IPP : du bon usage à la connaissance des effets secondaires

POST'U 2024

Gastro-entérologie

Objectifs pédagogiques

  • Connaître le contexte actuel des prescriptions d’IPP et les enjeux de leur bon usage
  • Savoir prescrire les IPP
  • Connaître les indications de l’AMM, les indications pertinentes et les non indications
  • Connaître les effets secondaires des traitements par IPP au long cours
  • Connaître les risques de la sous prescription

Les 5 points forts

  1. Le bon usage (indication, posologie, durée et réévaluation) des IPP est le prérequis à la prévention des effets secondaires.
  2. Le risque individuel de survenue d’un effet indésirable durant un traitement au long cours par IPP est faible, notamment à la dose recommandée.
  3. Le niveau de preuve des études rapportant les effets indésirables potentiellement associés aux IPP est faible à très faible. Par conséquent, un traitement par IPP indiqué et efficace ne doit pas être arrêté au motif de la survenue potentielle d’effets indésirables.
  4. Une recherche et une éradication de l’Hp sont recommandées en cas de traitement par IPP au long cours (supérieur à 6 mois).
  5. Les principaux effets indésirables des IPP ayant un niveau de preuve plus élevé sont l’effet rebond acide à l’arrêt, les infections digestives, les colites microscopiques, l’hypomagnésémie.

Lien d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêt en lien avec sa présentation

Mots-clés

IPP – Bon usage – Effets secondaires

Abréviations

IPP : Inhibiteurs de la pompe à protons PAP : Pompes à protons

AMM : Autorisation de mise sur le marché HAS : Haute autorité de santé

RGO : Reflux acide gastro-œsophagien CM : Colite microscopique

Hp : Helicobacter pylori

ILA : Infection du liquide d’ascite NIA : Néphrite interstitielle aiguë IRC : Insuffisance rénale chronique

MICI : Maladies inflammatoires chroniques intestinales

Introduction

Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) sont commercialisés depuis 1989 et ont révolutionné la prise en charge des pathologies digestives liées à l’acidité gastrique. Ils ont ensuite été génériqués en 2004 et sont actuellement disponibles en vente libre, « Over The Counter », depuis le 1er juillet 2008. Leur consommation n’a cessé d’augmenter depuis la fin des années 90 et les IPP représentent actuellement l’une des classes thérapeutiques les plus prescrites en ville et à l’hôpital.

Longtemps considérés comme dénués de toute toxicité en raison de leur spécificité d’action au niveau des pompes à protons gastriques, les IPP sont depuis quelques années incriminés dans la survenue d’effets indésirables en rapport, soit avec l’hypochlorydrie induite, soit avec des effets extra- gastriques (tableau I).

Tableau I : Effets secondaires rapportés aux IPP

Liés à l’hypochlorydrie induite Non liés à l’hypochlorydrie
Effet rebond acide

Pneumopathie infectieuseInfections gastro-intestinales Pullulation bactérienne du grêle

Infection spontanée du liquide d’ascite Encéphalopathie hépatique

Adénocarcinome gastrique / tumeur carcinoïde Ostéoporose avec augmentation du risque de fracture osseuse Interactions médicamenteuses

Carence en fer – Carence en vitamine B12 Dysbiose (MICI, diabète…)

Pneumopathies infectieuses Hyponatrémie

Colites microscopiques

Néphrite interstitielle et insuffisance rénale aiguë / chronique Démence

 

Interactions médicamenteuses (clopidogrel)

Évolution MICI

Au cours de ces dernières années, les communautés médicale et scientifique ont pris la mesure des effets indésirables potentiels d’une classe thérapeutique dont l’efficacité et la sécurité d’emploi supposée ont été à l’origine de l’explosion du nombre de prescriptions. Cependant, malgré une littérature floride, les niveaux de preuve permettant d’incriminer les IPP dans la survenue de la majorité des effets indésirables sont considérés comme faibles ou très faibles.

