Recommandations internationales sur la pancréatite aiguë
Objectifs pédagogiques
- Savoir ce qui a changé dans la prise en charge de la pancréatite aiguë depuis la recommandation française de 2001
Introduction
La prise en charge de la pancréatite aiguë (PA) fait l’objet de nombreux articles originaux, d’études randomisées parfois apparemment contradictoires, portant sur divers aspects thérapeutiques : équilibre hydroélectrolytique, antibiothérapie, drainage de la nécrose, nutrition artificielle, traitement de la cause notamment biliaire, etc. Trente guidelines ont été publiés depuis 1988 après un processus dont la rigueur, la méthodologie et l’exhaustivité étaient variées, issus soit de sociétés savantes « uni-spécialité » (réanimateurs, chirurgiens, etc.) soit multidisciplinaires [1].
En 2001, à l’initiative de la SNFGE en association avec de nombreuses sociétés savantes françaises, une conférence de consensus s’est tenue, aboutissant à des conclusions intéressantes dans de nombreux domaines [2]. Même si de nombreux changements de pratique ont été notés après sa publication, à la fois dans les hôpitaux universitaires et non universitaires [3], force est de constater que les pratiques ne suivent pas toujours les recommandations. De nombreuses erreurs sont encore commises, en particulier dans l’utilisation de la nutrition artificielle, de l’antibiothérapie, dans la prise en charge des PA biliaires et dans la recherche des causes.
En 2012, à l’initiative de l’International Association of Pancreatology et de l’American Pancreatic Association, s’est tenue une conférence multidisciplinaire et multinationale sur le même sujet dont les conclusions ont été publiées en 2013 dans Pancreatology [4]. Cette conférence a été dirigée par le très dynamique Marc Besselink, issu d’une équipe hollandaise ayant publié de nombreuses études importantes sur la PA. Sans entrer dans les détails, la méthodologie employée a été d’une grande rigueur et les conclusions portant sur 12 domaines et 38 questions ont été âprement discutées en public lors d’un congrès.
Le document qui en est résulté est d’une grande clarté et d’une non moins grande utilité.
Ce sont ces guidelines qui sont présentés ici en insistant sur les évolutions par rapport à la conférence française de 2001. L’auteur de ces lignes a ajouté quelques commentaires personnels issus de son expérience (ou des commentaires publiés à propos de ces recommandations), présentés systématiquement en bleu. Certains aspects ne seront pas traités en raison de leur rareté comme, par exemple, le syndrome du compartiment abdominal.
Diagnostic de la pancréatite aiguë et causes
Définition de la pancréatite aiguë
Le diagnostic de PA repose sur l’association de deux des trois critères suivants :
- Douleurs typiques
- Élévation des enzymes pancréatiques au-dessus de trois fois la normale
- Imagerie par scanner, IRM ou échographie
- chez un malade n’ayant pas de symptôme évoquant une PA,
- à titre de dépistage,
- comme élément de gravité ou de surveillance d’une PA.
Autrement dit, la lipasémie ne devrait être dosée qu’une seule fois, aux urgences de l’hôpital devant un malade ayant un syndrome abdominal aigu.
Quel bilan faire à l’admission dans le cadre du bilan étiologique ?
Outre l’anamnèse orientée, le bilan initial doit comporter un dosage :
- des enzymes hépatiques,
- de la triglycéridémie
- et de la calcémie.
En termes d’imagerie, une échographie abdominale est impérative et urgente pour mettre en évidence une lithiase vésiculaire avant qu’elle ne soit éventuellement induite par le jeûne.
Quelles sont les investigations à mettre en œuvre au-delà pour le bilan causal ?
Après un premier bilan négatif, les examens nécessaires au bilan causal sont la pancréato-IRM qui est essentielle pour chercher une anomalie canalaire (en particulier un obstacle tumoral) puis l’échoendoscopie. Celle-ci permet un diagnostic dans 32 à 88 % des cas, notamment pour mettre en évidence du sludge biliaire ou des microcalculs non vus en échographie [6]. Le scanner abdomino-pelvien peut être répété à distance, surtout en cas de récidive de la PA.
Diagnostic de gravité
Quel est le meilleur score ou marqueur pour prédire la sévérité à l’admission et à 48 heures ?
Le seul score qui a été retenu est le score du syndrome de réponse inflammatoire systémique (SIRS). Le SIRS est défini par l’association de deux ou plus des conditions suivantes:
- température < 36°C ou > 38°C ;
- fréquence cardiaque > 90/min ;
- fréquence respiratoire > 20/min ou PaCO2 < 32 mmHg ;
- leucocytose > 12 000/mm3, < 4 000/mm3 ou présence de formes immatures circulantes (> 10 % des cellules).
Sa présence à l’admission et surtout sa persistance plus de 48 heures prédisent une évolution sévère et un sur-risque de mortalité.
C’est ici un apport majeur et une modification importante de nos pratiques qui a fait son entrée dans le thésaurus destiné aux étudiants de second cycle dans sa prochaine version à paraître.
