Maladies rares du foie : quand y penser ?

POST’U 2019

Objectifs pédagogiques

  • Connaître la démarche pour diagnostiquer la cause d’une cytolyse inexpliquée
  • Connaître les différentes situations cliniques ou biologiques devant faire penser à une maladie de Wilson et proposer une démarche de prise en charge
  • Connaître les différentes situations cliniques ou biologiques devant faire penser à un déficit en alpha 1 anti-trypsine et proposer une démarche de prise en charge

Les 5 points forts

  1. Devant une cytolyse chronique inexpliquée, la recherche étiologique est d’abord clinique associée à une biologie de première intention standardisée et à l’échographie.
  2. Pour le diagnostic du déficit en A1AT, le dosage sérique de l’A1AT est la première étape suivie d’un phénotypage et d’un génotypage. L’atteinte hépatique sévère relève d’une homozygotie PiZ ; l’expression de l’hétérozygotie PiZ est variable, et favorisée par des comorbidités hépatiques. L’atteinte respiratoire doit être dépistée.
  3. La maladie de Wilson est révélée soit par une forme aiguë ou fulminante (50 %), soit par une forme chronique (50 %). Les autres atteintes à rechercher sont cornéenne, neurologique, et hématologique. Le diagnostic repose sur une cuprurie des 24 H ou mieux un Cuivre Relatif Echangeable (REC) élevés, et une ceruléoplasminémie basse. Dans les formes atypiques, la biopsie hépatique avec dosage intra- hépatique du cuivre peut être nécessaire.
  4. Le syndrome d’obstruction sinusoïdale (SOS) doit être évoqué dans un contexte de greffe médullaire, ou en post chimiothérapie par agents alkylants ou oxaliplatine devant une atteinte hépatique chronique ou aiguë qui peut mettre en jeu le pronostic vital.
  5. Le syndrome LAL (déficit en Lysosomal Acid Lipase) est à évoquer devant une cytolyse chronique, une athéromatose précoce, un HDL bas avec histologiquement, une stéatose principalement microvésiculaire. Une mesure de l’activité LAL par buvard est un dépistage simple.

Abréviations

A1AT : Alpha 1 Anti-Trypsine

BGSA : Biopsie de la Glande Salivaire Accessoire

BPCO : Broncho-Pneumopathie-Chronique-Obstructive

EFR+TLCO : Epreuves Fonctionnelles Respiratoires + Transfert du CO

IRM : Imagerie par Résonnance Magnétique

LAL : Lipase Acide Lysosomale (syndrome LAL : déficit en LAL)

PAlc : Phosphatase Alcaline

PBH : Ponction Biopsie hépatique

REC : Cuivre échangeable sur cuivre total

SOS : Syndrome d’Obstruction Sinusoïdale

TDM : TomoDensitoMétrie

Cytolyse chronique paucisymptomatique avec ou sans hépatomégalie [1]

La clinique est la première approche incontournable (alcool, syndrome métabolique, virus, médicaments, cirrhose, antécédents familiaux…). La biologie hépatique, les plaquettes, l’INR, l’albumine sont complétés par l’échographie, deuxième main de l’examen clinique et par le dépistage des hépatites virales. En l’absence d’orientation claire, un 2e bilan biologique comprendra la recherche d’auto-Ac, (FAN, AML, anti-LKM1, anti-M2), le dosage de la ferritine et saturation de la transferrine, REC (cuivre échangeable/cuivre total), CDT, a1 antitrypsine sérique, glycémie et bilan lipidique à jeun. Une TDM et ou une IRM+/- cholangioIRM et un FibroScan® et enfin une biopsie hépatique pourront compléter le diagnostic.

Les maladies rares du foie, quand y penser ?

Le déficit en alfa 1 anti-trypsine (A1AT)

Maladie autosomique récessive. L’atteinte hépatique est liée à l’accumulation de l’A1AT mutée polymérisée dans le réticulum endoplasmique des hépatocytes.

Quand y penser ?

Devant toute maladie chronique du foie inexpliquée, compliquée ou non, isolée ou parfois associée à des signes respiratoires (asthme, BPCO, emphysème précoce) [2].

Que faire ?