Mécanisme d’action des IPP

L’IPP est un pro-médicament inactif gastro-résistant absorbé au niveau de l’intestin grêle qui parvient sous forme non ionisée, via la circulation sanguine, jusqu’à sa cible pharmacologique située au niveau des cellules pariétales gastriques. L’IPP ionisé est transformé en molécule sulfénamide active et établit une liaison covalente irréversible avec la pompe à protons (PAP), à l’origine de son inhibition irréversible. La demi-vie de renouvellement des PAP étant de l’ordre de 18 à 24 heures, une prise unique d’IPP permet une inhibition de la sécrétion acide de près de 24 heures. L’effet maximal de l’IPP est obtenu en cas de prise à jeun, 20 à 30 minutes avant le premier repas de la journée, afin de bloquer les PAP au moment de leur stimulation induite par le repas et les protéines alimentaires. En cas de reflux acide nocturne prédominant et difficilement contrôlé, une prise vespérale avant le dîner est possible, en respectant le délai de 20 à 30 minutes entre la prise et le repas.

Le bon usage des IPP : premier temps de la prévention des effets secondaires

Nous pouvons schématiquement distinguer 3 niveaux de pertinence des prescriptions d’IPP (tableau II). Tout d’abord, les indications de l’AMM ré-évaluées par l’HAS en 2009 puis 2022, les indications hors AMM considérées comme pertinentes qui ne concernent généralement que quelques « niches de malades » parmi lesquelles ceux en réanimation, ceux ayant un grêle court ou une œsophagite à éosinophiles et les véritables non-indications des IPP, telles que la dyspepsie fonctionnelle non ulcéreuse et non liée à un RGO, la prévention des lésions gastro-duodénales chez des sujets non à risque, l’hypertension portale (gastropathie congestive, varices œsophagiennes ou cardio-tubérositaires non hémorragiques) et, enfin, les traitements d’épreuve en cas de syndrome douloureux abdominal aigu.

Tableau II : Indications des IPP

Indications AMM Indications Hors AMM « pertinentes » Non indications
Traitement de l’ulcère gastrique et duodénal Éradication de l’Helicobacter pylori Traitement du RGO sans œsophagite Traitement de l’œsophagite peptique

Prévention des lésions GD sous AFD chez les patients à risque*

Prévention des lésions GD sous AINS chez les patients à risque*

Syndrome de Zollinger-Ellison

Prévention de l’ulcère de stress chez les sujets à risque**

Prévention des lésions GD sous corticoïde chez les sujets à risque*

Traitement des manifestations atypiques du RGO

Effet anti-sécrétoire dans les grêles courts symptomatiques

Traitement de première intention dans les œsophagites à éosinophiles

Dyspepsie fonctionnelle

Prévention de l’ulcère de stress chez les sujets non à risque

Prévention des lésions GD sous corticoïde, AINS ou AFD chez des patients non à risque

Hypertension portale

Test thérapeutique en cas de douleur abdominale aiguë

* facteurs de risque (AFSSAPS 2007, HAS 2009) : âge > 65 ans ; antécédent d’ulcère gastro-duodénal ; association à un anti-agrégant plaquettaire (notamment aspirine à faible dose et/ou clopidogrel), à un anticoagulant ou à un corticoïde.

** sujets en secteur de réanimation et de soins intensifs ayant au moins l’un des facteurs de risque suivants : intubation avec ventilation mécanique dont la durée prévisible est supérieure à 48 heures ; présence de troubles de la coagulation (Plaquettes < 50 000/mm3, INR > 1.5, TCA > 2.5N) ; état de choc (cardiogénique, septique ou hypovolémique) ; insuffisance rénale aiguë ; coma neurologique.

AINS : anti-inflammatoire non stéroïdien – GD : gastro-duodénales – AFD : aspirine à faible dose.

