Constipation et traitements laxatifs : l’EBM face aux idées reçues

POST'U 2022

Colo-proctologie

Objectifs pédagogiques

  • Savoir différencier les différents types de constipation
  • Connaître les règles hygiéno diététiques validées
  • Connaître les différentes classes de laxatifs et leurs mécanisme d’action
  • Savoir combattre les idées reçues sur l’utilisation des laxatifs
  • Savoir utiliser les laxatifs en fonction des différents types de constipation

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Nous vous invitons à tester vos connaissances sur l’ensemble des QCU tirés des exposés des différents POST'U. Les textes, diaporamas ainsi que les réponses aux QCM seront mis en ligne à l’issue des prochaines journées JFHOD.

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Les 5 points forts

  1. Bien que recommandées en première ligne de traitement, le niveau de preuve des règles hygiéno-diététiques (apports en fibres, activité physique…) est modeste.
  2. Les fibres solubles (mucilages) doivent être privilégiées car mieux tolérées que les fibres insolubles.
  3. Les macrogols sont les laxatifs osmotiques les plus efficaces.
  4. Les laxatifs stimulants et les colokinétiques peuvent être utilisés de manière prolongée sans craindre d’entraîner des lésions des plexus nerveux.
  5. En l’absence d’études de stratégie thérapeutique, il est recommandé de débuter le traitement de la constipation par des macrogols ou des
    mucilages puis de l’adapter en fonction des symptômes et de leur sévérité.

LIENS D’INTÉRÊTS

Conseil scientifique : Alnylam

Animation de réunions : Mayoly Spindler, Jansen, Tillots

MOTS-CLÉS

Constipation, laxatifs, traitements

Introduction

Une définition simpliste de la constipation pourrait être l’existence de défécations non ou insuffisamment satisfaisantes pour le patient, conséquences de selles peu fréquentes, de difficultés à l’exonération, voire des deux. La persistance de symptômes au-delà de 3, voire 6 mois permet de poser un diagnostic de constipation chronique. Nous n’aborderons dans cette mise au point que les objectifs pédagogiques impartis. Il faut toujours garder

à l’esprit que la constipation peut révéler une pathologie organique qu’il faudra rechercher en faisant les examens nécessaires selon le contexte et qu’une constipation peut être induite ou aggravée par de nombreux médicaments. La constipation chronique est un symptôme fréquent. Dans une méta-analyse reprenant 45 études, sa prévalence globale est de 14 % : elle augmente avec l’âge, elle est deux fois plus fréquente chez la femme que chez l’homme, mais elle est indépendante du niveau socio-économique (1). La constipation chronique entraîne une altération de la qualité de vie de manière similaire à des pathologies considérées comme graves telles que le diabète, la broncho-pneumopathie obstructive ou la dépression (2). Il n’est donc pas étonnant que la constipation génère un certain nombre d’idées reçues et souvent fausses car non basées sur les faits (3).

Savoir différencier les différents types de constipation

Il est habituel de différencier la constipation de transit, secondaire à une augmentation du temps de transit dans le côlon, de la constipation distale secondaire à des troubles de l’évacuation liés à un asynchronisme abdomino-pelvien ou un trouble de la statique pelvienne (rectocèle, intussusception). La définition de la constipation fonctionnelle repose sur les critères de Rome IV (tableau 1) (4). Ces critères associent des symptômes qui évoquent un ralentissement du transit colique, la diminution de la fréquence hebdomadaire des selles, mais aussi des symptômes qui évoquent une constipation distale comme une sensation d’évacuation rectale incomplète, une sensation de blocage ano-rectal ou la nécessité pour le patient de recourir à des manœuvres défécatoires (manœuvres d’extraction digitales, support périnéal). Les critères de Rome IV incluent également la forme et la consistance des selles appréciées par l’échelle de Bristol (figure 1).

