Prise en charge de la carcinose péritonéale d’origine colique
POST'U 2022
Cancérologie
Objectifs pédagogiques
- Savoir diagnostiquer la carcinose péritonéale d’origine colique
- Connaître la place de la chirurgie de la lésion primitive colique en cas de carcinose synchrone
- Connaître les indications et résultats de la chirurgie de la carcinose péritonéale d’origine colique
- Connaître la place des chimiothérapies intra-péritonéales
- Connaître les traitements symptomatiques, leurs indications et leurs résultats
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Nous vous invitons à tester vos connaissances sur l’ensemble des QCU tirés des exposés des différents POST'U. Les textes, diaporamas ainsi que les réponses aux QCM seront mis en ligne à l’issue des prochaines journées JFHOD.
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Les 5 points forts
- Les métastases péritonéales du cancer colo-rectal (MPCCR) sont le plus souvent diagnostiquées tardivement, à un stade avancé, avec une survie globale médiane de 16 mois.
- L’intérêt de la chimiohyperthermie intrapéritonéale (CHIP) associée à la chirurgie de cytoréduction complète (CCRS) est actuellement remise en cause.
- Après diagnostic de MPCCR, une CCRS doit être discutée. L’indication doit être validée par une RCP de recours.
- Après résection d’un cancer colo rectal à haut risque de MPCCR, une CHIP adjuvante n’est pas recommandée hors essai clinique.
- L’administration de chimiothérapie intra péritonéale en situation palliative sans résection associée, notamment par la technique dite de PIPAC, n’est pas recommandée hors essai clinique.
LIEN D’INTÉRÊTS
Aucun
MOTS-CLÉS
Métastase péritonéale, cancer colorectal, cytoréduction complète
Introduction
Le cancer colorectal (CCR) est le troisième cancer le plus fréquent dans le monde (1), avec une maladie métastatique synchrone chez 20 % des patients (2) localisée uniquement dans le péritoine chez 4 % (3). De plus, après résection de la tumeur primitive, une récidive survient chez 15-20 % des patients (4-7) ; le péritoine étant le troisième site de récidive le plus fréquent après le foie et les poumons (4), avec un taux de métastases péritonéales variant de 8 à 20 % (6). Les métastases colorectales péritonéales (MPCCR) sont le plus souvent diagnostiquées à un stade avancé, compte tenu de l’absence de signes cliniques et radiologiques spécifiques, et sont donc associées à un mauvais pronostic, avec une survie globale médiane de 16 mois pour les patients recevant uniquement une chimiothérapie systémique (8). Le pronostic des patients atteints de MPCCR a été amélioré par le développement d’une nouvelle approche thérapeutique consistant en une chirurgie complète de cytoréduction (CCRS) des nodules tumoraux péritonéaux suivie d’une chimiohyperthermie intrapéritonéale (CHIP). Depuis, la survie des patients a été significativement améliorée, atteignant 40 % à 5 ans (9), du fait d’une meilleure connaissance de la maladie, des facteurs pronostiques et d’une meilleure sélection des patients. Ces résultats ont conduit le National Comprehensive Cancer Network à enregistrer cette option thérapeutique dans sa dernière version (10) et à déclarer que « la chirurgie de cytoréduction complète associée à une chimiothérapie intrapéritonéale peut être envisagée dans des centres expérimentés pour des patients sélectionnés avec une maladie péritonéale limitée pour lesquelles une résection R0 peut être réalisée ».
Diagnostic des métastases péritonéale d’origine colorectale
Les MPCCR sont le plus souvent diagnostiquées à un stade avancé en raison du peu de symptômes au stade initial de la maladie. Les manifestations cliniques peuvent correspondre à un syndrome occlusif, des douleurs abdominales, une distension abdominale liée à la présence d’une ascite, ou à une altération de l’état général. À l’examen physique, les MPCCR peuvent être associées à des nodules pariétaux, notamment au niveau des cicatrices (de laparotomie, de stomie, d’orifices de trocart, de drains) et de l’ombilic (appelé nodule de Sœur Marie-Josèphe).