Doser l’A1AT sérique (< 0,9g/l, +/- basse selon les variants phénotypiques) ; l’interprétation du dosage nécessite d’écarter un syndrome inflammatoire. Demander ensuite un phénotypage par électrophorèse [3] : la maladie de l’hépatologue touche les allèles Z et Mmalton uniquement. Le plus souvent le patient est PiZ homozygote (maladie sévère avec 20 % de cirrhose [4, 5]) ou PiZ hétérozygote (PiMZ = 2-3 % population française ou PiSZ plus rare = 0,2 % population française [6]). Chez les patients hétérozygotes (cas le plus fréquent), évaluer le pronostic hépatique souvent dépendant de facteurs de risque, sexe masculin, obésité ou autres comorbidités (alcool, VHC). Une plus grande fréquence PiMZ est retrouvée chez les patients en attente de transplantation (5,7 vs 1,7 %) [7]. Dépister enfin une atteinte respiratoire par EFR + TLCO.

Un génotypage des allèles déficitaires PiS et PiZ par PCR sera enfin réalisé. En cas de négativité, une recherche de mutations rares par séquençage des exons codants du gène SERPINA1 sera proposée. Le traitement repose sur la prise en charge des cofacteurs de risque (alcool, vaccins, syndrome métabolique) et sur la transplantation pour les formes évoluées.

La maladie de Wilson

Affection autosomique récessive liée à une mutation du Chr13q14 codant pour la protéine ATP7B, avec homozygotie, ou plus souvent hétérozygotie composite (2/3 des cas) entraînant une incorporation défectueuse du cuivre (Cu) dans l’apocaeruléoplasmine (entravant l’excrétion normale du cuivre dans la bile), et une surcharge en Cu hépatique avec libération du Cu libre dans la circulation.

Quand y penser ?

Chez un sujet en général jeune (< 50 ans mais formes tardives possibles) avec maladie chronique du foie compensée ou non (50 %), ou une hépatite aiguë ou fulminante (50 %) alors souvent associée à une hémolyse à coombs négatif, une élévation modérée des transaminases, un rapport PAlc/bilirubine < 2.

Parfois, devant une stéatohépatite avec syndrome métabolique absent ou dissocié, devant une hépatite étiquetée autoimmune résistant au traitement.

Que faire ?

Rechercher un anneau de Kayser Fleisher à la lampe à fente. Doser la caeruléoplasmine (basse), le cuivre urinaire (élevé) et mieux le cuivre relatif échangeable (REC) (> 15 %) de grande sensibilité et spécificité et qui simplifie le diagnostic [8, 9]. La biopsie hépatique avec coloration à la Rhodanine et dosage du cuivre intra-hépatique peut être importante dans les formes atypiques sur le plan biologique.

Rechercher aussi une atteinte neurologique souvent très polymorphe et plus tardive cliniquement (troubles psychiatriques, tremblements, dystonie…). Les anomalies à l’IRM (atteinte des noyaux gris centraux) peuvent être présentes en l’absence de signes cliniques. Rechercher une anémie hémolytique à coombs-, une néphrocalcinose, ostéomalacie, ostéoporose, cardiomyopathie, arythmie, voire la notion de fausses couches spontanées à répétition ou aménorrhée [10-15].

Le profil génétique est établi au CNR et l’enquête familiale est indispensable (mère, père, fratrie) [14].

D’autres affections hépatiques rares à ne pas manquer seront évoquées dont voici les principales SOS ou syndrome d’obstruction sinusoïdale

Contexte évocateur : prise d’agents alkylants, de sels de platine (oxaliplatine), plus rarement thiopurines forte dose ou combinées, prise d’alcaloïdes pyrrolidiniques contenus dans des plantes médicinales (bush tea). Tableau type : 3 semaines après une transplantation médullaire, hépatomégalie douloureuse, cytolyse, plus rarement ascite et HTP. Les formes aiguës mettent en jeu le pronostic vital. Diagnostic clinique sauf si pathologie hépatique sous-jacente (histologie: obstruction sinusoïdale péricentrolobulaire avec nécrose et hémorragie).

Amylose

Contexte évocateur : hépatomégalie isolée, augmentation de la PAlc, gammapathie monoclonale +/- signes plus spécifiques : atteinte rénale glomérulaire, cardiaque, canal carpien, neuropathie périphérique, grosse langue [16]. Diagnostic : histologique requis par prélèvements non hépatiques : BGSA, graisse sous-cutanée abdominale, sous-muqueuse rectale. Si PBH indispensable, privilégier la voie trans-jugulaire. Le FibroScan® en l’absence de cirrhose peut suggérer l’atteinte hépatique si élasticité > 17,3 KPa avec une bonne spécificité [17].

