Troubles moteurs œsophagiens hors achalasie : définition et stratégies thérapeutiques

POST'U 2023

Œsophage – Motricité

Objectifs pédagogiques

  • Connaître la physiopathologie des troubles moteurs œsophagiens
  • Connaître les manifestations cliniques
  • Connaître leur définitiomanométrique
  • Connaître les explorations à réaliser
  • Connaître les options thérapeutiques

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Les 5 points forts

  1. Un trouble moteur de l’œsophage doit être évoqué en cas de dysphagie avec gastroscopie et biopsies œsophagiennes normales.
  2. L’examen de référence en cas de suspicion de trouble moteur de l’œsophage est la manométrie œsophagienne haute résolution, réalisée selon le protocole défini par la dernière version de la Classification de Chicago (v 4.0).
  3. Certains troubles moteurs œsophagiens atypiques peuvent annoncer le développement d’une achalasie : un suivi et une répétition des examens peuvent être nécessaires.
  4. La prise en charge des troubles moteurs de l’œsophage est essentiellement médicale ou endoscopique (toxine botulinique ou myotomie endoscopique).
  5. Lorsque les symptômes cliniques ne sont pas invalidants, ou majorés par le stress, rassurer et proposer une surveillance est une option thérapeutique valide.

Lien d’intérêt

Aucun

Mots-clés

Dysphagie ; Manométrie œsophagienne ; Classification de Chicago

Introduction

La dysphagie non organique n’est pas une cause fréquente de consultation. Historiquement, lorsqu’un patient se présentait dans ce cadre-là, on évoquait deux diagnostics : soit une achalasie, soit des « spasmes de l’œsophage ». Cette notion de spasmes a drastiquement évolué dans le temps, avec un affinement diagnostique et un fractionnement en plusieurs sous-classes de troubles moteurs de l’œsophage. Cette nouvelle classification, qui repose essentiellement sur la manométrie de haute résolution, permet d’améliorer la prise en charge thérapeutique des patients.

Un peu de physiopathologie

L’œsophage n’est pas « un simple tube qui se traverse en endoscopie », mais bel et bien un organe à part entière. Son rôle paraît minime quand tout va bien, et pourtant rien ne va plus quand il commence à dysfonctionner.

L’œsophage est un tube musculaire complexe d’environ 25 cm de longueur qui relie le pharynx à l’estomac. Il traverse la cavité thoracique, pénètre le diaphragme et rejoint normalement l’estomac quelques centimètres au-dessous. Il est constitué de muscles striés squelettiques au niveau du tiers supérieur, et de muscles lisses au niveau des deux tiers inférieurs.

Sa mince paroi fait que la pression de la cavité thoracique, donc négative, est entièrement transmise à la lumière de l’œsophage. En revanche, la pression de l’entrée de l’œsophage est égale à la pression atmosphérique, et celle de son extrémité inférieure lui est supérieure. Ainsi, aux deux extrémités de l’œsophage, la pression est naturellement supérieure à celle de la portion thoracique. Pour contrer ces phénomènes, il existe deux muscles sphinctériens : un muscle strié au niveau de l’extrémité supérieure (sphincter supérieur de l’œsophage ou SSO), et un muscle lisse au niveau inférieur (sphincter inférieur de l’œsophage ou SIO).

La phase œsophagienne de la déglutition commence par un relâchement du SSO. Immédiatement après le passage du bol alimentaire, le SSO se ferme, la glotte s’ouvre et la respiration reprend. Le bol est ensuite envoyé vers l’estomac par une onde de contractions musculaires qui progresse le long de l’œsophage, comprimant sa lumière : les ondes péristaltiques. Il faut environ 9 secondes à une onde péristaltique œsophagienne pour atteindre l’estomac. Le SIO s’ouvre dès le début de la déglutition, et demeure relâché jusqu’à l’arrivée de la contraction péristaltique à son niveau, et donc une fois le bolus dégluti parvenu dans l’estomac.

