Prise en charge de la maladie de Crohn iléale localisée : Chirurgie ou traitement médical ?
POST'U 2022
MICI
Objectifs pédagogiques
- Connaître la définition et l’histoire naturelle d’une maladie iléale localisée
- Connaître les indications et les résultats du traitement médical
- Connaître les indications de la chirurgie et le risque de récidive post opératoire
- Savoir évaluer le rapport bénéfice/risque d’une chirurgie comparée au traitement médical
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Nous vous invitons à tester vos connaissances sur l’ensemble des QCU tirés des exposés des différents POST'U. Les textes, diaporamas ainsi que les réponses aux QCM seront mis en ligne à l’issue des prochaines journées JFHOD.
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Les 5 points forts
- L’histoire naturelle de la maladie de Crohn iléale à 10 ans est caractérisée par une évolution sténosante ou perforante dans près de 75 % des cas.
- Les biothérapies débutées précocement dans les deux ans suivant le diagnostic semblent modifier l’histoire naturelle de la maladie.
- Les formes iléales inflammatoires non compliquées répondent habituellement au traitement médical. Le traitement chirurgical est une alternative envisageable pour des atteintes inférieures à 40 cm.
- L’indication du traitement par anti-TNF des formes iléales sténosantes peut être guidée par les critères cliniques et radiologiques du score CREOLE.
- Après disparition de l’abcès sous antibiothérapie et ou drainage, les formes iléales perforantes peuvent être traitées par anti-TNF.
LIENS D’INTÉRÊTS
En relation avec cette revue : Abbvie, Celltrion, Abbvie, Ferring
MOTS-CLÉS
Maladie de Crohn ; Sténose ; Fistule ; Anti-TNF ; Chirurgie
ABRÉVIATIONS
MC: maladie de Crohn, RCH: rectocolite hémorragique, MICI: maladie inflammatoire chronique de l’intestin, ADA: adalimumab
Introduction
La maladie de Crohn (MC) est une maladie inflammatoire chronique de l’intestin qui évolue le plus souvent vers une destruction intestinale conduisant à une forme sténosante ou fistulisante (1,2).
Le traitement chirurgical est habituellement réservé aux formes sténosantes ou fistulisantes compliquées après échec du traitement médical et notamment des biothérapies (3,4). Cette attitude est justifiée à la fois par une plus grande efficacité des biothérapies par rapport aux traitements conventionnels mais aussi par une récidive après chirurgie estimée jusqu’à 0 % des cas à 10 ans (5). Toutefois ces dogmes ont été bouleversés ces dernières années avec une place plus importante des biothérapies dans les formes compliquées (sténosantes et fistulisantes) mais également de la chirurgie dans les formes purement inflammatoires de la maladie. Nous proposons une revue des données récentes de la littérature dans la maladie de Crohn iléale limitée à moins de 40 cm.
Histoire naturelle de la maladie de Crohn iléale isolée
Selon la classification de Montréal, la MC est classée en fonction de sa localisation et de son phénotype : inflammatoire (B1 ou non sténosant et non pénétrant), sténosant (B2) ou pénétrant (B3 ou fistulisant). Avant l’ère des biothérapies, J. Cosnes et al. ont étudié rétrospectivement la survenue et les facteurs prédictifs d’une complication sténosante et/ ou pénétrante chez 2 002 patients atteints de MC (6). En complément, l’évolution de la MC entre 1995-2000 a été évaluée prospectivement dans une cohorte de 646 patients sur une durée > 5 ans, classée en fonction de leur phénotype initial. 1 199 patients (60 %) ont développé une sténose (n = 254) ou une fistule (n = 945). Les taux actuariels sur vingt ans de maladies inflammatoires (B1), sténosantes (B2) et pénétrantes (B3) étaient respectivement de 18 ,12 et 70 %. La localisation initiale des lésions était le principal déterminant du temps et du type de complication. Dans la cohorte prospective de validation, l’activité de la maladie et le type de traitement d’une année à l’autre n’avaient pas d’influence sur le changement de phénotype (6). Dans un travail publié en 2001 par E. Louis, parmi les 297 patients atteints de MC suivis régulièrement, le phénotype et la localisation de la maladie selon la classification de Vienne ont été déterminés au moment du diagnostic et après 1, 3, 5, 10, 15, 20 et 25 ans de suivi (7). Après 10 ans, 15,9 % des patients ont eu un changement de localisation (p < 0,001). Une évolution plus rapide et un changement plus important du phénotype a été observé. Il était déjà statistiquement significatif après un an (p = 0,04). À 10 ans, 45,9 % des patients avaient un changement de phénotype (p < 0,0001). Le changement se faisait vers une maladie sténosante (27,1 % ; p < 0,0001) ou pénétrante (29,4 % ; p < 0,0001). L’âge au diagnostic n’a eu aucune influence sur la localisation ou le phénotype de la maladie. La MC iléale était plus souvent sténosante, et la MC iléo-colique plus souvent pénétrante ; situation déjà observée au moment du diagnostic et qui s’est majorée après 10 ans (p < 0,05).