La tomodensitométrie (TDM) thoraco-abdomino-pelvienne non injectée, et injectée aux temps artériel et portal est l’examen de référence et permet de détecter les MPCCR avec une sensibilité variant de 25 % à 96 % et une spécificité d’environ 85 % (11,12). Les zones à explorer en priorité, au niveau des lesquelles les nodules sont le mieux visibles, sont localisées en sous-pariétal antérieur, au niveau de l’épiploon, dans les gouttières pariéto-coliques et au niveau du cul-de-sac de Douglas. Les performances de la TDM sont nettement diminuées pour l’exploration des zones inter- anses, et la détection des lésions infra-centimétriques.
L’IRM abdominale avec séquence de diffusion pourrait permettre d’améliorer les résultats de la TDM et aurait une meilleure sensibilité notamment pour la détection des tumeurs mucineuses (13,14). Ses performances augmentent si elle est réalisée par des radiologues experts, selon un protocole d’acquisition décrit par le groupe RENARAD (15), et interprétée de manière concomitante avec la TDM (16). Mais la principale limite de l’IRM reste également la détection des lésions péritonéales infracentimétriques avec une sensibilité de 74 % mais une spécificité de 97 % (17).
La tomodensitométrie à émission de positons (TEP) au 18-FDG couplée au scanner TAP n’offre pas une meilleure sensibilité ou spécificité pour le diagnostic de MPCCR, qui sont de 87 % et de 92 %, respectivement (18). Elle peut être utile pour diagnostiquer des métastases extra-péritonéales avant traitement chirurgical des MPCCR, ou pour aider à caractériser un nodule visible sur la TDM.
La cœlioscopie exploratrice avec biopsies des lésions péritonéales permet de confirmer le diagnostic histologique de MPCCR. Les trocarts doivent être placés sur la ligne médiane afin d’éviter d’ensemencer le péritoine pariétal. Elle est indiquée pour confirmer un diagnostic histologique, ou pour évaluer la résécablité des lésions en cas de doute sur l’imagerie (19), cependant, l’étendue des lésions est généralement sous-estimée lors de la cœlioscopie (20).
Chirurgie de cytoréduction complète
Depuis les années 2000, un traitement, combiné par chirurgie de cytoréduction complète (CCRS) et CHIP chez les patients sélectionnés, a permis de prolonger la survie médiane des patients ayant des MPCCR, à plus de 40 mois (21-24), ce qui est nettement supérieur à la survie de 16 mois rapportée après traitement par chimiothérapie systémique seule (8).
La cytoréduction chirurgicale consiste en l’exérèse, ou destruction, de tous les implants tumoraux intra-abdominaux macroscopiquement visibles. La CHIP consiste en l’administration d’un bain de chimiothérapie chauffé (à 41-42°C selon les protocoles), pendant 30 à 90 minutes selon les protocoles, à l‘issue de la résection complète des lésions. Ce standard thérapeutique a été récemment remis en cause suite aux résultats de l’étude randomisée PRODIGE 7 (25). En effet, les résultats de cet essai multicentrique français n’ont pas montré de différence en termes de survie globale entre les patients traités par CCRS plus CHIP à l’oxaliplatine forte dose et courte durée (460 mg/m², 30 minutes, avec 5-FU intraveineux [IV] concomitant) versus CCRS seule, respectivement 41,7 mois et 41,2 mois (p = 0.99). Cependant, il faut souligner la qualité de la chirurgie, puisque 90 % des patients avaient une chirurgie complète avec des résidus tumoraux <1 mm, et la survie bien supérieure à celle attendue dans le bras sans CHIP. Ceci confirme les progrès faits dans le traitement de cette pathologie et valide le bénéfice de la résection complète. Concernant l’administration de la CHIP, elle pourrait se justifier dans certaines indications, sans que l’on ait actuellement de fort niveau de preuve, telles que : MPCCR mucineuses, seconde cytoréduction, MPCCR résistantes à la chimiothérapie intraveineuse, MPCCR et très bonne réponse à la chimiothérapie systémique. L’utilisation de l’oxaliplatine a été remise en cause, et actuellement la drogue utilisée est préférentiellement la mitomycine C. Un essai randomisé de phase 3 comparant CRS + CHIP à la mitomycine C versus CRS seule, est actuellement en cours en Espagne. Ainsi, une réunion d’experts français s’est tenue en novembre 2018 et s’est accordée sur les points suivants concernant le traitement chirurgical des patients ayant des MPCCR (26) :
- un avis auprès d’une RCP de recours doit être pris,
- la CCRS doit être radicale, par laparotomie xypho-pubienne,
- une CHIP à la mitomycine C peut être proposée, par une équipe experte et si la morbidité attendue est raisonnable.