Principaux effets secondaires et complications attribuées aux IPP

Généralités

La majorité des données concernant les effets indésirables des IPP proviennent de cas cliniques, d’études rétrospectives de cohortes ou cas contrôles, sujettes à de nombreux biais et facteurs confondants potentiels (tabac, inactivité physique, comorbidités, polymédication) et de méta-analyses incluant les études antérieures.

En raison de ces biais systématiques et aléatoires qu’il n’est pas possible d’ajuster, de l’hétérogénéité des populations étudiées, de l’absence d’études randomisées, les niveaux de preuve permettant d’incriminer les IPP dans la survenue de la majorité des effets indésirables sont considérés comme faibles ou très faibles (tableau III). Par ailleurs, les études observationnelles, de cohortes ou cas-contrôles, ne permettent que de mettre en évidence une éventuelle association entre l’IPP et un effet indésirable donné mais ne peuvent en aucun cas permettre d’effectuer un lien de causalité entre les 2.

Tableau III : Puissance de l’association IPP- effet secondaire

Effets secondaires Puissance de l’association
Infection à Clostridium difficile  

 

 

 

Modérée

Autres infections gastro-intestinales
Pullulation bactérienne chronique du grêle
Colite microscopique
Hypomagnésémie
Effet rebond acide
Infection du liquide d’ascite (ILA) chez le cirrhotique Faible à modérée
Hyponatrémie  

 

 

 

 

 

 

 

 

Faible

Toute infection hors ILA chez le cirrhotique
Encéphalopathie chez le cirrhotique
Pneumopathie bactérienne
Ostéoporose

–       Fracture du col du fémur

–       Fracture vertébrale

Carence en vitamine B12, fer et calcium
Risque cardio-vasculaire
Toxicité rénale (néphrite interstitielle aiguë, Insuffisance rénale aiguë et chronique)
Interaction avec l’évolution des MICI
Implication dans le DNID et autres maladies métaboliques
Démence Faible à nulle

Effets secondaires à « niveau de preuve plus élevé »

Effet rebond acide

L’effet rebond acide (ERA) se définit par une augmentation de la sécrétion acide à l’arrêt des IPP au-dessus des niveaux de prétraitement, pouvant contribuer à la dépendance au traitement. Il a été bien démontré chez le sujet sain, un traitement par IPP d’une durée de 8 semaines entraînant au cours des 2 semaines suivant son arrêt un rebond acide symptomatique chez 44 % des sujets initialement asymptomatiques (1).

L’ERA survenant à l’arrêt de l’IPP pourrait durer de 8 à 26 semaines après son arrêt et serait proportionnel à la durée et au niveau de la suppression acide (2). En effet, l’intensité et la durée de l’ERA sont proportionnelles à l’hypergastrinémie induite par l’hypochlorydrie, elle-même à l’origine d’une hyperplasie des cellules entéro-chromafines et des cellules pariétales.

En pratique, il faut privilégier les traitements à la demande chez les patients ayant un RGO sans œsophagite ou avec une œsophagite minime. Chez les sujets ayant bénéficié d’un traitement prolongé de plus de 8 semaines, malgré l’absence de données solides, une diminution graduelle de l’IPP sur quelques semaines peut être proposée avant son arrêt. Au cours de cette décroissance, l’ajout d’un anti-H2 ou d’une barrière anti-acide pourrait également être proposé afin de soulager les symptômes liés à l’hyper-acidité.

Infections digestives

L’acidité gastrique joue un rôle important de barrière naturelle à la colonisation bactérienne du tube digestif haut. L’hypocholrydrie peut favoriser les infections à bactéries acido-sensibles telles que Clostridium difficile, Salmonella et Campylobacter, la pullulation bactérienne dans l’estomac, le duodénum et l’intestin grêle. La seule étude contrôlée, randomisée versus placebo menée sur une période de 3 ans avec 17 598 malades a évalué les effets secondaires du pantoprazole 40 (3). Les résultats ont montré que seule la survenue d’une infection digestive était significativement plus fréquente dans le groupe pantoprazole que dans le groupe contrôle avec un OR : 1.33; 95 % IC, (1.01–1.75).