Une étude en population aux États-Unis d’une cohorte de 306 patients atteints de MC a montré que le risque cumulé de développer une maladie sténosante ou pénétrante était de 33,7 % à 5 ans et 50,8 % à 20 ans après le diagnostic de la MC (8).
Une étude européenne EPI-IBD a suivi prospectivement 488 patients sur une durée de 5 ans (9). Cette cohorte s’est intéressée à une population de patients non sélectionnés atteints de MICI provenant de 29 centres européens représentant une population de près de 10 millions d’habitants. Au cours du suivi de 5 ans, 49 patients (14 %) diagnostiqués avec une maladie non sténosante et non pénétrante (B1) ont évolué vers une maladie sténosante et/ ou pénétrante. Ces taux ne différaient pas entre les patients d’Europe occidentale et orientale. Cependant, des différences géographiques significatives ont été notées concernant le traitement : les patients d’Europe occidentale ont reçu plus de biothérapies (33 %) et d’immunomodulateurs (66 %) comparativement à ceux d’Europe de l’Est (14 % et 54 %, p < 0,01), tandis que les patients d’Europe de l’Est ont reçu plus de 5-ASA (90 % vs. 56 %, p < 0,05). Le traitement par immunomodulateurs a permis une réduction du risque de chirurgie (HR : 0,4, IC à 95 % 0,2 à 0,6) et d’hospitalisation (HR : 0,3, IC à 95 % 0,2 à 0,5).
Une étude danoise en population a étudié les facteurs prédictifs de progression de la MC selon la classification de Montréal (10). Tous les cas incidents de MC dans une zone bien définie de Copenhague, entre 2003 et 2004, ont été suivis prospectivement jusqu’en 2011. Au total, 213 patients MC ont été suivis ; 177 [83 %] patients étaient B1 au diagnostic. Les patients, dont la localisation a changé avaient un risque accru de progression de la maladie ([HR] = 3,1, IC à 95 % : 1,12-8,52). Une biothérapie était associée à un risque plus faible de changement de localisation [HR = 0,3, IC à 95 % : 0,1- 0,7]. L’atteinte colique [L2 ou L3 vs. L1] était associée à un moindre risque de chirurgie (HR = 0,34/0,22, IC à 95 % : [0,13-0,86]/[0,08-0,60]). Tous les patients atteints de MC dont le phénotype a progressé ou qui ont changé de localisation avaient un risque accru de chirurgie (p < 0,05). Ces résultats sont en faveur d’un effet protecteur des biothérapies sur le changement de localisation ce qui pourrait finalement améliorer l’évolution de la maladie chez les patients atteints de MC.
Au cours de la dernière décennie, le groupe IPNIC (International Program to develop New Indexes in Crohn’s disease) a développé un score de destruction intestinale de la maladie de Crohn (CD3S) ou indice de Lémann, indice récemment modifié (11). Il prend en compte la localisation, la sévérité, l’étendue, la progression et la réversibilité de la destruction intestinale, mesurées par des techniques d’imagerie (endoscopie, radiologie) et l’historique des résections chirurgicales.