Quelle est la bonne stratégie pour prédire l’évolution d’une pancréatite aiguë à l’admission ?
Cette réflexion doit être conduite selon trois axes :
- Le terrain (comorbidités, indice de masse corporelle)
- Évaluation de la présence ou non d’un SIRS
- Évolution après les premières mesures thérapeutiques comme la réhydratation (persistance du SIRS, urée sanguine, créatinine).
Imagerie
Quelles sont les indications et le bon moment pour réaliser un scanner ?
Les indications pour un scanner initial sont :
- Le doute diagnostique (éventuellement scanner sans injection chez un malade déshydraté)
- La confirmation de la sévérité fondée sur les critères décrits précédemment
- La non réponse aux traitements initiaux ou détérioration de l’état clinique.
Le meilleur moment pour faire un scanner d’évaluation est entre la 72e et la 96e heure après le début des symptômes.
Quand refaire un scanner au cours de l’évolution ?
Un scanner doit être refait en cas de non-amélioration, a fortiori de détérioration de l’état clinique ou lorsque un geste interventionnel est envisagé.
Équilibration hydroélectrolytique
Quel est le meilleur soluté ?
Le Ringer lactate est recommandé bien que peu d’études l’aient comparé au sérum salé.
À quel débit ?
La perfusion doit être rapide au débit de 5-10 ml/kg/h jusqu’à l’obtention d’une amélioration des paramètres biologiques.
Comment mesurer l’efficacité de la rééquilibration hydroélectrolytique ?
Les moyens cliniques ont une fréquence cardiaque inférieure à 120, une pression artérielle moyenne entre 65 et 85 mmHg et un débit urinaire > 0,5-1 ml/kg/h. L’hématocrite maintenu entre 35 et 44 % est le meilleur moyen biochimique.
Il semble que la mesure de la pression veineuse centrale ne soit pas plus fiable que les marqueurs ci-dessus qui ont encore l’avantage de la simplicité.
Soins intensifs
Quelles sont les indications d’une admission en soins intensifs pour une pancréatite aiguë ?
Les auteurs de la recommandation de l’IAP/APA se sont fondés ici sur celles de la Society for Critical Care Medicine pour rappeler que les indications de passage en réanimation étaient les suivantes :
- pouls < 40 ou > 150 ;
- pression artérielle systolique < 80 mmHg ou pression moyenne <60 mmHg ou pression diastolique > 120 mmHg ;
- fréquence respiratoire > 35 ;
- natrémie < 110 ou > 170 mmol/L ;
- kaliémie < 2 mmol/L ou > 7 mmol/L ;
- paO2 < 50 mmHg ;
- pH < 7,1 ou > 7,7 ;
- glycémie > 44,4 mmol/L ;
- calcémie < 3,75 mol/L ;
- anurie ;
- coma ;
- SIRS persistant.
Quand transférer un patient dans un centre spécialisé ?
Les indications retenues de transfert sont les malades ayant une forme sévère, en particulier lorsque sont nécessaires des gestes interventionnels d’endoscopie (échoendoscopie, CPRE), de radiologie ou de chirurgie.
Peut-on prévenir la survenue d’un SIRS ?
Le seul moyen à l’efficacité prouvée est la rééquilibration hydroélectrolytique rapide dans les 24 premières heures.
Prévention des complications infectieuses
Doit-on ou non donner des antibiotiques à visée préventive ?
La réponse à cette question est clairement NON !
Faut-il proposer une décontamination digestive ?
Les conclusions sont ici moins tranchées, certains travaux ayant démontré un intérêt, mais le niveau de preuve a été jugé trop bas pour une telle recommandation.
Faut-il proposer des probiotiques ?
L’utilisation de probiotiques n’est pas recommandée.
Apport nutritionnel
Quand renourrir les malades après une pancréatite aiguë non grave ?
La nutrition peut être reprise dès que les douleurs diminuent et que les marqueurs inflammatoires s’améliorent (ceci n’incluant pas la lipase).
Quelle est l’indication d’une nutrition entérale ?
Tous les malades ayant une PA sévère ou avec des critères prédictifs de sévérité doivent être placés sous nutrition artificielle entérale.
Quel type de nutrition entérale ?
Aucun type de nutrition n’a montré une différence d’efficacité. Une nutrition polymérique « classique » peut donc être administrée.
Par quelle voie délivrer la nutrition entérale ?
La voie gastrique comme la voie jéjunale peut être utilisée.
Reste-t-il une place pour la nutrition parentérale ?
La nutrition parentérale ne doit être prodiguée qu’en cas d’intolérance ou d’impossibilité (ex : syndrome du compartiment abdominal) de donner la nutrition.
Pancréatite aiguë biliaire
Quelle est l’indication de la CPRE ± sphinctérotomie précoce en cas de pancréatite aiguë biliaire ?
- La CPRE précoce n’a aucune indication dans la PA biliaire bénigne.
- La CPRE n’a sans doute aucune indication dans la PA biliaire sévère sans angiocholite.