Le tout est coordonné par l’activité du centre de la déglutition, situé dans le tronc cérébral à proximité du centre de la respiration. Les efférences sont directes vers les muscles striés squelettiques (SSO et 1/3 supérieur de l’œsophage), et avec un relais synaptique pour les muscles lisses. Les fibres principalement du nerf vague se projettent sur les motoneurones du système nerveux entérique, et modulent l’activité de ces neurones excitateurs (principal neuromédiateur l’acétylcholine), et inhibiteurs (principal neuromédiateur le monoxyde d’azote).

Le défaut de relaxation de la jonction œso-gastrique (JOG) correspond à un défaut d’activation des motoneurones inhibiteurs. L’œsophage hypercontractile provient d’une augmentation de l’activité des motoneurones excitateurs, le plus souvent en lien avec un obstacle ou un défaut de relaxation au niveau de la JOG. Les spasmes œsophagiens sont la conséquence d’un défaut d’inhibition motrice qui précède la contraction, ce qui accélère la vitesse de propagation de l’onde péristaltique et aboutit à des contractions inefficaces.

Une atteinte de l’un ou l’autre de ces phénomènes physiologiques (commande centrale, atteinte des muscles du corps œsophagien ou des sphincters) va être à l’origine de troubles moteurs de l’œsophage (1). Ces troubles moteurs peuvent être primitifs (achalasie, œsophage hypercontractile,  spasmes, …) ou secondaires (reflux gastro-œsophagien, diabète, sclérodermie, néoplasie, pathologies neuromusculaires, …). Les médicaments agissant sur le muscle lisse digestif peuvent également entraîner des troubles moteurs œsophagiens, notamment les opioïdes, auxquels il faut toujours penser en cas de défaut de relaxation de la JOG ou de contractions spastiques (2,3).

Quand évoquer un trouble moteur de l’œsophage

Les symptômes pouvant évoquer des troubles moteurs œsophagiens sont peu spécifiques, et associent à des degrés variables dysphagie (volontiers paradoxale, pouvant être majorée lors de l’ingestion de liquides), douleur thoracique ou pyrosis, régurgitations.

L’exploration endoscopique œsophagienne est l’examen de première intention, avec biopsies œsophagiennes systématiques, avant d’évoquer   un trouble moteur œsophagien. Celle-ci va permettre d’éliminer une cause organique visible, notamment tumorale, peptique (hernie hiatale, œsophagite, anneau de Schatzki) ou infectieuse (candidose, tuberculose), et d’écarter notamment une œsophagite à éosinophiles. L’exploration du bas œsophage, du cardia et du fundus doit être particulièrement attentive, pour ne pas méconnaître de cause maligne de dysphagie. Dans le cadre des troubles moteurs de l’œsophage, en écartant l’achalasie, l’endoscopie digestive haute est le plus souvent normale. Elle peut parfois montrer une stase liquidienne ou alimentaire œsophagienne, un diverticule, ou un aspect non spécifique d’œsophage de lutte (aspect en tire-bouchon ou en pile d’assiettes). Le franchissement du cardia avec ressaut peut être observé en cas de défaut de relaxation de la JOG, mais l’utilisation d’endoscopes fins (nasogastroscopes) peut faire méconnaître ce signe endoscopique.

Explorations à réaliser

Un bilan cardiaque doit toujours être effectué devant une douleur thoracique atypique, pour éliminer une pathologie coronarienne. Il est en effet important de souligner que la rentabilité diagnostique de la manométrie œsophagienne en cas de douleur thoracique n’est que de 1 à 2 % (4,5). Par comparaison, une personne meurt toutes les 36 secondes de coronaropathie aux États-Unis (6).