La chirurgie de cytoréduction complète est à proposer à des patients sélectionnés en respectant certaines contre-indications que sont :
- un âge physiologique de plus de 70 ans,
- un statut OMS/ECOG supérieur à 2,
- la présence de co-morbidités majeures associées (insuffisance rénale, cardiaque, hépatique ou respiratoire sévères, diabète non contrôlé),
- une dissémination métastastique extra-péritonéale (hormis 1 à 3 métastases hépatiques facilement résécables ou destructibles par thermo- ablation),
- une carcinose non résécable en totalité (R0/R1),
- un index péritonéal de Sugarbaker (figure 1) supérieur à 20.
Les contre-indications relatives sont :
- une progression de la maladie sous chimiothérapie systémique,
- un état occlusif ou sub-occlusif témoignant souvent d’une maladie péritonéale étendue,
- une dénutrition majeure.
Les taux de complications après CCRS plus CHIP varient de 20 à 60 % dont 17 à 50 % de morbidités majeures (27,28) et les taux de mortalité de 2,5 à 8 % (25,27,28). Le risque de complications postopératoires est essentiellement lié à l’état général du patient, l’étendue de la maladie et des résections. Dans l’étude PRODIGE 7, les taux de complications (≥ grade 3) à 60 jours étaient supérieurs dans le bras CHIP (24,1 % versus 13,6 %, p = 0,03), probablement en raison d’une augmentation du taux de complications hémorragiques intra-péritonéales liées à l’oxaliplatine ; en revanche, le taux de mortalité postopératoire était similaire (2,5 %) (25). De plus, le rôle du centre expert (plus de 45 procédures par an) apparaît comme majeur, identifié comme facteur indépendant de mortalité à 90 jours dans une étude récemment publiée (29).
Facteurs pronostiques
Dans la littérature, de nombreux facteurs pronostiques ont été identifiés, dont la radicalité de la résection, l’étendue des PMCCR évaluée par le PCI, le statut N+ de la tumeur primitive et l’administration de chimiothérapie postopératoire (30). Récemment, une méta-analyse de 25 études de cohorte a été rapportée, dans le but d’identifier les facteurs de sélection des patients pour CCRS et CHIP (31). La radicalité de la résection est un des facteurs pronostiques majeurs. En effet, la médiane de survie des patients ayant subi une chirurgie incomplète est d’environ 12 mois, similaire ou inférieure à celle des patients traités par chimiothérapie systémique seule. L’étendue de la maladie évaluée par le PCI est l’autre facteur pronostique principal. Dans l’étude d’Elias et al. (30), la survie à 5 ans était directement corrélée au PCI, égale à 44 % lorsque le PCI était faible (< 6), et à 7 % lorsque le PCI était élevé (> 19). Dans une autre étude rétrospective de 180 patients, il a été montré que la CCRS suivie de CHIP n’apportait pas de bénéfice en termes de survie par rapport à la chimiothérapie seule, lorsque le PCI était supérieur à 17 (32). D’autres facteurs pronostiques ont été identifiés :
- la présence de métastases hépatiques associées au PMCCR (33,34). Dans l’étude cas-témoins rapportée par Maggiori et al., la survie médiane était de 40 mois après résection complète des 2 sites métastatiques, lorsque l’étendue de la maladie péritonéale était limitée (PCI <12) et le nombre de métastases hépatiques strictement inférieur à 4, alors qu’il était de 27 mois si le PCI était supérieur et/ ou le nombre de métastases strictement supérieur à 3 (35). Ainsi, la CCRS suivie d’une CHIP associée à une résection complète synchrone (et/ ou thermo-ablation) des métastases hépatiques est une option thérapeutique, et doit être proposée chez les patients sélectionnés avec une maladie métastatique limitée.
