiopathique.
- Les pancréatites aiguës biliaires bénignes justifient une cholécystectomie dans les suites immédiates de la crise.
- La sphinctérotomie endoscopique en urgence n’est indiquée qu’en cas d’angiocholite et elle doit être réalisée dans les 48 heures.
- Le traitement de la nécrose infectée symptomatique relève d’une approche multidisciplinaire dite « pas à pas » en commençant le plus souvent par le drainage radiologique, puis par l’abord endoscopique avant de proposer une chirurgie.
- Seuls les pseudo-kystes symptomatiques et évoluant depuis plus de 6 semaines doivent être drainés en privilégiant l’approche écho-endoscopique
FMC HGE : Organisme certifié Qualiopi pour la catégorie ACTIONS DE FORMATION