Colites microscopiques

L’association entre IPP et colite microscopique (CM) a été évaluée et confirmée dans de nombreuses études cas-contrôles, plusieurs méta-analyses et cas cliniques. À partir des données de la littérature, il est possible d’avancer qu’en cas de CM d’origine iatrogène, la diarrhée peut apparaître jusqu’à 4 mois, en moyenne 4 à 8 semaines, après l’introduction du médicament causal, son arrêt entrainant une amélioration clinique en quelques jours et la disparition des lésions histologiques en quelques semaines, au maximum 6 mois plus tard.

Tous les IPP ont été impliqués dans la survenue de CM mais le lansoprazole est celui le plus souvent incriminé. Il n’existe pas d’effet classe, l’introduction d’un IPP différent de celui causal n’ayant pas entraîné de récidive de la diarrhée dans plusieurs cas cliniques.

Hypomagnésémie

L’homéostasie du magnésium est régulée par l’absorption intestinale, passive au niveau grêlique et active au niveau colique, et l’excrétion rénale. Les IPP vont diminuer l’absorption passive du magnésium au niveau grêlique en augmentant le pH intra-luminal à l’origine d’une diminution de la solubilité du magnésium et au niveau colique en réduisant l’activité des canaux TRPM6 à l’origine de l’absorption active du magnésium (4).

L’incidence de cette association est largement sous-estimée (< 1/10 000) en raison de la méconnaissance de cette éventuelle relation et de la pauvreté des symptômes décrits, surtout en cas d’hypomagnésémie légère à modérée, des tableaux cliniques sévères ayant cependant été rapportés.

Le risque d’hypomagnésémie est dose-dépendant (OR 2.13 ; 95 % CI 1.26–3.59 pour dose élevée) et durée-dépendant (OR 2.99 ; 95 % CI 1.73–5.15 quand durée > 6 mois). Il s’agit d’un effet de classe commun à tous les IPP, l’oméprazole et l’esoméprazole étant les plus souvent mis en cause.

L’hypomagnésémie en association au traitement par IPP surviendrait préférentiellement chez les sujets âgés, volontiers traités de façon concomitante par un médicament hypomagnésémiant (digitaliques, diurétiques).

Cancer gastrique et Helicobacter pylori

Le risque relatif de développer un adénocarcinome gastrique est augmenté en cas d’infection par Helicobacter pylori (Hp), de traitement au long cours par IPP associé à une infection par Hp (5). Une augmentation du risque de cancer gastrique en cas de traitement par IPP sans infection par Hp n’a jusque-là jamais été prouvée, les résultats de la littérature étant discordants.

Plus que le traitement au long cours par IPP, le degré d’atrophie glandulaire et de métaplasie intestinale sont les principaux facteurs de risque de développement d’un cancer gastrique. De ce fait, il est important d’évaluer le stade de la gastrite au début d’un traitement au long cours par IPP afin d’adapter la surveillance endoscopique et histologique.

Il faut également signaler le risque potentiel des IPP d’être à l’origine d’un retard diagnostique de cancer gastrique en cas de traitement empirique de symptômes non spécifiques.

En pratique, il est actuellement recommandé d’éradiquer l’Hp chez tout sujet infecté nécessitant un traitement par IPP au long cours, idéalement avant le développement de la gastrite atrophique, et de connaitre le degré de gastrite en début de traitement, l’atrophie glandulaire et la métaplasie intestinale étant les 2 principaux facteurs de risque de cancer gastrique.