- la survenue de complications postopératoires (36). Il est essentiel de s’assurer que le taux de complications reste faible ; pour cela, une meilleure sélection des patients en fonction de leur état général, de leur capacité à supporter ce type de traitement et de l’étendue de l’intervention, est Ceci souligne l’importance de l’évaluation du risque général, nutritionnel et des complications postopératoires, en période préopératoire, afin de préparer au mieux le patient à ce traitement combiné.
- L’adénocarcinome à cellules indépendantes (37), cependant, ce type histologique ne représente pas aujourd’hui une contre-indication au traitement combiné par CCRS plus CHIP ; son impact négatif sur le pronostic doit être pris en compte dans la décision finale, et mis en balance avec les autres facteurs
En cas de métastases péritonéales synchrones
Environ 15 % des patients atteints d’un cancer colorectal présentent au diagnostic ou lors d’une récidive des métastases péritonéales, le péritoine étant le seul site métastatique chez la moitié des patients (3,38).
Dans la littérature, seules deux études rétrospectives (39,40) rapportent les survies de patients atteints de MPCCR synchrones et traités à visée curative par résection complète (R0/R1) sans traitement intra-péritonéal associé, avec des taux de survie globale à 5 ans variant de 22 et 36 %. Les principaux facteurs pronostiques étaient l’étendue de la maladie péritonéale, l’envahissement ganglionnaire, le caractère incomplet de la résection (R2) et la présence d’une extension extra-péritonéale. Dans l’étude de Matsuda et al. (n = 31 patients) (39), après résection complète de la carcinose, peu étendue chez 90 % des patients, la survie sans récidive péritonéale à 5 ans était de 64 %. Dans la seconde série de patients rapportés (40), les taux de complications et de décès après résection de la tumeur primitive et de la carcinose étaient respectivement de 38,7 % et de 6,4 %.
Nous ne disposons pas des résultats de survie à long terme de patients traités par CCRS suivie de CHIP, pour carcinose synchrone. En effet, les séries de la littérature de patients traités par CCRS et CHIP ne différencient pas les patients en fonction du caractère synchrone ou métachrone de la carcinose, car celui-ci ne semble pas être un facteur pronostique (41).
Attitude en cas de découverte peropératoire lors de la résection d’un cancer colorectal :
Il a été démontré que la résection différée des MPCCR, après une chirurgie initiale incomplète, était un facteur indépendant de mauvais pronostic (41,42). Aussi, il a été récemment rapporté que des antécédents de résection de la tumeur primitive sans exérèse de la carcinose synchrone, augmentaient le risque de résections intestinales et de complications lors de la CHIP (43). Enfin, comme nous l’avons vu précédemment, l’impact pronostique de la prise en charge en centre expert est majeur, raison pour laquelle, il apparaît préférable d’adresser ces patients en centre expert lors de la découverte peropératoire de métastases péritonéales.