La manométrie œsophagienne de haute résolution est l’examen clé. Les techniques manométriques apparues dans les années 70 ont révolutionné le diagnostic de trouble moteur de l’œsophage, qui reposait alors uniquement sur l’endoscopie et le TOGD. Les techniques haute résolution développées dans les années 90 ont perfectionné cette approche, en apportant de multiples précisions temporo-spatiales. C’est dorénavant le gold-standard pour tout patient avec suspicion de trouble moteur de l’œsophage (cf. infra). Les sondes de dernière génération peuvent associer des capteurs d’impédance, qui permettre d’apprécier la clairance du bolus ou la présence de reflux gastro-œsophagien.

Une pHmétrie (ou pHimpédancemétrie) des 24 heures pourra être proposée pour rechercher un reflux gastro-œsophagien à l’origine ou secondaire au trouble moteur évoqué. On rappelle que celle-ci est cependant inutile en cas d’achalasie.

Un scanner thoraco-abdominal est à discuter en cas d’évocation d’obstruction de la JOG (ou défaut de relaxation), afin de ne pas méconnaître de cause compressive extrinsèque ou infiltrante, en particulier au niveau du cardia.

Une écho-endoscopie œso-cardiale est également à envisager pour les mêmes raisons. Elle peut également montrer une hypertrophie musculaire cardiale témoignant d’un œsophage de lutte.

Plus récent, l’EndoFlip ou planimétrie par impédance, imagerie fonctionnelle luminale à l’aide d’une sonde (Functional Lumen Imaging Probe),    est un outil d’étude de la physiologie œsophagienne (7). Il s’agit d’un cathéter possédant un ballon distensible armé de multiples paires de capteurs d’impédance électrique, et un capteur de pression distale. Le cathéter est placé par voie buccale au cours d’une endoscopie sous anesthésie générale. Une fois le ballonnet placé au niveau de la jonction œso-gastrique, on procède à son remplissage à l’aide d’un liquide conducteur grâce à une pompe mécanique. Le système FLIP convertit les signaux ainsi reçus en une représentation 3D de la lumière œsophagienne en temps réel, et mesure le lien entre l’aire en coupe transverse et la pression distale pour générer une mesure de la distensibilité luminale au niveau de la JOG. La version la plus récente de l’EndoFlip permet également la mesure de la réponse contractile à la distension dans le corps de l’œsophage. Les chiffres issus chez les volontaires sains suggèrent un index de distensibilité de la JOG (DI-JOG) normal si > 2,8 mm2/mmHg et un diamètre de la JOG > 13 mm. De plus,   la présence de contractions antérogrades répétitives est considérée comme une réponse normale à la distension. À l’inverse, un index de distensibilité diminué, ou un diamètre réduit semblent associés à une achalasie ou une obstruction fonctionnelle de la jonction œso-gastrique. En pratique, un   index de distensibilité inférieur à 2 mm2/mmHg est toujours anormal, alors qu’un diamètre < 13 mm est en faveur d’une anormalité quand l’index est situé entre 2 et 3 mm2/mmHg. Dans la dernière version de la Classification de Chicago, le FLIP est recommandé en complément de la MHR pour appuyer notamment le diagnostic d’Obstruction Fonctionnelle de la JOG. Cependant, cet examen reste en France pour l’instant réservé à quelques centres experts.

Le Transit baryté œso-gastro-duodénal (TOGD) reste un examen simple et parfois informatif dans le bilan de dysphagie, notamment dans le cadre des spasmes de l’œsophage. Le TOGD peut être très utile en tant que complément dans ce groupe de patients car il peut identifier les contractions tertiaires, le chapelet ou l’œsophage en tire-bouchon associés aux Spasmes. L’utilisation du TOGD minuté, consistant à évaluer la clairance œsophagienne d’un verre de baryte dilué (200 mL) à 1, 2 et 5 minutes peut augmenter la sensibilité diagnostique, notamment concernant l’obstruction fonctionnelle de la jonction œso-gastrique. Ainsi, un résidu œsophagien supérieur à 5 cm à 1 minute et 2 cm à 5 minutes sont évocateurs de ce diagnostic.