- La CPRE est probablement indiquée en cas de PA biliaire associée à une obstruction biliaire.
- La CPRE est indiquée en cas de PA biliaire associée à une angiocholite.
Quelles sont les indications de la bili-IRM et de l’échoendoscopie ?
L’intérêt de ces deux techniques est d’éviter une CPRE s’il n’y a pas d’angiocholite en démontrant la vacuité de la voie biliaire principale. L’échoendoscopie reste supérieure à l’IRM pour les petits calculs de moins de 5 mm.
Indications des interventions pour la nécrose pancréatique
Quelles en sont les indications ?
Quelle que soit la voie d’abord (chirurgicale, radiologique, endoscopique), les indications indiscutables de nécrosectomie sont :
- Une infection de nécrose suspectée cliniquement ou démontrée chez un malade dont l’état clinique se dégrade, de préférence lorsque la nécrose s’est organisée (délai habituel > 4 semaines).
- En cas d’apparition d’une défaillance d’organe, plusieurs semaines après le début de la PA, sur une nécrose organisée.
Les indications moins classiques sont :
- Un syndrome du compartiment abdominal.
- Une hémorragie non contrôlable.
- Une ischémie mésentérique.
- Une obstruction gastrique, intestinale, biliaire (en rapport avec une masse nécrotique).
Un petit nombre de malades ayant une infection prouvée peut être traité par antibiothérapie dès lors qu’ils restent cliniquement stables [20].
Quel est la place de la ponction de la nécrose ?
La réalisation d’une ponction de la nécrose n’est pas recommandée car l’état clinique, l’évolution des marqueurs inflammatoires et l’imagerie (bulles de gaz) sont de bons indicateurs d’infection et la ponction peut être faussement négative (12-25 %).
Quels sont les indications d’interventions sur une nécrose stérile ?
Quelle que soit la voie d’abord (chirurgicale, radiologique, endoscopique), les indications d’intervention sur une nécrose stérile sont :
- Une obstruction gastrique, intestinale, biliaire par un effet de masse (1 % des malades ayant une PA nécrosante).
- La perpétuation des douleurs en présence d’une nécrose organisée.
- La présence d’un pancréas déconnecté à gauche en raison d’une rupture pancréatique (environ 40 % des PA nécrosante), dès lors que celle-ci est symptomatique (intervention nécessaire dans environ 50 % des cas).
D’autres indications sont plus exceptionnelles :
- Compression urétérale, épanchements de séreuses.
Quel est le bon moment pour intervenir en présence d’une nécrose infectée prouvée ou suspectée ?
Le moment d’intervenir de façon invasive doit être reculé le plus possible afin de permettre l’organisation de la collection.
Quelle stratégie adopter pour les interventions : drainage radiologique, endoscopique, nécrosectomie chirurgicale mini-invasive ou chirurgie ouverte ?
La stratégie recommandée est de commencer par un drainage transcutané radioguidé ou par endoscopie puis, si nécessaire, par chirurgie.
Quand faire la cholécystectomie et éventuellement la sphinctérotomie ?
En cas de pancréatite aiguë bénigne
La cholécystectomie doit être faite le plus vite possible, dans la même hospitalisation, au mieux avant de réalimenter les malades per os en raison du risque élevé de récidive à court terme.
Après une pancréatite sévère
Dans ce cas, la cholécystectomie ne peut pas être faite et doit être reportée jusqu’à la disparition des coulées inflammatoires ou l’organisation des coulées de nécrose.
Faut-il faire une cholécystectomie après sphinctérotomie ?
S’il n’y a pas de contre-indication chirurgicale, la cholécystectomie est recommandée pour éviter le risque de colique hépatique ou de cholécystite (risque évalué à 10 %) [23].
Conclusions
De nombreuses études randomisées sont venues apporter des réponses claires à des questions très pratiques. D’autres sont encore en cours et permettront d’affiner encore les choses ou d’éclairer les zones obscures.
C’est en respectant ces recommandations que la mortalité de cette maladie purement inflammatoire et réversible diminuera.
Références
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Les Cinq points forts
- La sévérité d’une pancréatite aiguë se juge sur l’existence de défaillances viscérales et le risque d’évolution sévère sur le calcul du score SIRS. Le score de Ranson doit être abandonné.
- La nutrition entérale est le seul traitement médical ayant un effet positif sur la mortalité.
- Il ne faut pas faire d’antibiothérapie prophylactique.
- Le traitement de la nécrose infectée nécessite une approche multidisciplinaire et doit suivre une stratégie dite « step-up » débutant par un drainage radiologique ou endoscopique jusqu’à un drainage chirurgical si nécessaire.
- Le traitement de la lithiase biliaire est essentiel au cours de la pancréatite biliaire. Il repose sur une cholécystectomie précoce si possible avant la reprise alimentaire en cas de pancréatite bénigne. La sphinctérotomie en urgence n’est indiquée de façon formelle qu’en cas d’angiocholite associée.
FMC HGE : Organisme certifié Qualiopi pour la catégorie ACTIONS DE FORMATION