Par conséquent, en cas de découverte peropératoire de MPCCR synchrones, lors d’une laparoscopie ou d’une laparotomie, et en l’absence de tumeur colorectale symptomatique, il est recommandé de ne pas faire de geste de résection, hormis une biopsie péritonéale pour confirmer le diagnostic et d’orienter le patient vers un centre spécialisé. Si la tumeur primitive est symptomatique, la meilleure option est de réaliser le geste le moins invasif : stomie d’amont ou résection carcinologique de la tumeur primitive uniquement.
Patients à risque de métastases péritonéales colorectales
L’étendue de la maladie mesurée par PCI, même après CCRS, est l’un des principaux facteurs pronostiques de survie, soulignant l’importance majeure de traiter les MPCCR précocement. Malheureusement, les MPCCR sont difficiles à diagnostiquer, que ce soit cliniquement ou radiologiquement. Des facteurs de risque de récidive péritonéale après résection d’un cancer colorectal ont été identifiés (44-48). Il s’agit de :
- MPCCR synchrones, limitées et réséquées totalement lors de la chirurgie initiale,
- métastases ovariennes,
- tumeurs pT4,
- contingent mucineux ou cellules en bague à chaton,
- tumeurs perforées,
- cytologie péritonéale
Chez les patients à haut risque de développer des MPCCR, une approche proactive peut se résumer conceptuellement par deux attitudes distinctes :
(1) le traitement prophylactique, où la CHIP est délivrée lors de la résection tumorale primitive ou (2) une laparotomie de second look associée à une CHIP systématique, réalisée quelques mois après résection de la tumeur primitive. Récemment, 2 essais randomisés ont évalué ces 2 approches proactives :
1/ Chimiothérapie intrapéritonéale hyperthermique adjuvante chez les patients atteints d’un cancer du côlon localement avancé (COLOPEC) (49).
L’objectif de l’essai COLOPEC était d’évaluer l’efficacité d’une CHIP adjuvante précoce à l’oxaliplatine, délivrée soit lors de la résection colique (la même procédure ou à dans un délai inférieur à 10 jours), soit 5 à 8 semaines après, chez des patients atteints de cancer colique T4 (T4N0 – 2,M0) ou perforé. Le critère principal de jugement était la survie sans récidive péritonéale à 18 mois déterminée par tomodensitométrie et/ ou cœlioscopie. L’étude a inclus 204 patients (102 dans chaque groupe). Dans l’analyse en intention de traiter (n = 202), il n’y avait pas de différence de survie sans récidive péritonéale à 18 mois (80,9 % [IC95 % 73,3-88,5] pour le groupe expérimental vs. 76,2 % [68,0-84,4] pour le groupe témoin, p = 0,28).
Par conséquent, les auteurs concluent que chez les patients atteints d’un cancer du côlon T4 ou perforé, le traitement par CHIP à l’oxaliplatine, en adjuvant n’a pas permis d’améliorer la survie sans récidive péritonéale à 18 mois.
2/ Laparotomie de second look plus CHIP versus surveillance chez les patients à haut risque de développer des métastases péritonéales colorectales (PROPHYLOCHIP-PRODIGE 15) (50).