Autres effets secondaires à niveau de preuve plus faibles

Infection du liquide d’ascite et encéphalopathie hépatique

Il faut tout d’abord rappeler que la prescription d’IPP au long cours ne diminue pas l’incidence des hémorragies liées à l’hypertension portale chez les malades cirrhotiques. En revanche, l’inhibition de la sécrétion acide prédispose à la pullulation bactérienne de l’intestin grêle et facilite la translocation bactérienne. Ainsi, l’utilisation d’IPP augmenterait le risque d’infection spontanée du liquide d’ascite (ILA).

Dans une cohorte rétrospective menée chez plus de 76 000 vétérans américains cirrhotiques, la prise d’IPP était associée à une augmentation de 77 % des ILA et de 64 % du risque de décompensation de la cirrhose (6).

Les IPP ont également été incriminés dans la survenue d’encéphalopathie hépatique chez les malades cirrhotiques par le biais de plusieurs mécanismes parmi lesquels une modification du microbiote intestinal pouvant favoriser la production de dérivés ammoniaqués, la translocation bactérienne et les infections intestinales et l’accumulation intra-cérébrale de métabolites toxiques des IPP.

Carence en vitamine B12 et en fer

La majorité des déficits en vitamine B12 est causée par la non-dissociation de la vitamine B12 de ses protéines porteuses, secondaire à l’’hypochlorydrie induite par les IPP. Le risque de carence en vitamine B12 est associé à la dose et à la durée du traitement par IPP, à l’infection par Helicobacter pylori (Hp) et à la gastrite atrophique.

En cas de prise d’IPP au long cours, il est possible de recommander de doser la vitamine B12 au moindre doute de carence, particulièrement en cas de troubles neurologiques, cognitifs ou hématologiques.

L’acidité gastrique dissocie le fer non héminique de ses complexes alimentaires et permet la réduction du fer ferrique en fer ferreux soluble et absorbable. Le rôle de l’hypochlorydie induite par les IPP dans la survenue d’une carence martiale par malabsorption est actuellement controversé.

Aucune répercussion a été notée chez le sujet avec apports alimentaires et réserves martiales normaux, l’organisme adaptant les pertes à l’absorption ; au contraire, chez des sujets potentiellement carencés ou ayant des apports alimentaires en fer bas, l’hypochlorydrie pourrait contribuer à la carence en réduisant l’absorption du fer non héminique.

Infections pulmonaires

L’hypochlorydrie induite par les IPP favorise la colonisation du tractus gastro-intestinal supérieur par des agents pathogènes issus de la cavité oro-pharyngée. Les 2 mécanismes incriminés sont tout d’abord un phénomène de translocation bactérienne par micro-aspirations de liquide gastrique enrichi en bactéries et une altération de la fonctionnalité des leucocytes de l’arbre respiratoire.

Les résultats de la littérature sont discordants malgré les résultats d’une méta-analyse qui a montré un sur-risque de 27 % de pneumopathie communautaire ou nosocomiale sous IPP (0R 1,27 ; IC 95 % : 1,11-1,46) (7). La seule étude contrôlée randomisée comparant pantoprazole 40 à un placebo n’a pas montré de sur-risque de pneumopathie infectieuse dans le groupe IPP (3).

Ostéoporose et risque fracturaire

Les résultats de la littérature concernant l’association IPP et risque de fractures osseuses sont discordants, certaines études ne retrouvant pas de sur-risque fracturaire et d’autres montrant un sur-risque modeste uniquement dans des populations avec facteurs de risque d’ostéoporose. Ainsi, l’une des hypothèses évoquées serait l’existence de facteurs confondants ayant échappé aux ajustements, les IPP pouvant alors être un marqueur de comorbidités associé à un plus grand risque osseux.