Présence de 2 ou plus des signes suivants
Effort de poussée dans plus de 25 % des défécations
Scybales ou selles dures (Bristol 1 ou 2) dans plus de 25 % des défécations
Sensation d’évacuation rectale incomplète dans plus de 25 % des défécations
Sensation d’obstruction/blocage ano-rectal dans plus de 25 % des défécations
Manœuvres manuelles pour faciliter l’évacuation des selles (manœuvres digitales, support périnéal) dans plus de 25 % des défécations
Moins de 3 évacuations spontanées par semaine
Des selles liquides sont rarement présentes sans prise de laxatifs
Absence de critères suffisant pour un diagnostic de syndrome de l’intestin irritable
Tableau 1 : Critères de Rome IV pour le diagnostic de constipation fonctionnelle.
Les symptômes doivent être présents durant les 3 derniers mois et être apparus au moins 6 mois auparavant (4)

 

Figure 1 : Échelle de Bristol appréciant la forme et la consistance des selles (4)

Chez les patients ayant moins de 3 selles par semaine, la fréquence des selles n’est pas corrélée au temps de transit colique (5). En revanche, la consistance des selles est bien corrélée au temps de transit colique, les patients ayant des selles Bristol 1 ou 2 ayant une augmentation significative du temps de transit (4). Les signes cliniques évoquant une constipation distale sont également mal corrélés à la présence d’un asynchronisme mis en évidence par un test objectif, l’expulsion d’un ballon intra-rectal (6). Sans recourir à des tests exploratoires, le toucher rectal dynamique, qui consiste à demander au patient de faire des efforts de poussée durant l’examen, a une bonne sensibilité (75-93 %) et une bonne spécificité (59-87 %) pour mettre en évidence une dyssynergie (7,8). La sensibilité et la spécificité des manœuvres digitales endo-anales ou endo-vaginales pour rechercher un trouble de statique pelvienne (rectocèle ou prolapsus non extériorisé) ne sont pas rapportées dans la littérature. Leur présence lors de l’interrogatoire doit orienter vers des explorations morphologiques adaptées comme la défécographie ou la déféco-IRM selon la disponibilité (avis d’expert).

Finalement, selon Rome IV seul le recours à des techniques d’explorations fonctionnelles permet de différencier avec certitude la constipation de transit de la dyssynergie ano-rectale (9). Le test le plus simple, ne nécessitant aucun matériel spécifique sophistiqué, est le test d’expulsion d’un ballonnet rempli d’eau jusqu’au volume de sensation constante. Il est normal si le patient l’évacue en moins de 60 secondes. Un test normal permet d’éliminer une dyssynergie avec une spécificité de 89 % et une valeur prédictive négative de 97 %. La manométrie ano-rectale, si possible haute résolution, reste l’examen de référence pour mettre en évidence une dyssynergie. La mesure du temps de transit colique par les techniques des marqueurs radio-opaques est la méthode de référence pour poser un diagnostic de constipation de transit (figure 2), les valeurs normales dans la population française ont été définies en 1994 (10).


Figure 2 : Mesure du temps de transit colique
Le patient ingère chaque jour, pendant 7 jours, une capsule contenant 10 marqueurs radio- opaques, le 8e jour un ASP est réalisé. Le temps de transit colique (TTC) est calculé de la manière suivante : nombre de marqueurs x 2,4 = TTC en heures
Limites supérieures des valeurs normales (moy + 2 DS) : homme 76,8 h ; femme 91,2 h d’après référence (10).

En pratique quotidienne, le recours à un interrogatoire soigneux et à un examen ano-rectal dynamique est suffisant pour tenter de différencier la constipation de transit et la constipation distale. Les examens complémentaires ne sont utiles que chez les patients ayant des formes sévères ou rebelles aux traitements.

Connaître les règles hygiéno-diététiques validées Constipation et activité physique

Chez le sujet sain, une activité physique diminue le temps de transit colique. Plusieurs études ont cherché à montrer une relation entre diminution de l’activité physique, en dehors de l’alitement prolongé, et constipation et à l’inverse entre reprise d’une activité physique et amélioration du transit chez des patients constipés, sans effet net sous réserve d’effectifs peu importants (11). Une enquête de population récente menée chez près de 10 000 personnes n’a pas retrouvé de lien significatif entre la diminution de l’activité physique et la constipation (12). À défaut de montrer clairement une efficacité sur le symptôme constipation, il est utile et nécessaire d’inciter les patients à avoir une activité physique régulière pour lutter contre la sédentarité et diminuer les facteurs de risque cardio-vasculaires.