Un essai randomisé multicentrique français a évalué le bénéfice potentiel de la laparotomie et la CHIP à l’oxaliplatine systématiques après 6 mois de chimiothérapie systémique chez des patients atteints de CCR à haut risque de récidive péritonéale, en comparaison à l’attitude standard qu’est la surveillance. Le critère principal de jugement était la survie sans maladie à 3 ans. Les critères d’inclusion étaient la présence de MPCCR limitées synchrones et complètement réséquées pendant la chirurgie de la tumeur colorectale, des métastases ovariennes synchrones et/ ou un CCR perforé. Dans le groupe expérimental, la CHIP a été administrée à 67 (94 %) des 71 patients explorés (MPCCR non résécables découvertes en peropératoire chez 4 patients). Des complications postopératoires majeures (grades 3-4) sont survenues chez 29 (41 %) des 71 patients et aucun patient n’est décédé en postopératoire. L’analyse histologique définitive a identifié des MPCCR chez 26 (37 %) des 71 patients ayant eu une chirurgie de second look. Après un suivi médian de 50,8 mois (IQR 47,0-54,8), 71 patients ont présenté une récidive, majoritairement péritonéale, 36 (48 %) dans le groupe surveillance et 35 (47 %) dans le groupe chirurgie de second look. La survie sans récidive à trois ans était de 53 % (IC à 95 % 41-64) dans le groupe de surveillance contre 44 % (33-56) dans le groupe chirurgie de second look (hazard ratio 0,97, IC à 95 % 0,61 à 1,56 ; p = 0,82). La survie globale était également équivalente à 3 ans [80 % (IC à 95 % 69-88) vs. 79 % (68-87)] et à 5 ans [72 % (60-82) vs. 68 % (55-79)]. Il est important de noter que le but de cette étude était de comparer deux stratégies, et n’a pas été conçu pour évaluer les effets de la CHIP prophylactique elle-même (par opposition à l’essai COLOPEC), puisque la CHIP a également été réalisée en présence de MPCCR découvertes lors du second-look.
Ces deux études, toutes deux négatives pour leurs principaux critères de jugement, démontrent que la CHIP à l’oxaliplatine immédiatement après résection d’un cancer colorectal à risque de MPCCR, ou plus tard après une chimiothérapie adjuvante, ne peut être recommandée. Cependant, les explications possibles des résultats négatifs sont multiples avec plusieurs facteurs contributifs à considérer tels que le moment de l’intervention (trop tôt pour COLOPEC et trop tard pour PROPHYLOCHIP), l’utilisation d’oxaliplatine 30 minutes (récemment montré comme inefficace lorsqu’il est associé à une CCRS dans l’essai PRODIGE 7).
Place des chimiothérapies intra-péritonéales
Le bénéfice de la chimiothérapie intra-péritonéale (IP) est basé sur la relation effet-dose et consiste à intensifier les concentrations locales des cytotoxiques pour augmenter la destruction cellulaire tumorale et/ ou lever les mécanismes de résistance aux drogues. La principale limite de la voie IP est la faible pénétration en profondeur des chimiothérapies dans les nodules tumoraux, celle-ci étant de l’ordre de quelques couches cellulaires à 2-5 mm (51).
Les principales techniques utilisées sont :
- la chimiothérapie intrapéritonéale post-opératoire immédiate (CIPPI),
- la chimiothérapie néoadjuvante systémique et intrapéritonéale (NIPS),
- la chimiothérapie hyperthermique intrapéritonéale (CHIP),
- la chimiothérapie intrapéritonéale pressurisée par aérosol (pressurized intraperitoneal aerosol chemotherapy : PIPAC).
Au cours d’une CIPPI, la chimiothérapie IP est administrée durant les 5 premiers jours post-opératoires en utilisant les drains laissés en place pendant la chirurgie. Cette technique a été progressivement abandonnée principalement en raison de l’augmentation de la morbidité (52).
Durant la NIPS, la chimiothérapie IP est administrée via une chambre implantable placée en sous cutané abdominal et reliée à un cathéter placé en intrapéritonéal. Elle est souvent associée à une chimiothérapie intraveineuse. Cette technique a permis d’obtenir d’améliorer la survie des patient(e) s traité(e)s pour carcinoses ovariennes (53), gastriques (54) et mésothéliomes (55), mais est encore très peu évaluée pour le traitement des MPCCR colorectales.
La CHIP consiste à instiller la chimiothérapie en per-opératoire, dans la cavité intra péritonéale, en utilisant l’hyperthermie comme facteur potentialisateur de la pénétration intratumorale des cytotoxiques. Cette technique a démontré une augmentation de survie globale pour les carcinoses ovariennes (56).
