Syndrome de résection rectale : comment améliorer la qualité de vie des patients ?

POST'U 2023

Colo-proctologie

Objectifs pédagogiques

  • Connaître l’épidémiologie et les facteurs de risque
  • Connaître les manifestations cliniques
  • Savoir évaluer la sévérité
  • Connaître les explorations complémentaires
  • Connaître les principes du traitement

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Les 5 points forts

  1. Le syndrome de résection rectale est observé dans 50 % des cas après proctectomie réalisée pour cancer.
  2. En cas de syndrome de résection rectale, il faut toujours éliminer une récidive tumorale.
  3. Les facteurs de risque sont multiples, liés au patient, à la tumeur, au traitement néoadjuvant et au geste chirurgical.
  4. Une amélioration de la symptomatologie est possible au cours du temps.
  5. La prise en charge repose sur le traitement médical (lavements et laxatifs) associé à une rééducation anopérinéale et en cas d’échec sur certaines techniques chirurgicales (neuromodulation des racines sacrées, cæcostomie pour irrigations antérogrades, colostomie).

Liens d’intérêt

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Mots-clés

Syndrome de résection antérieure ; LARS score ; Rééducation anopérinéale

Introduction

Malgré les progrès dans les traitements médicaux, avec les nouvelles stratégies de traitement néoadjuvant total (1,2) et l’essor très récent de l’immunothérapie (3), la chirurgie d’exérèse reste le traitement de référence du cancer du rectum. Il s’agit de réaliser une proctectomie avec exérèse totale du mésorectum (4) et un rétablissement de la continuité digestive (anastomose colo-rectale ou colo-anale), en l’absence d’envahissement de l’appareil sphinctérien. Cette chirurgie expose à un certain nombre de complications postopératoires immédiates ou plus tardives, telles que le syndrome de résection rectale ou de résection antérieure du rectum («Low Anterior Rectal Resection Syndrome» = LARS).

Définition et diagnostic du LARS

Le LARS associe des troubles de la continence anale, des impériosités anales et une fragmentation des selles. Emmertsen et al. ont rapporté un LARS dans 58 % des cas à 3 mois de la chirurgie et dans 45,9 % à 12 mois (5). Ce LARS peut perdurer et ainsi altérer considérablement la qualité de vie des patients, pour lesquels la survie sans récidive était initialement la priorité. C’est pour cette raison que seulement un tiers des patients ose consulter pour un LARS.

Un consensus international a récemment retenu la définition suivante du LARS : au moins un des 8 symptômes identifiés (transit variable, consistance des selles altérée, fréquence augmentée des selles, défécations répétées et douloureuses, évacuation incomplète, impériosités, incontinence, soiling) à l’origine d’au moins une des 8 conséquences possibles suivantes : dépendance aux toilettes, préoccupation, insatisfaction, recherche de stratégies, impact sur le bien-être, les activités sociales et quotidiennes, l’intimité et/ ou les responsabilités (figure 1) (6).

Figure 1 : Définition du LARS d’après Keane et al. (6)

Figure 1 : Définition du LARS d’après Keane et al. (6)

En termes de sévérité du LARS, l’équipe d’Emmertsen et al. a proposé le score LARS (7), comprenant 5 questions (fuites de gaz, fuites de selles liquides, tentative de défécations, évacuation incomplète, impériosités) (figure 2). Le score va de 0 à 42, avec une absence de LARS de 0 à 20, un LARS mineur de 21 à 29 et un LARS majeur de 30 à 42. Une adaptation française est en cours de validation par l’équipe du Pr Alves, à Caen (8). Cependant, le score LARS ne prend pas en compte les autres troubles fonctionnels souvent observés (urinaires, sexuels), ni les troubles psychologiques liés au contexte.

Figure 2 : Score de LARS d’après Emmertsen et al. (7)

Figure 2 : Score de LARS d’après Emmertsen et al. (7)

Face à un patient présentant un LARS, l’interrogatoire doit s’attarder à caractériser les troubles fonctionnels, quantifier la sévérité avec le score LARS (7), utiliser un calendrier des selles éventuellement. L’incontinence anale peut être quantifiée à l’aide du score de Wexner (9). Des scores de qualité de vie peuvent également être utilisés.