Constipation et apports hydriques

À l’exception des situations extrêmes de stress hydrique avec des apports totaux inférieurs à 500 ml/24 h qui entraînent une diminution du poids de selles, il n’y a aucune relation entre le poids des selles et la quantité d’eau ingérée (3). Quatre études randomisées récentes ont montré que des apports quotidiens de 0,5 à 1 litre d’eau minérale riche en magnésium augmentaient significativement (15 à 20 %) le nombre de selles hebdomadaires (13) . Cet effet bénéfique est sans doute dû à l’effet laxatif du magnésium.

Constipation et pruneaux, kiwis et figues

Le pruneau séché, du sud de la France ou d’ailleurs, a la réputation d’améliorer le transit. Trois études randomisées ont montré que le pruneau (de Californie) (14), la figue séchée (15) et des extraits de kiwi (16) augmentaient significativement, mais de manière modeste, le nombre de selles hebdomadaires. Il est probable que cet effet est dû à l’accumulation de sorbitol dans les fruits secs lors des processus de dessiccation.

Fibres et constipation

Les fibres sont des résidus alimentaires non digérés par l’intestin grêle. Il faut différencier, les fibres insolubles, comme le son de blé et les fibres solubles, comme le psyllium. Les fibres insolubles augmentent le contenu en eau dans le grêle, accélèrent le transit intestinal et colique et augmentent le nombre de selles (17). Mais le son contient des fibres fermentescibles qui peuvent aggraver certains symptômes associés à la constipation comme la douleur, les ballonnements, les flatulences (18). Les fibres solubles que l’on retrouve dans les gommes et les mucilages augmentent le contenu en eau dans le grêle et le côlon, le poids des selles et leur fréquence mais n’augmentent pas les gaz (19).

Plusieurs enquêtes ont montré que, dans une alimentation de type occidental, les apports quotidiens en fibres sont insuffisants, de l’ordre de 60 % de la dose recommandée qui est comprise entre 25 et 40 g par jour. Il est communément admis qu’une alimentation pauvre en fibres est un facteur de constipation, donc qu’une supplémentation est nécessaire. Cependant, dans des études anciennes, il n’a jamais été clairement montré que la constipation était plus fréquemment associée à une diminution des apports en fibre alimentaire (3). Deux études récentes (20,21) avec une définition stricte de la constipation, issues de la même cohorte de sujets, retrouvaient des résultats opposés : dans l’une un apport en fibre insuffisant n’est pas associé à la constipation, alors que dans l’autre un apport en fibre insuffisant est associé à la constipation. Finalement, il existe davantage d’études qui ne retrouvent pas de corrélation entre une diminution des apports en fibre et la constipation, mais il n’est pas possible de conclure avec certitude. Une supplémentation en fibres, qui sont alors considérées comme un laxatif de lest, fait partie des recommandations habituelles. Dans une revue systématique de 2011, Suares et al. (22) avaient identifié 6 études randomisées comparant les fibres solubles ou insolubles à un placebo dans le traitement de la constipation. Les résultats suggéraient un certain degré d’efficacité des fibres, solubles ou insolubles, mais avec un niveau de preuve faible selon les auteurs. Une méta-analyse de 7 études randomisées contre placebo publiée en 2016 (23) a montré que les fibres amélioraient la constipation par rapport au placebo (OR de réponse : 1,71, 95 % CI 1,20-2,42, P = 0.003) en augmentant le poids des selles et en améliorant leur consistance, au détriment d’une augmentation des flatulences. Le niveau de preuve était également faible. Aucune des études retenues ne faisait d’analyse en intention de traiter, les régimes alimentaires n’étaient pas contrôlés. Les doses testées étaient comprises entre 10 et 20 g par jour (23). L’efficacité d’une supplémentation en fibre semble plus importante pour des doses quotidiennes supérieures à 15 g. Les auteurs de ces deux articles soulignaient la nécessité de réaliser des études de bonne qualité pour conclure définitivement. Une seule étude a cherché à déterminer l’efficacité des fibres selon le mécanisme de la constipation : 80 % des patients ayant une constipation de transit et 63 % de ceux avec constipation distale ne répondaient pas à une supplémentation en fibres (24).