Cette absence de lien de causalité entre IPP et risque fracturaire a été renforcée par les résultats d’une large étude prospective multicentrique ouverte publiée en 2015 ayant regroupé 2 cohortes européennes de malades ayant un RGO, les études SOPRAN et LOTUS (8). Dans l’étude SOPRAN, les auteurs ont réparti les malades dans 2 groupes, l’un traité par oméprazole et l’autre bénéficiant d’une chirurgie anti-reflux par laparotomie avec une durée de suivi de 14 ans ; dans l’étude LOTUS, les auteurs ont comparé un groupe de malades traités par ésoméprazole à un autre bénéficiant d’une chirurgie anti-reflux laparoscopique avec une durée de suivi de 7 ans. Les calcémies, les taux sériques de vitamine D et de phosphatase alcaline et le risque fracturaire étaient identiques dans les différents groupes.

En pratique, si la prescription d’IPP doit toujours être justifiée, il faut insister pour que cela soit également le cas chez les sujets à risque de fractures osseuses (femme âgée de plus de 65 ans, ostéoporose connue, antécédent personnel de fracture, antécédent familial d’ostéoporose, maladies endocriniennes…). L’état actuel de nos connaissances ne permet pas de contre-indiquer ou de stopper un traitement par IPP justifié afin de réduire le risque potentiel de fracture osseuse. En cas d’apport calcique, il est préférable de privilégier les sels de calcium sous forme soluble telle que le citrate au carbonate.

Toxicité rénale

Néphrite interstitielle aiguë

La néphrite interstitielle aiguë (NIA) est une atteinte inflammatoire de l’interstitium rénal et des tubules, le plus souvent liée à une réaction idiosyncrasique ou à un mécanisme d’hypersensibilité à médiation humorale ou cellulaire, induite par un médicament dans 60 % des cas. La NIA est à l’origine de 10 à 15 % des insuffisances rénales chroniques. La NIA est une complication rare des IPP, probablement sous-estimée en raison de sa méconnaissance et de l’essor grandissant de leur emploi (9).

Le risque de développer une NIA ne semble pas lié à la durée d’exposition ni au dosage de l’IPP et la toxicité est liée à un effet de classe. De ce fait, en cas de NIA induite par un IPP, l’administration ultérieure d’un autre IPP n’est pas recommandée.

Le pronostic de la NIA est bon à l’arrêt de l’IPP dans la plupart des cas, mais des travaux ont montré que la fonction rénale pouvait ne pas récupérer totalement dans 30 à 70 % des cas, seule une minorité d’entre eux (< 10 %) nécessitant des séances d’hémodialyses transitoires ou plus rarement permanentes.

Insuffisance rénale aiguë

Les résultats de la littérature sont là encore discordants. Les mécanismes à l’origine de l’insuffisance rénale aiguë ne sont pas clairs : la NIA, hypothèse la plus souvent avancée, l’hypomagnésémie induite par les IPP à l’origine d’un stress oxydatif avec réaction inflammatoire entraînant un dysfonctionnement des cellules endothéliales et une toxicité rénale à bas bruit révélée par une insuffisance rénale chronique (IRC).

Ce sur-risque, noté avec tous les IPP et principalement chez les sujets de moins de 60 ans, pourrait être lié à une réaction d’hypersensibilité aux IPP, plus fréquente chez les sujets jeunes.

Insuffisance rénale chronique

Plusieurs études de cohortes ont montré une association entre traitement au long cours par IPP et IRC, le plus souvent par l’intermédiaire de NIA, d’insuffisances rénales aiguës à répétition ou de l’hypomagnésémie. Une toxicité à bas bruit (dégradation de la fonction endothéliale et accélération de la sénescence endothéliale et vasculaire) menant progressivement à l’IRC a également été évoquée.

Il n’y a actuellement pas de recommandation sur la nécessité et les modalités d’une surveillance régulière de la fonction rénale, mais le médecin prescripteur doit être vigilant aux signes cliniques de NIA pouvant survenir au cours des premières semaines de traitement.