La PIPAC consiste à nébuliser la chimiothérapie en IP lors d’une coelioscopie. La solution liquide de chimiothérapie est transformée en aérosol via une micropompe placée dans un des trocarts de cœlioscopie. L’administration par aérosol favorise la bonne distribution spatiale de la drogue et l’hyperpression de CO2 à 12 mmHg favorise la pénétration intratumorale du cytotoxique.
Dans le cas des MPCCR, l’administration de chimiothérapie intra-péritonéale (en dehors de la CHIP après CCRS) est essentiellement réalisée en situation palliative avec pour but de prolonger la survie des patients en conservant une qualité de vie correcte via un contrôle des symptômes invalidants dominés par l’occlusion et dans une moindre mesure, l’ascite réfractaire. Aucun geste de résection n’est réalisé. La technique la plus
utilisée actuellement pour administrer la chimiothérapie IP est la PIPAC. Les résultats des études rétrospectives sont encourageants. Demtröder et al. ont rapporté les résultats d’une étude réalisée chez 17 patients en bon état général atteints de MPCCR exclusives à un stade avancé (PCI moyen à 16), en échappement thérapeutique d’une chimiothérapie systémique moderne (Folfox ou Folfiri et/ ou cetuximab et/ ou bevacizumab) (57).
Quarante-huit procédures de PIPACs ont été réalisées avec de l’oxaliplatine à la dose de 92 mg/m2. Parmi les 14 patients ayant reçu au moins 2 séances de PIPAC, le taux de réponse complète histologique était de 50 % (7/14) et 4/14 (29 %) patients présentaient une réponse histologique majeure (quelques cellules tumorales isolées au sein d’une fibrose intense). La médiane de survie était de 15 mois. Alayami et al. ont publié dans une revue de la littérature les résultats des PIPACs (58), ayant inclus 4 études prospectives et 41 rétrospectives (838 patients et 1 810 procédures PIPACs), toutes étiologies confondues. La morbidité était faible avec des taux variant de 0 à 11 %. Le taux d’évènements indésirables sévères définis selon CTC-AE de grade > 2 variait de 12 à 15 % et correspondait majoritairement à des occlusions intestinales (0-5 %), des saignements (0-4 %) et des douleurs abdominales (0-4 %). Le taux de mortalité était nul. Pour les MPCCR (1 étude, n = 17 patients), le taux de réponse était de 71 % (en 3e ligne de traitement) avec une médiane de survie de 15,7 mois.
La PIPAC permet également de limiter la dégradation de la qualité de vie mais ne permet pas d’améliorer les symptômes occlusifs. Actuellement, en France, une étude prospective de phase II évalue les résultats oncologiques des PIPACs en situations palliatives des carcinoses du tractus gastro- intestinal (59).
Traitements symptomatiques, indications et résultats
Les symptômes les plus fréquemment observés chez les patients ayant des métastases péritonéales sont ceux liés à une occlusion intestinale et à l’ascite.
Traitement symptomatique de l’occlusion intestinale
L’occlusion intestinale est fréquente chez les patients ayant des métastases péritonéales, avec une incidence variant de 28 % dans les cancer gastro- intestinaux à 51 % dans les cancers de l’ovaire (60). Le traitement est réalisé selon un arbre décisionnel publié en 2014 (61).
La TDM abdomino-pelvienne avec injection de produit de contraste IV permet d’établir le diagnostic d’occlusion et d’en rechercher la cause afin d’établir la conduite à tenir. Il convient de déterminer s’il s’agit d’une occlusion mécanique avec un obstacle visible (tumoral ou bride), ou d’une occlusion fonctionnelle. En l’absence de cause identifiée accessible à un traitement chirurgical, le traitement médical de l’occlusion a été bien codifié et se déroule en 3 étapes (d’après 62). Les moyens utilisés sont :
- les anti-émétiques :
- métoclopramide (Primperan®) : stimule la motricité gastrique et doit être évité en cas d’occlusion complète car il peut aggraver les douleurs à type de
- halopéridol (Haldol®) : antiémétique puissant administré par voie sous-cutanée ou dropéridol (Droleptan®).