En conclusion, une supplémentation en fibre en tant que laxatif de lest est probablement efficace dans le traitement de la constipation chronique mais il n’est pas possible de conclure avec certitude sur la base des rares études randomisées publiées.

Connaître les différentes classes de laxatifs et leurs mécanismes d’action

Les laxatifs sont largement utilisés dans le traitement de la constipation chronique et, dans leur immense majorité, sont en vente libre sans prescription (tableau 2). Toutes les études testant l’efficacité d’une molécule ont été réalisées sur le court terme, 4 à 12 semaines au maximum, ce qui reste bref par rapport à la durée du traitement pris par les patients pour une pathologie chronique.

 

 

Type de laxatif

 

 

Mécanisme d’action

Essais randomisés ayant montré une efficacité
Laxatifs de lest Fibres insolubles Son de blé Augmentation du contenu en eau dans le grêle, Accélération du transit intestinal et colique Augmentation du nombre de selles OUI
Fibres solubles Psyllium, gommes, mucilages Augmentation du contenu en eau dans le grêle et le côlon, Augmentation du poids des selles et leur fréquence OUI
Laxatifs

osmotiques

Sucrés Lactulose, lactitol, sorbitol… Sucres non absorbés, agissant par leur pouvoir osmotique OUI
Salés Macrogols PEG non absorbé agissant par son pouvoir osmotique OUI
Laxatifs

lubrifiants

Huile de paraffine Agent lubrifiant NON

OUI en association avec lactulose

Laxatifs stimulants Bisacodyl Prodrogue métabolisée par le microbiote Stimule la motricité OUI
Anthraquinone, sénnosides Prodrogue métabolisée par le microbiote Stimule la motricité NON
Prucalopride Agoniste 5-HT4 Stimule la motricité OUI
Pyridostigmine Inhibiteur de l’acétylcholine estérase Stimule la motricité NON
Autres Linaclotide Agoniste de la guanylate cyclase Effet sécrétoire dans le côlon OUI
Lavements Favorise évacuation rectale NON
Suppositoire Glycérine Favorise évacuation rectale NON
Glycérine + CO2 Favorise évacuation rectale OUI
Tableau 2 : Différents type de laxatifs et mécanismes d’action.

Les laxatifs osmotiques

En générant un gradient osmotique, les laxatifs osmotiques agissent en retenant de l’eau dans la lumière colique qui va entraîner une augmentation du volume fécal et peut-être augmenter les contactions digestives, même si ce dernier mode d’action n’a jamais été prouvé chez des patients constipés. On distingue les laxatifs osmotiques sucrés et les laxatifs osmotiques salés.

Les laxatifs osmotiques sucrés

Il s’agit de sucres qui ne sont pas absorbés par l’intestin. Ils comprennent le lactulose, le lactitol, le sorbitol, le mannitol et le glycérol. Le lactulose a été le sucre le plus testé dans les essais. Peu d’études randomisées contre placebo ont été publiées (25), elles étaient toutes de qualité médiocre avec plusieurs biais d’analyse. Cependant, le nombre de patients à traiter pour en améliorer un (Number Need to Treat ou NNT) est de 4 (IC 95 % 2-7). Les effets secondaires sont essentiellement les douleurs abdominales et les flatulences.