La manométrie œsophagienne haute résolution

L’examen de référence pour le dépistage des TMO est la manométrie œsophagienne de haute résolution (MHR). La MHR est un acte technique relativement rapide et peu douloureux, réalisable par l’équipe paramédicale, ce qui facilite son accès et réduit les délais de rendez-vous (protocole  de coopération validé au niveau national, sous le contrôle des ARS). Il s’agit d’une sonde nasogastrique munie de nombreux capteurs électroniques, introduite par voie nasale avec ou sans anesthésie locale, et positionnée en intra-gastrique, chez un patient à jeun d’au moins 4 heures. L’analyse du tracé ainsi enregistré repose sur la Classification de Chicago. Sa dernière version, la version v4.0, a été validée par un consensus international et publiée fin 2021 (8). Cette version a pour particularité d’être particulièrement précise sur le déroulé de l’examen. Il est ainsi recommandé de réaliser 10 déglutitions dans une position et au moins 5 dans l’autre position, alternativement en position allongée puis assise ou inversement. S’y ajoute l’étude de déglutitions répétées (5 déglutitions consécutives de 2 mL en position couchée, et un test de déglutition rapide de 200 mL à boire en moins de 30 secondes en position assise).

La classification de Chicago v4.0, présentée sur la figure 1, détermine ainsi 2 grandes catégories de troubles moteurs :

Les troubles de relaxation de la jonction œso-gastrique (caractérisés par une Pression de relaxation intégrée ou PRI médiane élevée)

  • Achalasie type I (pas de contraction)
  • Achalasie type II (au moins 20 % de pressurisation pan-œsophagienne)
  • Achalasie type III (au moins 20 % de contractions prématurées)
  • Défaut de relaxation de la JOG [élévation de la pression intrabolus avec résultat anomal du TOGD minuté ou de la planimétrie par impédance (EndoFlip)]

Les désordres péristaltiques (PRI normale)

  • Contractions absentes (100 % de contractions absentes)
  • Spasmes œsophagiens (au moins 20 % de contractions prématurées)
  • Œsophage hypercontractile (au moins 20 % de contractions hypercontractiles)
  • Syndrome de motricité inefficace (au moins de 70 % de contractions inefficaces ou 50 % absentes)

Nous traiterons uniquement des troubles moteurs de l’œsophage hors achalasie.

Figure 1 : Classification de Chicago v4.0

Figure 1 : Classification de Chicago v4.0

Troubles moteurs de l’œsophage et options thérapeutiques (figure 2)

Figure 2 : Options thérapeutiques hors obstruction de la jonction œso-gastrique

Figure 2 : Options thérapeutiques hors obstruction de la jonction œso-gastrique

Obstruction fonctionnelle de la jonction œsogastrique (EGJ outflow obstruction ou EGJOO)

Définition

Jusqu’à la dernière version de la Classification de Chicago, ce diagnostic était défini par un défaut de relaxation de la jonction œso-gastrique caractérisé par une PRI élevée, avec un péristaltisme conservé dans le corps de l’œsophage. En se basant sur cette définition, la prévalence d’EGJOO pouvait aller jusqu’à un quart des patients bénéficiant d’une manométrie œsophagienne (1). Cependant, parmi ceux-ci, un grand nombre était considéré comme faux positifs. La v.4 a eu pour priorité d’affiner ce diagnostic. Le fait que les mesures doivent dorénavant être effectuées en positions allongée et assise permet de corriger certaines données, notamment dans le cadre d’une petite hernie hiatale ou d’une obésité centrale. De plus, une pressurisation intrabolus doit être présente pour au moins 20 % des déglutitions, et pour écarter formellement le diagnostic d’achalasie, le péristaltisme doit être conservé. Le diagnostic positif d’EGJOO implique aussi la présence de signes cliniques (dysphagie et/ou douleurs thoraciques) : ainsi pour porter le diagnostic d’EGJOO, il faut des signes cliniques évocateurs, une gastroscopie avec biopsies œsophagiennes normales, des anomalies manométriques confortées par un TOGD minuté ou une exploration par Endoflip (8).