L’examen clinique doit rechercher des phénomènes érosifs péri-anaux, par incontinence anale passive, sources de brûlures et/ ou de prurit. Le toucher rectal est indispensable pour rechercher une vacuité rectale (absence de fécalome), et surtout pour éliminer une récidive tumorale ou une complication postopératoire telle qu’une sténose anastomotique ou un néo-réservoir trop grand. L’endoscopie sera donc à prévoir en fonction de l’examen clinique et du programme de surveillance oncologique.

À distance du geste chirurgical (au moins 6 mois), une manométrie anorectale peut être utile pour guider la rééducation anopérinéale. La prescription d’un tel examen doit être expliquée au patient. Les résultats possibles de la manométrie anorectale dans un tel contexte sont une microrectie avec un volume maximum tolérable diminué (du fait de la proctectomie), une hypotonie de repos en cas d’anastomose basse, avec notamment une résection intersphinctérienne (qui emporte tout ou une partie du sphincter interne), ou encore une contraction volontaire insuffisante en amplitude et en durée (s’il existe de lésions nerveuses ayant un retentissement sur le sphincter externe).

Facteurs de risque de LARS

Les facteurs de risque connus de LARS sont multiples.

Le terrain du patient associant un âge avancé avec une mauvaise compétence sphinctérienne préalable (complications obstétricales, antécédents de chirurgie anale) est à anticiper en préopératoire.

Le traitement néo adjuvant comprenant une radiothérapie est un facteur indépendant de LARS majeur (Odd Ratio -OR- = 3,55 ; Intervalle de confiance -IC- 95 % = 1,53-8,22) (5). La radiothérapie est effectivement source de sclérose pelvienne avec des effets qui peuvent être tardifs.

Le geste chirurgical, à type d’exérèse totale du mésorectum avec anastomose très basse (colo-anale avec résection intersphinctérienne), dépendant de la hauteur tumorale, influence également le risque de LARS. Bretagnol et al. avaient rapporté en 2004 une amélioration significative de la continence après une anastomose colo-anale (81 %) sans résection intersphinctérienne (53 %, p = 0,01), après un délai médian de 56 mois (10). En 2011,  l’équipe bordelaise du Pr Rullier a rapporté la distance tumorale < 1 cm par rapport à l’appareil sphinctérien (OR = 5,88 ; IC 95 % = 1,75-19,8 ; p = 0,004) et la hauteur de l’anastomose < 2 cm par rapport à la marge anale (OR = 6.59 ; IC 95 % = 1,12-38,67 ; p = 0,37), comme étant 2 facteurs de risque indépendants d’incontinence (11). Parmi les autres facteurs de risque, une volumineuse tumeur rectale, quelle que soit sa hauteur peut être source de LARS, notamment avec le risque de blessures nerveuses peropératoires, à plusieurs niveaux du plexus hypogastrique inférieur. De telles blessures nerveuses peuvent aussi avoir des conséquences fonctionnelles au niveau urinaire et sexuel.

En termes de facteurs de risque chirurgicaux, des essais randomisés internationaux récents ont démontré que le type de néo-réservoir (anastomose directe termino-terminale, latéro-terminale, avec coloplastie transverse ou réservoir en J) n’influençait pas le risque de survenue d’un LARS au long terme) (12,13). En revanche, la stomie de protection semble avoir un impact négatif sur le LARS, peut-être à cause d’une modification épithéliale du côlon exclu, à l’origine de malabsorption lors de la fermeture de stomie. La physiopathologie de l’implication de la stomie de protection nécessite d’être explorée.

Enfin, les complications postopératoires, comme la fistule anastomotique, sont des facteurs de risque de LARS, avec un retentissement démontré sur la qualité de vie (14,15).

En connaissance de ces différents facteurs de risque, une estimation préopératoire du LARS a été proposée à l’aide du POLARS score, lequel prend en compte l’âge, le sexe, l’exérèse totale ou partielle du mésorectum, la hauteur de l’anastomose, la présence d’une stomie de protection, et la réalisation d’une radiothérapie néo adjuvante (figure 3) (16). Une estimation préopératoire du risque de LARS permettrait d’adapter la stratégie thérapeutique à chaque patient. C’est dans cet objectif de stratégie personnalisée qu’un essai randomisé du groupe GRECCAR (Groupe de recherche clinique français sur le cancer du rectum) est actuellement en cours pour évaluer l’intérêt de la stomie de protection en termes de qualité de vie (GRECCAR 17).