Les laxatifs osmotiques salés

Il s’agit de polyéthylène glycol (PEG) ou macrogol, substance non absorbable initialement utilisée à forte dose pour la préparation à la coloscopie. Il existe deux formes chimiques de macrogol : le 3350 et le 4000, sans aucune différence d’efficacité. De nombreuses études de bonne qualité testant l’efficacité des macrogols contre placebo ou contre lactulose ont été publiées dans la littérature et plusieurs méta-analyses confirment leur efficacité dans le traitement de la constipation chronique et leur supériorité par rapport au placebo et au lactulose (25,26). Les macrogols augmentent le nombre des selles (augmentation de 1,98 selles/semaine par rapport au placebo, de 1 selle/semaine par rapport au lactulose), diminuent leur consistance, diminuent les efforts de poussée. Le NNT est de 3 (IC 95 % 2-4). Certaines formes commercialisées contiennent également des électrolytes sans qu’il ait été montré que cela avait un quelconque intérêt en termes d’efficacité ou de tolérance (27). Les formes commercialisées en France varient essentiellement par le contenu en macrogol de chaque dose unitaire allant de 2,95 g par dose à 13,125 g par dose. Il n’y a pas de dose recommandée, il faut se baser sur l’évolution des symptômes sous traitement. L’effet secondaire le plus souvent rapporté est la diarrhée qui signe plutôt un surdosage qu’un véritable effet indésirable.

Les laxatifs lubrifiants

Ils sont représentés par l’huile de paraffine qui est censée agir en lubrifiant le contenu ou la paroi colique. Il n’y a aucune étude randomisée comparant la paraffine à un placebo. Chez l’adulte, une seule étude randomisée récente (28) a comparé une association paraffine (4,3 g)-lactulose (3,5 g) à la prise de PEG (13,125 g). Il s’agissait d’une étude de non-infériorité. Les deux traitements étaient aussi efficaces sur le critère principal, le PAC-SYM un questionnaire symptomatique validé (29), que sur l’augmentation du nombre de selles. À forte dose, il est classique de dire que l’huile de paraffine peut induire un suintement anal ; son utilisation est contre indiquée en cas de troubles de la déglutition compte tenu du risque de pneumopathie d’inhalation sévère.

Les laxatifs stimulants et colokinétiques

Les laxatifs stimulants agissent en augmentant la motricité colique et donc en favorisant la progression des selles. Les colokinétiques sont la version « moderne » des laxatifs stimulants. Ils ont été développés ces dernières années sur la base de critères d’évaluation stricts édictés par les agences de santé avec comme critère de jugement principal une augmentation significative du nombre de selles spontanées avec sensation d’évacuation complète.

Bisacodyl

Le bisacodyl est une prodrogue qui va subir un métabolisme colique permettant de libérer la substance active qui va avoir une action sur la motricité colique. Bien que commercialisé depuis de nombreuses années (AMM obtenue en France en 1963), ce n’est que récemment que 3 études randomisées contre placebo bien menées avec des objectifs clairs ont montré que le bisacodyl augmentait significativement le nombre de selles spontanées (augmentation de 1,7 à 3 selles spontanées/semaine par rapport au placebo) (30). Compte tenu de son mécanisme d’action, la prise du traitement doit être effectuée au mieux la veille au soir pour une efficacité le lendemain. Sur le court terme, la tolérance est bonne, la douleur abdominale et la diarrhée étant les effets secondaires les plus fréquents. Une prise excessive de bisacodyl entraînant des selles liquides et abondantes pourrait entraîner une hypokaliémie qui peut favoriser des troubles du rythme cardiaques chez des patients sous anti-arythmiques du type digitaliques, amiodarone ou autres médicaments susceptibles d’induire une torsade de pointe.

Anthraquinones

Les anthraquinones regroupent les sénnosides A et B et l’écorce de cascara. Ce sont des dérivés du séné. Les sénnosides sont métabolisés par le microbiote colique aboutissant à la production d’un métabolite actif, comme le bisacodyl, suggérant qu’une prise le soir permet des évacuations le matin. Il n’y a aucune étude randomisée publiée rapportant l’efficacité des sénnosides dans la prise en charge de la constipation chronique. Ils sont disponibles sous forme de comprimés et dans de multiples « tisanes, thé… » et autres préparations à visée laxative disponibles dans le commerce sans aucun contrôle Leur prise prolongée, plusieurs mois ou années, peut entraîner l’apparition d’une coloration brun noir du côlon, ou mélanose colique, qui est en fait liée au dépôt de lipofuscine au sein de l’épithélium colique. Cet aspect régresse après sevrage en quelques semaines ou quelques mois et n’expose à aucune complication spécifique.