Des travaux préliminaires ont utilisé ce score afin d’évaluer la réponse au traitement et son impact sur la progression de la maladie. Fiorino et al. ont étudié les variations des lésions intestinales chez 30 patients traités par anti-TNF et qui ont fait l’objet d’un suivi prospectif pendant une durée médiane de 32,5 mois (12). Les anti-TNF ont permis de stopper la progression des lésions intestinales chez 83 % des patients. La progression des lésions intestinales était associée à un risque majoré de chirurgie au cours de la période de suivi (hazard ratio (HR) : 0,19, p < 0,005). Bodini et al. ont étudié l’évolution de 104 patients atteints de MC répartis en trois groupes selon le type de traitement reçu : 1) groupe biothérapie (n = 40 ; 38,4 %), 2) groupe azathioprine (n = 19 ; 18,3 %) et 3) groupe mésalasine (n = 45 ; 43,3 %) pendant une durée médiane de 29,5 mois (13). Le score médian de l’indice de Lemann n’a pas changé de manière significative dans le groupe biothérapie (p 0,543), alors qu’il a augmenté dans le groupe azathioprine (p = 0,0006) et dans le groupe mésalazine (p < 0,0001), suggérant que le contrôle de l’inflammation peut être associé à l’arrêt de la progression des lésions intestinales chez les patients atteints de MC.
Ce score a donc toute sa place dans les études épidémiologiques à venir mais aussi pour évaluer l’impact d’un traitement sur l’évolution de la MC. Il devrait probablement faire partie des critères au moins secondaires d’évaluation des nouvelles molécules afin de mesurer leur impact sur la progression de la maladie. Toutefois, afin de mesurer l’impact sur l’évolution de la MC, la mesure du score ne doit pas être trop rapprochée ce qui nécessitera de suivre les patients sur plusieurs années.
En résumé, la MC évolue dans plus de 80 % vers une forme compliquée, sténosante ou fistulisante. Les biothérapies ont probablement la capacité de changer cette évolution notamment si le traitement est débuté pré–cocement.
Place du traitement médical
Maladie iléale non sténosante non fistulisante
Il s’agit de l’indication de choix des biothérapies. Les derniers algorithmes français publiés en 2021 recommandent chez les patients ayant une MC d’intensité modérée, non compliquée et avec des facteurs de mauvais pronostic, d’initier un traitement par corticoïdes suivis d’un traitement fond dans un premier temps par les thiopurines chez les patients répondeurs (14). Toutefois, il est maintenant établi que l’efficacité du traitement est fonction de la localisation et de l’ancienneté de la maladie.
La localisation iléale isolée est un facteur prédicteur de moins bonne réponse aux anti-TNF dans plusieurs études de cohorte (15). Singh et al. ont effectué une méta-analyse incluant les programmes de développement du Certolizumab pegol, du Vedolizumab (GEMINI) de l’ustekinumab CERTIFI et UNITI, seuls essais à rapporter des résultats spécifiques en fonction de la localisation de la maladie (17). Les auteurs ont observé que les patients avec une MC iléale isolée avaient une probabilité de succès de la biothérapie plus faible par rapport à ceux ayant une MC colique (29 % vs. 38 % ; RR : 0,70 ; IC à 95 %, 0,56-0,87 ; I2 0 %) (17).
L’étude post-hoc de l’essai randomisé TAILORIX (infliximab chez des patients naïfs de biothérapie) a montré que les taux de rémission par segment étaient plus faibles à la semaine 12 et 54 au niveau iléal qu’au niveau colique (P < 0,01) et rectal (P = 0,02 et P = 0,03) (18).
La durée d’évolution de la maladie est également un facteur prédictif de succès des biothérapies. Une analyse post-hoc de l’essai SONIC a montré que les patients qui avaient une MC évoluant depuis moins de 18 mois avaient une rémission clinique dans plus de 80 % des cas à la semaine 26 (19). Ces constations ont également été observées avec l’adalimumab à travers les études CHARM et EXTEND (16).
Plus récemment, dans une cohorte de vraie vie de patients traités par le vedolizumab, une durée d’évolution de la maladie < 2 ans était significativement associée à des taux plus élevés de rémission clinique sans corticoïdes et à une cicatrisation endoscopique à 6 mois (20). Des résultats identiques ont été observés avec l’ustekinumab dans les essais UNITI 1 et 2 (16).
Maladie iléale sténosante
Une sténose iléale évolue d’une forme préférentiellement inflammatoire vers une forme préférentiellement fibreuse. Le traitement doit être guidé par le caractère symptomatique de la sténose, symptômes le plus souvent en rapport avec la composante inflammatoire. En l’absence de symptôme, une simple surveillance – par conséquent aucun traitement -est recommandée par le consensus français (14).