Traitement

Un traitement ne doit donc être envisagé que si le patient présente des symptômes cliniques. Sur le plan médical, les possibilités sont limitées. En cas de douleur thoracique prédominante, et après exclusion d’une cause coronarienne, les antispasmodiques ou les antidépresseurs tricycliques peuvent être proposés (9,10). Les médicaments anti-reflux peuvent également être efficaces en cas d’association à un reflux gastro-œsophagien cliniquement évident ou mis en évidence par une pHmétrie. En seconde intention se discuteront les traitements endoscopiques classiquement proposés dans l’achalasie. Ainsi, une dilatation pneumatique endoscopique peut entraîner un soulagement des symptômes dans plus de la moitié des cas, et doit être envisagée en premier lieu, en gardant en tête les risques potentiels de perforation (11). L’injection de toxine botulinique dans la partie distale   de l’œsophage peut également améliorer les symptômes. Cependant son effet est limité dans le temps, avec souvent nécessité de reconduire une séance à 6 mois (12). De plus, son utilisation n’est pas totalement dénuée de risque. Des exceptionnels cas de médiastinite, pseudo-anévrisme de l’aorte thoracique et 2 cas de décès ont été rapportés (13,14). Enfin, la myotomie per-orale endoscopique (POEM) a été évaluée dans des séries rétrospectives, mélangeant les différents types de troubles moteurs non achalasiques, mais avec des résultats potentiellement prometteurs (15,16). Il n’existe pas à ce jour d’option chirurgicale dans cette pathologie.

Une fois le diagnostic d’obstruction fonctionnelle de la JOG bien établi, le traitement est essentiellement endoscopique, et doit se discuter essentiellement entre la dilatation pneumatique et la myotomie endoscopique.

Spasmes œsophagiens

Définition

La présence de symptômes cliniques évocateurs est désormais indispensable pour retenir le diagnostic de spasmes œsophagiens en plus des critères manométriques. Les symptômes évocateurs sont notamment la dysphagie ou les douleurs thoraciques. Les spasmes œsophagiens sont définis par des contractions prématurées pour au moins 20 % des déglutitions, avec une relaxation normale de la jonction œso-gastrique lors des déglutitions. Les ondes prématurées sont définies par une latence distale inférieure à 4,5 s avec une intégrale de contraction distale (ICD) supérieure ou égale à 450 mmHg.s.cm. Plus le nombre d’ondes prématurées est important, plus le diagnostic de spasmes œsophagiens est certain. Un diagnostic manométrique de spasmes peut être confirmé par un défaut d’inhibition du péristaltisme pendant le test de déglutitions répétées, voire pendant le test de déglutition rapide (défaut d’inhibition déglutitive) (17). Il est important de noter que le véritable syndrome primaire de spasmes de l’œsophage est rare, et correspond à l’achalasie de type III s’il est associé à un défaut de relaxation de la JOG.