Pyridostigmine

La pyridostigmine est un inhibiteur de l’acétylcholine estérase. Elle stimule les contractions digestives à tous les niveaux, dont le côlon. La forme injectable, la néostigmine, a démontré son efficacité par voie intraveineuse dans les formes sévères de colectasie sans obstacle (syndrome d’Ogilvie) (31). Aucune étude démontrant une efficacité n’a été rapportée dans le traitement de la constipation chronique idiopathique, à l’exception d’une étude contre placebo, effectuée chez 30 patients diabétiques avec constipation chronique dont plus de 60 % avait une dysautonomie, qui montrait une efficacité du traitement (32).

Prucalopride

Le prucalopride est un colokinétique, agoniste des récepteurs de type 4 à la sérotonine (5-HT4). Il stimule la motricité digestive, en particulier colique. Plusieurs études et méta-analyses (33) ont montré que le prucalopride à la dose de 2 mg/j (1 mg/j chez le sujet âgé) augmentait significativement le nombre de selles spontanées par semaine. Selon des critères stricts, environ 25 à 30 % des patients sont répondeurs et environ 25 à 30 % des patients sont améliorés sans répondre à la définition de répondeur. Une étude avec un suivi à long terme (18 mois) a montré que chez les répondeurs l’efficacité se maintient avec le temps (34). Il s’agit de la seule étude publiée rapportant l’efficacité à long terme d’une molécule utilisée pour le traitement de la constipation.

Autres traitements médicamenteux

Le linaclotide est un agoniste de la guanylate cyclase. Il ne semble pas modifier le transit colique mais augmente les sécrétions coliques. À la dose de 290 mg/j, il a montré son efficacité au cours de plusieurs études randomisée de très bonne qualité dans le traitement de la constipation chronique (33). Cette molécule dispose d’une AMM européenne. Elle n’est pas commercialisée en France mais est disponible dans plusieurs pays de l’union européenne.

Lavements et suppositoires

Chez les patients ayant une constipation distale, il est recommandé d’utiliser, voire de privilégier, les traitements par voie basse.

  • Lavements

Aucune étude randomisée montrant une efficacité des lavements dans le traitement de la constipation chronique n’a été rapportée dans la littérature. Ils sont considérés comme des traitements de « sauvetage » pour passer un cap et attendre qu’un traitement laxatif oral produise son effet (11).

  • Suppositoires

L’efficacité de suppositoires à la glycérine ou de suppositoires de bisacodyl n’a jamais été rapportée dans la littérature. En revanche, chez des patients ayant un syndrome dyschésique, l’efficacité de suppositoires libérant du CO2 est significativement supérieure au placebo (35).

Aucune n’a démontré une quelconque toxicité sur le long terme des traitements par voie basse, suppositoires ou lavements.

Place des associations thérapeutiques

Chez des patients ayant une constipation difficile à traiter, l’association de molécules ayant des mécanismes d’action différents, par exemple mucilage et macrogol ou macrogol et colokinétique, est assez logique. Aucune étude randomisée permettant d’affirmer la supériorité de ce type d’approche n’a été rapportée dans la littérature.

  • Savoir combattre les idées reçues sur l’utilisation des laxatifs

« Les laxatifs stimulants sont irritants »

Les laxatifs stimulants ont longtemps souffert d’un certain ostracisme car supposés entraîner une atteinte des cellules nerveuses coliques, au point d’être longtemps classés comme des laxatifs «irritants». Sur la base d’un cas clinique publié en 1968 rapportant le cas d’un patient colectomisé pour constipation sévère avec une longue histoire de prise de laxatifs, chez qui l’examen anatomo-pathologique retrouvait des anomalies des plexus nerveux (36), il a été longtemps dit et écrit qu’il fallait utiliser ces traitements avec parcimonie et uniquement sur le court terme avec un suivi   médical strict. On sait maintenant que ces lésions nerveuses, retrouvées chez environ 50 % des patients (37), sont la cause de la constipation et non la conséquence du traitement.