Le traitement initial d’une sténose symptomatique fait appel – en l’absence d’une ischémie secondaire à une dilatation du grêle d’amont – à un traitement visant à diminuer l’inflammation et donc essentiellement les corticoïdes qu’il faudra relayer par un traitement de fond (4). Si les données initiales concernant l’efficacité des anti-TNF au cours de la MC sténosantes étaient controversées, les données de l’étude CREOLE ont permis de mieux appréhender le traitement notamment grâce à un score permettant de guider le traitement (14,21). En effet, certaines études anciennes avaient montré que les anti-TNF pouvaient être responsables d’occlusion probablement en raison de l’introduction trop tardive du traitement. Cependant, les données du registre TREAT et de l’essai ACCENT I n’ont pas montré de risque accru d’occlusion chez les patients avec ou sans sténose intestinale initiale (1,2,9). De plus, d’autres études ont montré que les anti-TNF pouvaient entraîner une réponse clinique et une régression au moins partielle de la sténose (1,2).
L’étude de cohorte CREOLE menée par le GETAID a inclus 97 malades, tous traités par adalimumab, 61 % étaient en succès thérapeutique à 6 mois défini par l’absence de recours à un traitement systémique, à une dilatation endoscopique ou à une résection chirurgicale, ou à l’absence d’arrêt du traitement pour intolérance (21). Après un suivi médian de 3,8 ans, 45,7 ± 6,6 % des patients qui étaient en succès thérapeutique à la semaine 24 (c’est- à-dire 29 % de l’ensemble de la cohorte) étaient toujours en succès thérapeutique prolongé à 4 ans. Dans l’ensemble de la cohorte, 50,7 % ± 5,3 % des patients n’ont pas subi de résection 4 ans après l’inclusion. Ce travail a permis de bâtir un score simple basé sur 1) l’intensité des symptômes occlusifs, 2) l’association à un traitement immunosuppresseur, 3) des critères morphologiques évalués par une entéro-IRM (absence de fistule, rehaussement tardif après injection de gadolinium et dilatation modérée du grêle en amont de la sténose) (voir tableau 1). Ce score varie entre 0 et 7 points, la probabilité d’un bénéfice de l’adalimumab est très faible en cas de score < 3, bonne en cas de score > 3 et moyenne, en cas de score égal à 3. Ce score permet d’évaluer la réponse au traitement même s’il demande à être validé par des études prospectives.
Facteurs | Odds-ratio | p | Nombre de points |
---|---|---|---|
Traitement Immunosuppresseur | 3,40 | 0,027 | 1 |
Durée des symptômes depuis moins de 5 semaines | 4,28 | 0,036 | 1 |
CDOS > 4 | 4,14 | 0,018 | 1 |
Rehaussement tardif en T1 | 4,30 | 0,007 | 1 |
Absence de fistule | 5,57 | 0,007 | 1 |
Diamètre maximal du grêle en amont de la sténose entre 18 et 29 mm | 9,50 | 0,0001 | 1 |
Longueur de sténose < 12 cm | 6.04 | 0,0042 | 1 |
Interprétation du score CREOLE : Probabilité d’un bénéfice de l’adalimumab très faible en cas de score inférieur à 3, bonne en cas de score supérieur à 3 et moyenne, en cas de score égal à 3.
Tableau 1 : Score CREOLE et interprétation d’après (21)
En faveur du traitement médical | En faveur du traitement chirurgical |
---|---|
Sténose longue ou multifocale | Sténose courte (< 40 cm) |
Présence de facteurs de risque de récidive post opératoire
|
Absence de facteurs de risque de récidive |
Facteurs prédictifs de réponses aux anti-TNF : plus de 3 Critères selon l’étude CREOLE | Facteurs prédictifs de réponses aux anti-TNF : moins de 3 Critères selon l’étude CREOLE |
Tableau 2 : Critères de choix entre le traitement médical ou chirurgical
À la lumière des données de CREOLE, le consensus français a recommandé, pour les patients ayant un score CREOLE > 3, un traitement par anti- TNF et une dilatation endoscopique si la sténose est < 5 cm (14). Chez les patients avec un score CREOLE < 3, une dilatation endoscopique a été recommandée si la sténose est < 5 cm et une intervention chirurgicale si la sténose est > 5 cm. Cependant, la chirurgie ne doit être pratiquée que chez les patients présentant une atteinte de moins de 50 cm de grêle.