- Le butyl bromure de scopolamine (Scoburen®) : atropinique ayant une action antispasmodique, antiémétique et antisécrétoire permettant de réduire le volume sécrétoire gastro-intestinal.
- Les inhibiteurs de la pompe à proton qui réduisent le volume des sécrétions
- Les corticoïdes : largement utilisés en raison de leur action anti-œdémateuse et anti-émétique. Ils doivent être administrés en cure courte.
- Les analogues de la somatostatine : réduisent les sécrétions grêliques et la mobilité gastro-intestinale, et sont utilisés en deuxième intention (figure 2) (63).
- Le traitement de la douleur par administration d’un antalgique de fond type opioïde.
- L’aspiration gastrique par pose de sonde naso-gastrique ce qui permet d’attendre l’action des antisécrétoires. En cas d’aspiration gastrique prolongée, une gastrostomie de décharge peut être proposée, posée par voie endoscopique ou radiologique.
Le traitement chirurgical de l’occlusion tient compte du pronostic de la maladie et du mécanisme de l’occlusion. En cas d’obstacle unique, responsable de l’occlusion, non accessible à un traitement endoscopique par prothèse, une laparotomie pourra être proposée, chez un patient avec un état général conservé OMS 0 ou 1. En revanche, en cas d’obstacles multiples, d’infiltration de la racine du mésentère ou du mésocôlon, d’un état général altéré, de pronostic sombre (survie inférieure à 3 mois), le traitement médical est à privilégier. Dans une méta-analyse de la Cochrane publiée en 2016 (64), les résultats étaient hétérogènes, avec une résolution clinique du syndrome occlusif dans 26 à 68 % des cas en post-opératoire, une reprise de l’alimentation orale dans 30 % à 100 %, et une récidive du syndrome occlusif dans 0 à 63 % des cas. La pose de prothèses endoluminales par voie endoscopique peut permettre de lever certaines occlusions sur carcinose, si l’obstacle a été bien identifié (sténose unique) et est accessible en endoscopie (duodénum-jéjunum proximal et pour le colon distal, à plus de 10 cm de la marge anale (65).
Traitement symptomatique de l’ascite maligne
L’ascite maligne est un facteur de mauvais pronostic, conséquence de l’obstruction tumorale lymphatique et de l’augmentation de la perméabilité vasculaire à l’albumine. L’ascite ne doit être traitée que si elle est symptomatique, le traitement repose sur des ponctions d’ascite itératives associées ou non à une perfusion d’albumine en cas d’évacuation de gros volume. En cas de nécessité de ponctions fréquentes, on peut proposer la mise en place d’un cathéter péritonéal tunnelisé chez les patients ayant une espérance de vie prolongée (66). Il a été montré dans une étude de phase II/
III que l’administration intra-péritonéale de catumaxomab, un anticorps monoclonal trifonctionnel, bi-spécifique qui se lie aux lymphocytes T par l’antigène CD3 et aux cellules tumorales au niveau de l’antigène EpCAM (molécule d’adhésion cellulaire épithéliale), permettait d’espacer de façon significative les délais entre 2 ponctions d’ascite (67). Mais cette molécule n’est pas disponible en France.
Conclusion
Le pronostic des MPCCR a été nettement amélioré par une prise en charge en centre spécialisé où pourra être réalisé une chirurgie de cytoréduction complète associée ou non à une CHIP, après sélection des patients en fonction de leur état général et des facteurs pronostiques liés à la maladie.
De futures études viseront à définir la place de la CHIP et le protocole de CHIP dans le traitement des MPCCR. En l’absence de chirurgie de cytoréduction complète possible, les traitements associent la chimiothérapie veineuse et la mise en place de soins de support dans le cas de symptômes gênants. La place de chimiothérapie intra-péritonéale associée à la chimiothérapie intra-veineuse est en cours d’évaluation.
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