Traitement

Les troubles spastiques de l’œsophage peuvent être dus à un dysfonctionnement moteur primaire, mais ils peuvent aussi être secondaires à la prise d’opioïdes, ou à un mécanisme de clairance réactif au reflux gastro-œsophagien. Sur le plan médical, aucun traitement n’a d’AMM pour les spasmes œsophagiens, compte-tenu de la rareté de la pathologie. Les médicaments agissant sur la relaxation des muscles lisses tels que les inhibiteurs calciques et les dérivés nitrés peuvent être tentés, mais leur utilisation est limitée par leurs fréquents effets secondaires (céphalées, chutes de tension, vertiges). L’utilisation de petites doses d’antidépresseurs tels que l’Imipramine, l’Amitriptyline ou le Trazodone peuvent démontrer une certaine efficacité (9,10,17). L’utilisation de Sildenafil a été rapportée avec une amélioration manométrique et clinique chez certains patients, mais ses effets secondaires en sont un facteur limitant (18). Les anticholinergiques peuvent également s’avérer utile dans le traitement des spasmes ou de l’œsophage hypercontractile, témoignant d’une hyperactivité des motoneurones excitateurs dans ce contexte (19). Compte-tenu de la rareté de   la pathologie, en cas d’échec des traitements médicamenteux, il semble légitime de recourir à l’avis d’un centre expert ou d’une RCP spécialisée (par exemple RCP nationale du Groupe Français de Neurogastroentérologie) pour déterminer la procédure la plus adaptée au cas. Globalement, les modalités de prise en charge endoscopique hésiteront entre l’injection de toxine botulinique dans la paroi de l’œsophage distal, ou une myotomie endoscopique étendue guidée par les résultats de la manométrie œsophagienne. Les données de la littérature sont très pauvres, avec des études soient rétrospectives, soit sur de petits effectifs (12,17, 20). Il faut également préciser que les spasmes œsophagiens, au-delà de leur rareté, sont également parfois intermittents, et donc de diagnostic d’autant plus difficile. Si l’impact des symptômes sur la qualité de vie reste modéré, l’abstention thérapeutique et la surveillance peuvent constituer une alternative raisonnable (17).

Œsophage hypercontractile

Définition

L’œsophage hypercontractile (anciennement marteau-piqueur) est défini par au moins 20 % de déglutitions associées à des contractions péristaltiques avec une vigueur excessive (ICD> 8 000 mmHg.s.cm), en l’absence de défaut de relaxation de la jonction œso-gastrique (PRI normale) (21). Pour établir un diagnostic manométrique concluant d’œsophage hypercontractile, les critères d’achalasie, de spasmes de l’œsophage, et d’obstruction fonctionnelle de la JOG ne doivent pas être remplis. Les éléments en faveur de l’œsophage hypercontractile comprennent la pressurisation intrabolus, et une réponse anormale (défaut d’inhibition déglutitive) lors du test des déglutitions répétées, ou sur le test de déglutition rapide.

Traitement

Il est globalement identique à celui des spasmes œsophagiens. Il faut penser à éliminer si possible les médicaments pouvant être à l’origine de l’œsophage hypercontractile, les opioïdes notamment (21) Le traitement du RGO pourrait améliorer les symptômes (22). L’injection de toxine botulinique (12), ou le POEM (23) sont les options thérapeutiques endoscopiques, à discuter de préférence en RCP spécialisée.

Syndrome de motricité inefficace

Définition

Son diagnostic repose sur la présence de plus de 70 % de déglutitions inefficaces (DCI entre 100 et 450 mmHg.s.cm) ou au moins 50 % d’ondes absentes (DCI< 100 mmHg.s.cm). L’intérêt clinique de cette entité a été débattu car plusieurs études n’ont pas montré de corrélation entre ces  critères manométriques et la présence de symptômes cliniques. Cependant il reste associé à la présence de reflux gastro-œsophagien. Son diagnostic est particulièrement important lors du bilan préopératoire de chirurgie anti-reflux, puisqu’il semblerait associé à un risque plus élevé de dysphagie post-opératoire. Les tests de provocation tels que les déglutitions répétées pourraient être utiles pour évaluer la réserve péristaltique œsophagienne et pour améliorer l’évaluation du risque de dysphagie post-opératoire (24,25). À la différence de l’achalasie, le syndrome de motricité inefficace n’est pas une contre-indication à une chirurgie anti-reflux, mais le patient doit être informé du risque plus élevé de dysphagie, et le chirurgien incité à pratiquer un montage anti-reflux moins serré et potentiellement moins responsable de dysphagie post-opératoire (26).