Dans le cas particulier des sténoses très courtes < 5 cm (le plus souvent post-anastomotique), une dilatation endoscopique est envisageable (14). D’après une revue de la littérature incluant 1 463 patients pour un total de 3 213 procédures, le succès technique était de de 89,1 %, avec une efficacité clinique dans 80,8 % des cas, avec toutefois une chirurgie dans les 2 ans dans 42,9 % des cas (1). Des complications (perforation, sepsis et hémorragies) étaient observées dans 2,8 % des cas (1).
Comme pour les formes purement inflammatoires, l’impact d’un traitement précoce dans l’histoire naturelle de la sténose nécessite d’être évaluée.
Un travail multicentrique et rétrospectif espagnol a inclus des patients présentant une maladie de Crohn sténosante symptomatique recevant leur premier traitement par anti-TNF, et donc jamais traités par biothérapie, endoscopie ou chirurgie (22). L’efficacité du traitement par anti-TNF était définie par un score composite combinant la poursuite de l’anti-TNF sans corticoïdes, sans utilisation de nouvelles biothérapies ou immunomodulateurs, sans hospitalisation, ou intervention chirurgicale ou traitement endoscopique pendant le suivi.
Au total, 262 patients ont été atteints inclus avec une durée médiane d’évolution la maladie de 35 mois. Ils ont reçu soit de l’infliximab (n = 141, 54 %) soit de l’adalimumab (n = 121, 46 %). Le traitement a été efficace chez respectivement 87 % et 73 % des patients après 6 et 12 mois, et demeurait efficace dans 26 % des cas après un suivi médian de 40 mois (IQR, 19-85). Néanmoins, 15 % et 21 % des patients ont été opérés à 1 et 2 ans pour un taux global de chirurgie de 32 %. L’initiation du traitement par anti-TNF dans les 18 premiers mois suivant le diagnostic de la maladie de Crohn ou l’identification de la sténose était associé à une efficacité plus importante (HR 1,62, IC à 95 % 1,18-2,22 ; et HR 1,55, IC à 95 % 1,1-2,23 ; respectivement). Cette large cohorte de patients montre qu’une forte proportion de patients avec une MC iléale sténosante symptomatique peuvent bénéficier d’un traitement par anti-TNF notamment si l’introduction du traitement est précoce.
Maladie fistulisante/perforante
La MC luminale évolue sur un mode fistulisant dans près de 50 % des cas après 10 ans d’évolution (5-7). Une fistule intestinale survient alors sur des lésions muqueuses de MC qui sont généralement associées à une sténose. Le site de la fistule définit l’orifice primaire qui est responsable de complications intrapéritonéales, rétropéritonéales ou pelviennes à type d’abcès, de phlegmon ou de fistule interne, l’organe victime étant alors le siège de l’orifice secondaire. En raison de la sclérolipomatose mésentérique, fréquemment observée après plusieurs années d’évolution, la MC fistulisante se complique exceptionnellement de péritonites généralisées.
Quelle que soit la stratégie thérapeutique utilisée, le consensus d’experts français a proposé dans les cas de MC compliquées d’un abcès intra-abdominal, la démarche thérapeutique suivante : nutrition entérale, prévention des thromboses veineuses profondes par héparine de bas poids moléculaire et une antibiothérapie par voie parentérale (14). Le drainage radiologique et l’ajustement des antibiotiques en fonction des résultats de la culture ne sont recommandés qu’en première ligne si l’abcès intra-abdominal est > 3 cm (14). Une réévaluation morphologique est recommandée par une entéro-IRM après 3 à 4 semaines de traitement et un maintien des antibiotiques jusqu’aux résultats de la réévaluation (14).