Maladie de Gaucher (adulte type 1)

Contexte évocateur : hépatomégalie majeure, volumineuse splénomégalie parfois isolée, inconfort abdominal, manifestations osseuses (ostéoporose, ostéonécrose), anémie et thrombopénie [18]. Diagnostic : l’activité de la glucocérébrosidase dans les leucocytes circulants. Le génotypage confirme le diagnostic.

Glycogenoses (types iiia foie + muscle, iiib foie)

Contexte évocateur : hépatomégalie, cytolyse, +/- élévation des CPK +/- myopathie modérée (atteinte cardiaque à rechercher), +/- hypoglycémies de jeûne, mais le plus souvent diabète avec hyperglycémies post-prandiales. Diagnostic : dosage de l’amylo-1,6-glucosidase dans les leucocytes circulants. Biopsie hépatique souvent nécessaire : accumulation de glycogène anormal avec déficit d’activité de l’enzyme débranchante et signes inflammatoires [19].

Syndrome lal

Contexte évocateur : hépatomégalie associée à une cytolyse inexpliquée, hypercholestérolémie avec HDL bas, athérome précoce, stéatose microvésiculaire [20]. Diagnostic : mesure de l’activité enzymatique sur buvard [21]. Immunohistochimie intéressant LAMP (Lysosome-associated Membrane Protein)1, LAMP2, LIMP2 et Cathepsine D devant toute stéatose microvésiculaire.

Références

  1. Seve, Legas, Broussolle, Rousset. Diagnostics difficiles en médecine interne – Loustaud-Ratti et al. Hépatomégalie et masse hépatique. Maloine, 2018.
  2. Recommandations du groupe européen d’experts ALPHA-1 [Internet]. Available from: https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&cad=rja&uac- t=8&ved=2ahUKEwib_4TPoODeAhWOF8AKHWpEAAMQFjAAegQICBAC&ur- l=http%3A%2F%2Falpha1global.org%2Fwp-content%2Fuploads%2F 2018%2F03%- 2FAlpha-1-European-Expert-Group-Recommendations-FRENCH-ONLINE-03.05.2018. pdf&usg=AOvVaw2ahmhmk3Njkres8yE-I0GZ
  3. Zerimech F, Hennache G, Bellon F, Barouh G, Jacques Lafitte J, Porchet N, Balduyck M. Evaluation of a new Sebia isoelectrofocusing kit for alpha 1-antitrypsin phenotyping with the Hydrasys System. Clin Chem Lab Med 2008;46:260–3 [PMID: 18076352 DOI: 10.1515/ CCLM.2008.036].
  4. Dawwas MF, Davies SE, Griffiths WJH, Lomas DA, Alexander GJ. Prevalence and risk factors for liver involvement in individuals with PiZZ-related lung disease. Am J Respir Crit Care Med 2013;187:502–8 [PMID: 23262512 DOI: 10.1164/rccm.201204-0739OC].
  5. Morer L, Choudat L, Dauriat G, Durand F, Cazals-Hatem D, Thabut G, et al. Liver Involvement in Patients With PiZZ-Emphysema, Candidates for Lung Transplantation. Am J Transplant 2017;17:1389–95 [PMID: 27931086 DOI: 10.1111/ajt.14152].
  6. Bowlus CL, Willner I, Zern MA, Reuben A, Chen P, Holladay B, et al. Factors associated with advanced liver disease in adults with alpha1-antitrypsin deficiency. Clin Gastroenterol Hepatol 2005;3:390–6 [PMID: 15822045].
  7. Regev A, Guaqueta C, Molina EG, Conrad A, Mishra V, Brantly ML, et al. Does the heterozygous state of alpha-1 antitrypsin deficiency have a role in chronic liver diseases? Interim results of a large case-control study. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2006;43 Suppl 1:S30–5 [PMID: 16819398 DOI: 10.1097/01.mpg.0000226387.56612.1e].
  8. El Balkhi S, Poupon J, Trocello J-M, Leyendecker A, Massicot F, Galliot-Guilley M, Woimant F. Determination of ultrafiltrable and exchangeable copper in plasma: stability and reference values in healthy subjects. Anal Bioanal Chem 2009;394:1477–84 [PMID: 19421744 DOI: 10.1007/ s00216-009-2809-6].
  9. El Balkhi S, Trocello J-M, Poupon J, Chappuis P, Massicot F, Girardot-Tinant N, Woimant F. Relative exchangeable copper: a new highly sensitive and highly specific biomarker for Wilson’s disease diagnosis. Clin Chim Acta 2011;412:2254–60 [PMID: 21878323 DOI: 10.1016/j. cca.2011.08.019].
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