Traitement

Il n’existe pas à l’heure actuelle de traitement médicamenteux efficace pour augmenter les contractions œsophagiennes. Le traitement repose avant tout sur la gestion du reflux gastro-œsophagien associé. Des conseils hygiéno-diététiques doivent être apportés au patient, en recommandant notamment de mâcher doucement, manger en position bien droite, en accompagnant éventuellement les solides d’aliments liquides pour aider la descente du bol alimentaire dans l’œsophage. Chez les rares patients présentant une douleur thoracique en lien potentiel avec une hypomotricité œsophagienne, le diagnostic d’œsophage hypersensible doit être évoqué et des antidépresseurs sélectifs de la recapture de la sérotonine ou une thérapie comportementale peuvent être envisagés (1).

Contractions absentes

Définition

Cette entité est définie par 100 % de contractions absentes (DCI< 100 mmHg.s.cm), avec une PRI médiane normale aussi bien en position allongée qu’assise. On parle parfois « d’œsophage type sclérodermique » puisque sa prévalence est plus élevée chez les patients souffrant de connectivite.   Le diagnostic de sclérodermie systémique avec syndrome de CREST doit d’ailleurs être évoqué devant ce tableau, notamment en cas d’hypotonie de la jonction œso-gastrique sur la période d’analyse sans déglutition. Par ailleurs, si la dysphagie est un symptôme prédominant et que l’évaluation manométrique montre une PRI médiane en position allongée supérieure ou égale à 10 mmHg, une achalasie de type 1 doit être évoquée (8). Cette dernière situation requiert de confronter les données de la manométrie œsophagienne à l’EndoFlip, au TOGD minuté, à l’endoscopie et/ou à l’écho- endoscopie pour éviter les erreurs diagnostiques (8).

Traitement

Après exclusion d’une sclérodermie systémique ou d’une achalasie nécessitant des prises en charge spécifiques, les options thérapeutiques sont les mêmes que pour le syndrome de motricité inefficace.

Conclusion

Les troubles moteurs de l’œsophage hors achalasie sont un motif rare de consultation. Ils doivent être évoqués devant une dysphagie, une douleur thoracique, et des symptômes de reflux gastro-œsophagien (pyrosis et régurgitations). Leur diagnostic est avant tout différentiel : la priorité est d’éliminer une cause organique (tumorale, infectieuse, peptique, infiltration à éosinophiles, etc.) par une endoscopie digestive haute avec biopsies œsophagiennes étagées et éventuellement une tomodensitométrie thoraco-abdominale voire une écho-endoscopie, et d’écarter une pathologie coronarienne en cas de douleur. Leur diagnostic positif repose sur la manométrie œsophagienne de haute résolution, plus ou moins complétée par un Transit Œso-Gastro-Duodénal si possible minuté ou une planimétrie par impédance (EndoFlip). Le traitement des TMO est médicamenteux surtout en cas d’association à un reflux gastro-œsophagien. Il est parfois endoscopique (dilatation, injection de toxine botulinique ou POEM), jamais chirurgical, et repose souvent sur une abstention avec réassurance du patient. L’évolution d’un TMO atypique vers une achalasie est possible, d’où l’intérêt de répéter la manométrie suivant l’évolution.

Références

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Abréviations

TMO : Troubles moteurs de l’œsophage

SIO : Sphincter inférieur de l’œsophage

MHR : Manométrie Haute Résolution

PRI : Pression de Relaxation Intégrée

ICD : Intégrale de contraction distale

TOGD : Transit baryté Œso-Gastro-Duodénal

RGO : Reflux Gastro-Œsophagien

EGJOO : Obstruction fonctionnelle de la jonction œso-gastrique

FLIP : Functional Lumen Imaging Probe (Planimétrie par Impédance)

POEM : Myotomie per-oral endoscopique