L’autre étude GETAID d’importance dans la MC avec abcès, l’essai MICA (23) a inclus 128 patients (dont 117 analysables) avec initialement un abcès abdominal qui a été résolu après une antibiothérapie de 3 à 4 semaines +/- associée à un drainage radiologique et un support nutritionnel. Un traitement par adalimumab était alors initié selon un schéma d’induction puis d’entretien classique. Le succès de l’ADA était défini par : l’absence d’utilisation de corticoïdes après la semaine 12, l’absence de récidive de l’abcès, l’absence de résection intestinale, l’absence de récidive clinique (CDAI > 220 ou HBI > 4 et CRP > 10 mg/L lors de deux visites consécutives) et la poursuite du traitement par adalimumab. Le taux de succès du traitement par ADA (n = 117) était de 74 %. En analyse multivariée, les facteurs prédictifs de succès du traitement étaient : l’absence de tabagisme actif, un taux de CRP bas et un hypersignal en T2 de la paroi de l’intestin à l’initiation de l’adalimumab. Après un suivi de 6 mois, 10 % des patients ont eu une récidive de l’abcès et 10 % ont eu une résection intestinale (23). À noter toutefois que 52 (27 %) des 190 patients initialement sélectionnés ont été exclus en raison de l’absence de résolution de l’abcès. Le consensus français recommande ainsi logiquement un traitement de fond par anti-TNF pour les patients ayant présenté un abcès résolutif sous antibiotiques et/ou drainage percutané (14). Dans les cas où l’abcès est apparu sous anti-TNF, une résection chirurgicale est proposée après disparition de l’abcès si la maladie iléale était < 50 cm et un traitement médicamenteux de deuxième ligne plutôt qu’une intervention chirurgicale si l’atteinte iléale était > 50 cm (14).
Place du traitement chirurgical
Avant de discuter les indications de la chirurgie, les règles suivantes doivent être prises en compte avant d’envisager une chirurgie du grêle en dehors de l’urgence : 1) corriger les carences et une dénutrition, 2) discuter l’arrêt et réévaluer le traitement de fond, 3) en cas d’abcès abdominal, un drainage transcutané et une antibiothérapie prolongée (3).
Par ailleurs, l’évaluation d’une récidive post-opératoire doit entrer dans la stratégie thérapeutique.
Support nutritionnel
Un bilan nutritionnel préopératoire doit être réalisé pour tous les patients atteints de maladie de Crohn nécessitant une intervention chirurgicale. L’optimisation nutritionnelle avant chirurgie, par une nutrition idéalement entérale est recommandée pour tous les patients ayant des carences nutritionnelles (3).
Traitement préopératoire
L’utilisation préopératoire de corticoïdes est associée à un risque accru de complications post-opératoires (3). La diminution des corticoïdes avant la chirurgie doit être considérée afin de limiter les complications postopératoires sans pour autant exacerber les symptômes de la maladie (3).
Traitement de fond
Si l’imputabilité des anti-TNF dans l’apparition de complications post-opératoire a fait débat, les données actuelles et notamment les méta-analyses suggèrent que le traitement préopératoire par les anti-TNF (24), le vedolizumab, ou l’ustekinumab n’augmente pas le risque de complications post-opératoires chez les patients atteints de MC ayant eu une chirurgie abdominale. Ainsi, l’arrêt de ces médicaments avant la chirurgie n’est pas indispensable (3).
Évaluation de la récidive post-opératoire
En dehors de l’éventuelle réticence des patients vis-à-vis de la chirurgie, la récidive post-opératoire, notamment après chirurgie iléo-colique, est un frein à la chirurgie.
Les recommandations d’ECCO définissent les facteurs de risque suivants de rechute post-opératoire clinique : le tabagisme, un antécédent de résection intestinale, l’absence de traitement prophylactique, un phénotype pénétrant au moment de la chirurgie (abcès et/ ou fistule), une atteinte ano-périnéale ainsi que des critères histologiques comme la présence de granulome sur la pièce opératoire et des lésions de pléxite myentérique (4). Ces facteurs figurent dans le tableau 3.
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Tableau 3 : Facteurs prédictifs de récidive post-opératoire
Dans le travail du groupe REMIND, récemment publié, qui a inclus 289 patients, une récidive endoscopique est survenue chez 107 (47 %) patients (25). En analyse multivariée, le sexe masculin (OR = 2,48 [IC95 % 1,40-4,46]), un tabagisme actif lors de la chirurgie (OR = 2,65 [IC95 % 1,44-4,97]) et une résection antérieure (OR = 3,03 [IC95 % 1,36-7.12]) étaient associés à un risque plus élevé de récidive endoscopique. À l’inverse, le traitement par anti-TNF postopératoire diminuait le risque de récidive endoscopique (OR = 0,50 [IC95 % 0,25-0,96]). Ces données confirment les données publiées auparavant.