« La prise chronique de laxatifs entraîne une augmentation du risque de cancer colique »

Des études anciennes publiées dans les années 80 et 90 retrouvaient une association entre constipation et survenue d’un cancer colique. De même, des études chez l’animal semblaient montrer que la prise chronique d’anthraquinone induisait des anomalies histologiques au niveau des cryptes considérées comme précancéreuses (3). Une étude de population suédoise très bien menée vient de montrer qu’il n’y avait aucune association entre constipation, qui était définie par la prise de laxatifs, et survenue d’un cancer colique (38).

« La prise chronique de laxatifs entraine des troubles hydro-électrolytiques »

C’est sur cette hypothèse que certaines formes commerciales de macrogols contiennent des électrolytes. Aucune des études cliniques publiées ne rapporte d’anomalies significatives du ionogramme sanguin ou de la fonction rénale durant la prise du traitement. Cependant, la durée de ces études était brève (4 à 12 semaines) alors que la constipation est une maladie chronique nécessitant une prise de traitement au long cours. À l’exception des patients qui font un mésusage des traitements car uniquement satisfait par l’émission de selles liquides et abondantes qui pourraient entraîner une hypokaliémie, aucun signal de pharmacovigilance n’a été rapporté concernant la prise chronique de laxatifs.

  • Savoir utiliser les laxatifs en fonction des différents types de constipation

La constipation chronique est, par définition, une maladie chronique qui va donc nécessiter un traitement au long cours. Il est important de l’expliquer au patient. Une enquête menée dans plusieurs pays a montré qu’environ 30 % des patients constipés et prenant un traitement laxatif n’étaient pas satisfaits du fait d’une efficacité insuffisante du traitement ou d’effets secondaires (39).

L’objectif thérapeutique d’un traitement laxatif est d’obtenir une selle d’évacuation facile et de consistance normale (Bristol 3-4) au mieux tous les jours ou tous les deux jours, ou bien de soulager le patient de manière satisfaisante. Des selles liquides sont le signe d’un surdosage thérapeutique, des selles insuffisamment fréquentes ou dures d’un sous-dosage. Il faut retenir que les patients consultant pour prise en charge d’une constipation ont en général testé au moins 3 traitements disponibles en vente libre (40). Aucune étude de stratégie thérapeutique n’a été rapportée dans la littérature ; il faut donc avoir une attitude pragmatique et progressive basée sur la sévérité et l’intensité des symptômes évaluées par l’interrogatoire et l’examen clinique.

Même si le niveau de preuve est faible, il est recommandé de donner au patient des recommandations hygiéno-diététiques avec une alimentation variée équilibrée, une activité physique pour lutter contre la sédentarité et des apports hydriques normaux (11).

Quel que soit le type de constipation évoqué, il est recommandé de débuter le traitement par des mucilages ou des laxatifs osmotiques, en privilégiant les macrogols (11). L’association de mucilages et d’un laxatif osmotique (macrogols ou lactulose) n’a fait l’objet d’aucune étude clinique. L’horaire de prise est peu important, aux doses standards l’efficacité du traitement se faisant sentir 36 à 48 heures après son début. Le dosage doit être adapté à la fréquence, à la consistance des selles et aux éventuels effets indésirables. Plutôt que définir des doses strictes, il est important d’expliquer au patient que c’est à lui de gérer le traitement. En cas de signes cliniques évoquant une constipation distale, l’utilisation de suppositoires facilitant l’évacuation des selles est recommandée (11). En cas de constipation distale, la rééducation d’un éventuel asynchronisme abdomino-périnéal par un kinésithérapeute spécialisé ou la correction d’un éventuel trouble de la statique pelvienne sont des options thérapeutiques à considérer.

En l’absence d’amélioration, il est alors recommandé d’utiliser des laxatifs stimulants. Compte tenu de son métabolisme, la prise de bisacodyl doit être préconisée le soir pour avoir une exonération le matin. À l’inverse, la prise de prucalopride doit être préconisée le matin.

Conclusion

La constipation chronique est une pathologie fréquente. Son traitement repose sur les laxatifs dont l’utilisation est assez simple et qui sont dénués de risques. Cependant, certaines idées reçues reposent sur des études anciennes avec des niveaux de preuve faible. Il serait souhaitable de réaliser de nouvelles études reposant sur des critères stricts avec une méthodologie de qualité ; il est peu probable qu’elles voient le jour.

Références

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