Figure 3 : POLARS d’après Battersby et al. (15)

Figure 3 : POLARS d’après Battersby et al. (15)

Prise en charge thérapeutique du LARS

Tout d’abord, il faut informer le patient qu’une amélioration de la symptomatologie est possible au cours du temps, notamment durant les 12 premiers mois postopératoires.

La prise en charge thérapeutique du LARS repose sur une escalade thérapeutique avec une association de « moyens médicaux », synthétisée dans un « manuel » récemment publié (17).

Dans un premier temps, les traitements aggravant les troubles du transit doivent être identifiés et supprimés si possible. Une prise en charge diététique pour adapter le régime alimentaire (sans résidus) aux troubles du transit sous-jacents est à envisager.

Les traitements médicaux reposent sur la régularisation du transit, grâce à des ralentisseurs du transit, des chélateurs biliaires ou des laxatifs ; mais également sur la vacuité rectale grâce aux suppositoires et lavements trans-anaux. Des obturateurs anaux peuvent être prescrits, mais sont souvent mal tolérés.

Des règles hygiéno-diététiques pour traiter les conséquences cutanées péri-anales peuvent être rappelées (savon neutre, sécher la peau, etc.).   En parallèle de la prise en charge médicale, une rééducation ano-périnéale est indispensable pour réduire les fuites, améliorer la sensibilité et la discrimination, et ce pendant une durée minimale de 6 à 12 mois. Elle doit être pratiquée par un kinésithérapeute spécialisé dans ce domaine.

En cas d’échec après ces traitements médicaux, l’étape suivante est l’irrigation colique rétrograde (Peristeen®), pour assurer une vacuité rectale par un effet évacuateur avec augmentation de la motricité colique en réponse à la distension rectale et au large volume d’eau instillé. Cette thérapeutique nécessite une certaine compliance et une éducation du patient, avec l’aide par exemple d’infirmières stomathérapeutes, après élimination des contre- indications (chirurgie récente, sténose par exemple).

Si les thérapeutiques précédentes ne sont pas suffisantes ou contre-indiquées, d’autres options sont possibles :

  • l’injection de toxine botulique peut être proposée dans des centres experts, car cette thérapeutique est peu démocratisée, d’autant plus dans cette Néanmoins les premiers résultats sont très prometteurs (18). D’autres résultats devraient être prochainement rapportés.
  • l’irrigation antérograde, via une cæcostomie percutanée endoscopique ou chirurgicale (technique de Malone), est Cette thérapeutique nécessite également une certaine compliance et éducation du patient, car elle peut être source de morbidité.
  • la neuromodulation des racines sacrées peut être une option peu invasive, dont l’efficacité dans le LARS a été démontrée à travers des séries de cas (19).
  • la stimulation tibiale peut être une option moins invasive que la neuromodulation des racines sacrées mais elle a des résultats moins évidents dans le LARS.

Des essais randomisés sur l’efficacité de la neuromodulation des racines sacrées et la stimulation tibiale dans le LARS sont en cours. En dernier recours, après échec des différentes options thérapeutiques, la stomie définitive reste une solution.

Quel que soit le stade de prise en charge thérapeutique du LARS, un accompagnement psychologique, avec des infirmières stomathérapeutes et des associations de patients sont à proposer au patient.

En conclusion, le risque de survenue d’un LARS est malheureusement inhérent à la prise en charge chirurgicale du cancer du rectum avec un patient sur deux concerné. Il existe des facteurs de risque, plus ou moins modulables. Sa prise en charge diagnostique et surtout thérapeutique est pluridisciplinaire et repose sur une escalade thérapeutique, avec différentes options médicales et chirurgicales.