Afin de réduire le taux de récidive opératoire, une technique récente d’anastomose, après résection iléo-colique, a été décrite par Kono T, chirurgien japonais. Cette anastomose latéro-latérale cousue à la main a la particularité d’inclure uniquement la partie anti-mésentérique du grêle (26,27). Tout d’abord une étude rétrospective a montré que cette anastomose comparativement à une anastomose latérale avec suture mécanique, réduisait significativement un an après chirurgie la récidive endoscopique et le taux de réintervention pour récidive à 5 ans (26).
Une étude prospective randomisée a comparé les résultats de l’anastomose de Kono S à ceux obtenus par une anastomose latérale mécanique conventionnelle (28). Le critère de jugement principal était la récidive endoscopique définie par un score de Rutgeerts >= i2 à 6 mois. Au total, 79 patients atteints de MC iléocolique ont été randomisés dans le groupe anastomose de Kono S (n = 36) ou dans le groupe chirurgie conventionnelle (n = 43). Après 6 mois, une récidive endoscopique était observée dans 22,2 % dans le groupe Kono-S et dans 62,8 % dans le groupe chirurgie conventionnelle [odds ratio (OR) 5,91, p < 0,001,]. En analyse par régression logistique, l’anastomose de Kono-S était la seule variable significativement associée à un risque réduit de récidive endoscopique (OR 0,19, P < 0,001). Enfin, une méta-analyse a étudié les données de 676 patients qui ont eu une anastomose de Kono-S (27). La récidive endoscopique après analyse de sensibilité était de 5 % (IC : 0,00-0,15). Les complications étaient rares, avec une incidence de 3 % d’iléus (IC : 0,01-0,05), de 4 % d’occlusion du grêle (IC : 0,01-0,10), de 1 % de fuite anastomotique (IC : 0,00-0,03) et de 10 % d’infection postopératoire (IC : 0,03-0,20). Les données de cette méta-analyse sont largement en faveur de l’anastomose Kono-S chez les patients atteints de MC (27). Cette nouvelle technique d’anastomose iléo-colique semble prometteuse et devrait permettre d’envisager plus sereinement la chirurgie dans la MC iléale en raison du risque significativement plus faible de récidive endoscopique.
Maladie iléale non sténosante non fistulisante
Les recommandations d’ECCO 2017 pour la chirurgie de la MC publiées en 2018 ne recommandaient pas de résection chirurgicale chez les patients ayant une atteinte iléale courte (<40 cm) inflammatoire non sténosante et non fistulisante (3,4). Deux ans plus tard et après la publication de l’essai L!RIC les dogmes ont bien changé (29,30) ! En effet, le dernier consensus d’ECCO estime qu’une atteinte inflammatoire isolée peut être traitée par une résection iléale laparoscopique (4).