Interactions médicamenteuses

Les IPP peuvent interagir avec d’autres médicaments, soit en modifiant leur absorption par l’augmentation du pH intra-gastrique qu’ils induisent, soit en affectant leur métabolisme par l’intermédiaire des cytochromes qui les métabolisent (tableau IV). En effet, les IPP sont en grande partie métabolisés par le cytochrome P450 2C19.

Tableau IV : interactions médicamenteuses et IPP

Mécanismes Médicaments (DCI)
 

Diminution de l’absorption

itraconazole – etoconazole – ketoconazole – posaconazole – voriconazole atazanavir – indinavir – nelfinavir – saquinavir

midazolam

rifampicine – érythromycine

 

Diminution des concentrations plasmatiques (interaction avec les cytochromes)

mycophanolate mofedil clopidogrel

thyroxine erlotinib

 

 

Augmentation des concentrations plasmatiques (interactions avec les cytochromes)

diazépam – phénytoïne – citalopram imipramine – clomipramine méthotrexate

coumadine

cyclosporine – tacrolimus digoxine

Une interaction entre les IPP et le clopidogrel aboutissant à une diminution de l’activité anti-agrégante plaquettaire a été initialement évoquée au regard des résultats d’études pharmacodynamiques réalisées ex vivo. Les résultats des études cliniques initiales et de nombreuses méta-analyses ont été par la suite contradictoires, certaines montrant une augmentation significative du risque de complications cardio-vasculaires, d’infarctus du myocarde et d’accident vasculaire cérébral chez les malades sous IPP et clopidogrel par rapport à ceux sous clopidogrel seul et d’autres pas.

Cependant, l’absence de surmortalité liée à l’association IPP-clopidogrel a été constatée dans l’ensemble de ces publications.

Une méta-analyse publiée en 2017 (10) a montré que l’association IPP-clopidogrel entraînait une augmentation de 42 % du risque d’évènements cardio-vasculaires graves (OR 1.42 ; IC 95 % : 1,30-1,55) uniquement chez les métaboliseurs rapides du CYP2C19, les IPP n’atténuant pas de manière significative la fonction antiplaquettaire du clopidogrel chez les métaboliseurs lents. Seul le rabéprazole, dont le métabolisme ne dépend pas du CYP2C19, n’avait pas d’interaction sur l’effet anti-agrégant plaquettaire du clopidogrel, quel que soit le statut de métaboliseur. Il faut par ailleurs préciser que le phénotype « métaboliseur rapide » est présent chez plus de 85 % des caucasiens et africains et chez environ 65 % des populations asiatiques.

Autres

Risque cardio-vasculaire

Indépendamment de l’interaction potentielle entre IPP et clopidogrel, les IPP ont également été incriminés dans la survenue d’évènements cardio-casculaires graves malgré des résultats de la littérature hétérogènes et contradictoires.

Dans la seule étude contrôlée prospective, randomisée ayant comparé le pantoprazole 40 au placebo, menée sur une période de 3 ans avec 53 000 patients / année de suivi, le traitement par pantoprazole n’était pas associé à un sur-risque d’évènements cardio-vasculaires, d’infarctus et de mortalité par cause cardio-vasculaire (3).

Maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI)

La rationnel de l’interaction potentielle des IPP sur l’évolution des MICI repose sur plusieurs hypothèses dont l’hypochlorydrie entrainant une modification du microbiote et une augmentation du risque d’infections digestives, l’influence du système immunitaire par l’altération des fonctions des polynucléaires neutrophiles à l’origine d’une réduction de l’activité bactéricide et la modification de la fonction des cellules mononucléées entraînant une diminution de l’adhérence aux cellules endothéliales.

Les données de la littérature actuelles sont relativement limitées mais une méta-analyse publiée en 2021 et regroupant 5 études contrôlées randomisées de malades avec maladie de Crohn et recto-colite hémorragique traités par infliximab (ACCENT I et II, ACT 1 et 2, SONIC) a montré une diminution possible du taux de rémission chez les patients sous IPP traités par anti-TNF (11).