Références

  1. Conroy T, Bosset JF, Etienne PL, et Neoadjuvant chemotherapy with FOLFIRINOX and preoperative chemoradiotherapy for patients with locally advanced rectal cancer (UNICANCER-PRODIGE 23): a multicentre, randomised, open-label, phase 3 trial Lancet Oncol. 2021;22(5):702- 715.
  2. Bahadoer RR, Dijkstra EA, van Etten B, et Short-course radiotherapy followed by chemotherapy before total mesorectal excision (TME) versus preoperative chemoradiotherapy, TME, and optional adjuvant chemotherapy in locally advanced rectal cancer (RAPIDO): a randomised, open-label, phase 3 trial Lancet Oncol. 2021 Jan;22(1):29-42.
  3. Kanani A, Veen T, Søreide Neoadjuvant immunotherapy in primary and metastatic colorectal cancer. Br J Surg. 2021 1;108(12):1417-1425.
  4. Heald RJ, Husband EM, Ryall The mesorectum in rectal cancer surgery–the clue to pelvic recurrence? Br J Surg. 1982;69(10):613-6.
  5. Emmertsen KJ, Laurberg S, Rectal Cancer Function Study Impact of bowel dysfunction on quality of life after sphincter-preserving resection for rectal cancer. Br J Surg. 2013;100(10):1377–87.
  6. Keane C, Fearnhead NS, Bordeianou L, Christensen P, Basany EE, Laurberg S, et International consensus definition of low anterior resection syndrome. Colorectal Dis. 2020;22:331–41.
  7. Emmertsen KJ, Laurberg S. Low anterior resection syndrome score: development and validation of a symptom-based scoring system for bowel dysfunction after low anterior resection for rectal cancer. Ann Surg. 2012;255(5):922-8.
  8. Eid Y, Bouvier V, Dejardin O, et al. ‘French LARS score’: validation of the French version of the low anterior resection syndrome (LARS) score for measuring bowel dysfunction after sphincter-preserving surgery among rectal cancer patients: a study protocol. BMJ Open. 2020 8;10(3):e034251
  9. Jorge JM, Wexner Etiology and management of fecal incontinence. Dis Colon Rectum. 1993;36(1):77-97.
  10. Bretagnol F, Rullier E, Laurent C, Zerbib F, Gontier R, Saric J. Comparison of functional results and quality of life between intersphincteric resection and conventional coloanal anastomosis for low rectal cancer. Dis Colon Rectum. 2004;47(6):832-8.
  11. Denost Q, Laurent C, Capdepont M, Zerbib F, Rullier E. Risk factors for fecal incontinence after intersphincteric resection for rectal Dis Colon Rectum. 2011;54(8):963-8.
  12. Ribi K, Marti WR, Bernhard J, et al. Quality of Life After Total Mesorectal Excision and Rectal Replacement: Comparing Side-to-End, Colon J-Pouch and Straight Colorectal Reconstruction in a Randomized, Phase III Trial (SAKK 40/04). Ann Surg Oncol. 2019;26(11):3568-3576.
  13. Parc Y, Ruppert R, Fuerst A, et Better Function With a Colonic J-Pouch or a Side-to-end Anastomosis?: A Randomized Controlled Trial to Compare the Complications, Functional Outcome, and Quality of Life in Patients With Low Rectal Cancer After a J-Pouch or a Side-to-end Anastomosis. Ann Surg. 2019;269(5):815-826.
  14. Nesbakken A, Nygaard K, Lunde Outcome and late functional results after anastomotic leakage following mesorectal excision for rectal cancer. Br J Surg. 2001;88(3):400-4.
  15. Mongin C, Maggiori L, Agostini J, Ferron M, Panis Does anastomotic leakage impair functional results and quality of life after laparoscopic sphincter-saving total mesorectal excision for rectal cancer? A case-matched study. Int J Colorectal Dis. 2014;29(4):459-67.
  16. Battersby NJ, Bouliotis G, Emmertsen KJ, et Development and external validation of a nomogram and online tool to predict bowel dysfunction following restorative rectal cancer resection: the POLARS score. Gut. 2018;67(4):688–96.
  17. Christensen P, Baeten CI, Espín-Basany E, Martellucci J, Nugent KP, Zerbib F, et al. MANUEL Project Working Group. Management guidelines for low anterior resection syndrome – the MANUEL project. Colorectal Dis 2021;23(2):461-475.
  18. Bridoux V, Gourcerol G, Kianifard B, Touchais JY, Ducrotte P, Leroi AM, et al. Botulinum A toxin as a treatment for overactive rectum with associated faecal incontinence. Colorectal Dis. 2012 Mar;14(3):342-8.
  19. Mege D, Meurette G, Vitton V, Leroi AM, Bridoux V, Zerbib P, et Club NEMO. Sacral nerve stimulation can alleviate symptoms of bowel dysfunction after colorectal resections. Colorectal Dis. 2017;19(8):756-763.

Abréviations

LARS : Low Anterior Rectal Resection Syndrome (syndrome de résection antérieure)

OR : Odd ratio

GRECCAR : Groupe de recherche clinique français sur le cancer du rectum