L’essai L!RIC est un essai contrôlé randomisé, ouvert, multicentrique (29 centres aux Pays Bas et en Grande Bretagne) qui a inclus des adultes de 18 à 80 ans atteints de MC iléo-cæcale (non sténosante, non fistulisante) de moins de 40 cm en échec d’un traitement de première ligne (cortico-résistance ou échec des immunosuppresseurs à 3 mois) (30). Les patients ont été randomisés soit dans le groupe anti-TNF soit dans le groupe chirurgie. Le critère de jugement principal était la qualité de vie évaluée par l’IBDQ. L’analyse secondaire incluait une évaluation endoscopique (CDEIS, score Rutgeerts). Entre 2008 et 2015, 73 patients ont été randomisés dans chaque groupe. À 12 mois, l’IBDQ moyen était de 178.1 (171.1-185.0) vs. 172 (164.3-179.6) dans les groupes chirurgie et IFX (p = 0.25). Il a été noté 4 complications chirurgicales sévères et 2 effets secondaires graves dans le groupe IFX. La rémission endoscopique était de 84 % dans le groupe IFX et 79 % dans le groupe chirurgie. L’analyse économique était en faveur de la chirurgie (-8 931 € à 12 mois). Les auteurs ont, dans un deuxième temps, collecté des données de suivi à long terme pour 134 (94 %) des 143 patients inclus dans l’essai LIR!C, dont 69 dans le groupe résection et 65 dans le groupe infliximab (29). Le suivi médian était de 63,5 mois (IQR 39,0-94,5). Dans le groupe résection, 18 (26 %) des 69 patients ont commencé un traitement anti-TNF et aucun n’a eu une deuxième résection ; 29 (42 %) patients du groupe résection n’ont pas eu de nouvelle biothérapie liée à la maladie, bien que 14 (48 %) de ces patients avaient reçu un traitement immunosuppresseur prophylactique. Dans le groupe infliximab, 31 (48 %) des 65 patients ont eu une résection iléale, et les 34 autres patients ont maintenu, changé ou intensifié le traitement par anti-TNF. La durée de l’effet du traitement était similaire dans les deux groupes, avec une durée médiane sans traitement supplémentaire lié à la maladie de Crohn de 33 mois (IC à 95 % 15·1-50·9) dans le groupe résection et de 34 mois (0·0-69·3) dans le groupe infliximab (log-rank p = 0,52). Dans les deux groupes, le traitement par un immunosuppresseur, en plus du traitement initial, était associé à la durée de l’effet du traitement (hazard ratio pour le groupe de résection 0,34 [IC à 95 % 0,16-0,69] et pour le groupe infliximab 0,49 [0·26-0·93]).
On peut retenir de ces études que : 1) il n’y a pas de différence significative à un an concernant la qualité de vie (critère principal de l’étude), 2) au suivi à 63,5 mois, dans le groupe des patients opérés, moins de recours au traitement comparatif (IFX), 26 % alors que 48 % des patients du groupe IFX ont dû être opérés. À la lumière de ces résultats, une résection iléo-caecale laparoscopique peut être envisagée en première intention chez les patients ayant une iléite terminale peu étendue (< 40 cm) non fistulisante ni sténosante en échec d’une première ligne de traitement conventionnel.
Maladie iléale sténosante
Une occlusion intestinale aiguë causée par une sténose inflammatoire ou fibreuse doit être initialement traitée par des mesures conservatrices. Une chirurgie en urgence est indiquée dans les rares cas d’occlusion intestinale complète, ou en cas de suspicion d’ischémie intestinale (4). En cas d’occlusion intestinale partielle ne répondant pas au traitement médical, la chirurgie peut généralement être programmée après une optimisation notamment de l’état nutritionnel (4).
À noter dans quelques études qu’une résection précoce, soit au moment du diagnostic, soit peu de temps après le diagnostic était associée à une rémission clinique plus longue, une diminution du risque de chirurgie à répétition et une diminution globale de l’exposition aux corticoïdes et aux biothérapies (1). Cependant, ces données nécessitent d’être confirmées par des études randomisées chirurgie versus biothérapie comme dans l’étude L!RIC.
Maladie iléale fistulisante
Les abcès intra-abdominaux doivent être traités initialement par des antibiotiques associés à un drainage percutané quand l’abcès mesure plus de 3 cm (4,14). Une chirurgie en urgence n’est indiquée qu’en l’absence de réponse au traitement ou lorsque que le drainage percutané n’est pas réalisable pour les abcès de plus de 3 cm (4,14). La place des anti-TNF se précise notamment après la publication de l’essai MICA (23).
Conclusion
Si la maladie de Crohn iléale inflammatoire évolue majoritairement vers une forme compliquée sténosante ou fistulisante, les biothérapies pourraient moduler de façon significative cette évolution surtout si elles sont débutées précocement. Les dogmes, pour certains pas si anciens, selon lesquels la maladie de Crohn iléale inflammatoire relève d’un traitement médical et la maladie de Crohn sténosante ou fistulisante relève d’un traitement chirurgical ont été bouleversés. En effet, l’option chirurgical peut être envisagée au cours de la MC inflammatoire chez certains patients tandis qu’un traitement par une biothérapie (principalement les anti-TNF) peut être envisagé au cours de la MC sténosante et dans la maladie de Crohn fistulisante.
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