Diabète non insulino-dépendant

Les modifications du microbiote induites par les IPP pourraient jouer un rôle dans la physiopathologie des maladies métaboliques, notamment l’obésité, la résistance à l’insuline, la stéatose hépatique non alcoolique et le diabète.

Les résultats de la littérature sont actuellement contradictoires mais la seule étude prospective randomisée ayant comparé le pantoprazole 40 au placebo (3), menée sur une période de 3 ans, ne montre pas d’association entre la consommation d’IPP et la survenue de diabète.

Démence

Malgré un rationnel physiopathologique séduisant, l’association entre IPP et démence semble avoir définitivement été exclue suite aux résultats d’une méta-analyse récente regroupant 10 études et plus de 642 000 malades (12) et d’une étude prospective américaine menée chez 13 864 infirmières (13) n’ayant pas montré de sur-risque de développer une démence ni une maladie d’Alzheimer chez les consommateurs au long cours d’IPP.

Conclusion

Le bénéfice-risque de tout traitement par IPP doit être considéré à l’introduction et être évalué régulièrement au cours du suivi. Ainsi, lorsque l’IPP est indiqué et correctement prescrit, le bénéfice du traitement est de loin supérieur aux risques potentiels et il n’est pas légitime d’envisager son arrêt dans le but d’éviter d’éventuels effets indésirables ; à l’inverse, pour une prescription inappropriée, la survenue du moindre effet secondaire devient problématique en raison de l’absence de bénéfice attendu par le traitement.

Malgré la longue liste d’effets secondaires potentiels des IPP et les nombreuses publications de ces dernières années, la qualité des preuves apportées dans la littérature à ces associations demeure faible, notamment en raison des nombreux biais potentiels liés à l’interprétation des études rétrospectives.

Références

  1. Reimer C, Sondergaard Bo, Hilstead L, BytZer Proton-pump inhibitor therapy induces acid-related symptoms in healthy volunteers after withdrawal of therapy. Gastroenterol 2009. 137 (1); 80-7.
  2. Fossmark R, Johnsen G, Johanessen E, Waldum Rebound acid hypersecretion after long-term inhibition of gastric acid secretion. Aliment Pharmacol Ther 2005; 21: 149–54.
  3. Moayyedi P, Eikelboom JW, Bosch J, et al. Safety of Proton Pump Inhibitors Based on a Large, Multi-Year, Randomized Trial of Patients Receiving Rivaroxaban or Aspirin. Gastroenterology 2019; 157: 682–91.
  4. Cundy T, Mackay Proton pump inhibitors and severe hypomagnesaemia. Curr Opin Gastroenterol 2011; 27: 180-5.
  5. Garcia Rodriguez LA, Lagergren J, Lindblad Gastric acid suppression and risk of oesophageal and gastric adenocarcinoma: a nested case control study in the UK. Gut 2006; 55: 1538-44.
  6. Mahmud N, Serper M, Taddei TH, Kaplan The association between proton pump inhibitor exposure and key liver-related, outcomes in patients with cirrhosis: a veterans affairs cohort study. Gastroentero- logy 2022 ; 163 (1) : 257-269.e6.
  7. Eom CS, Jeon CY, Lim JW, et al. Use of acid-suppressive drugs and risk of pneumonia: a systemic review and meta-analysis. CMAJ 2011; 183: 310-9.
  8. Attwood SE, Ell C, Galmiche JP, et al. Long-term safety of proton pump inhibitor therapy assessed Under controlled, randomised clinical trial conditions: data from the SOPRAN and LOTUS studies. Aliment Pharmacol Ther 2015; 41: 1162-74.
  9. Nochaiwong S, Ruengorn C, Awiphan R, et al. The association between proton pump inhibitor use and the risk of adverse kidney outcomes: a systematic review and meta-analysis. Nephrol Dialysis Transplant 2018; 33: 331–42.
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