Oesophagites rares

POST'U 2024

Gastro-entérologie

Objectifs pédagogiques

  • Savoir reconnaître les aspects endoscopiques des oesophagites rares
  • Connaître les oesophagites infectieuses (associées ou pas au VIH) et leur prise en charge
  • Connaître les principaux médicaments à l’origine d’oesophagite
  • Connaître « l’œsophage noir » et sa prise en charge
  • Connaitre les causes d’oesophagite disséquante

Testez-vous

Nous vous invitons à tester vos connaissances sur l’ensemble des QCU tirés des exposés des différents POST'U. Les textes, diaporamas ainsi que les réponses aux QCM seront mis en ligne à l’issue des prochaines journées JFHOD.

Testez vos connaissances sur le sujet.

Les 5 points forts

  1. Les principales causes d’œsophagites infectieuses sont le Candida albicans, le virus Herpes (HSV) et le Cytomégalovirus (CMV).
  2. Les facteurs favorisants une œsophagite à Candida sont toujours à prendre en considération.
  3. Les classes thérapeutiques les plus à risque d’œsophagite médicamenteuse sont les antibiotiques (cyclines, quinolones), les AINS et les biphosphonates.
  4. Les lésions des œsophagites médicamenteuses siègent le plus souvent au niveau de l’œsophage moyen et sont typiquement des ulcérations en aspect de « kissing ulcers ».
  5. L’œsophage noir est secondaire à un phénomène ischémique ou à une exposition aiguë et/ou massive à l’acidité gastrique et de pronostic sévère.

Vidéo

I'm visible only if js is disabled

Lien d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec sa présentation

Mots-clés

Œsophagites rares, Endoscopie, Ulcérations œsophagiennes

Abréviations

AINS : Anti Inflammatoire Non Stéroïdien

CMV : Cytomégalovirus

HSV : Herpes Simplex Virus

HPV : Human Papilloma Virus

VIH : Virus de l’Immunodéficience Humaine acquise

Introduction

Les signes fonctionnels œsophagiens sont largement dominés par le pyrosis qui est assez spécifique du reflux gastrique acide ; il peut être associé à une œsophagite peptique qui est le type le plus fréquent d’œsophagite. Les autres symptômes œsophagiens (dysphagie, odynophagie, douleur rétrosternale, …) sont moins spécifiques et peuvent être associés à une œsophagite mais également, par exemple, à une maladie tumorale ou à des troubles moteurs. Une œsogastroscopie est donc très souvent envisagée afin d’écarter un diagnostic différentiel. Lorsqu’elle confirme une œsophagite qui n’est pas d’allure peptique, il peut être difficile de porter le diagnostic d’une origine plus rare. L’objet de cette mise au point est de répertorier les causes rares d’œsophagites, leurs aspects endoscopiques et, pour certaines d’entre elles, les grands principes de prise en charge. L’œsophagite à éosinophiles n’est pas abordée car présentant un tableau clinique, une présentation endoscopique et une prise en charge maintenant bien connus.

Œsophagites infectieuses

Les œsophagites infectieuses représentent l’une des trois causes les plus fréquentes d’œsophagite avec les œsophagites peptiques et à éosinophiles. Les principaux agents pathogènes en causes sont le Candida, le virus de l’Herpes (HSV) et le Cytomégalovirus (CMV). Plus rarement, les autres germes en cause, notamment chez les patients immunodéprimés, peuvent être le papilloma virus (HPV), le virus de l’immunodéficience humaine acquise (VIH), et la tuberculose (non traités dans cet exposé pour ces 2 derniers, compte tenu de leur grande rareté). L’immunodépression favorise la survenue des œsophagites infectieuses, que ce soit en lien avec le VIH, des traitements immunodépresseurs, une hémopathie ou le diabète.

Cependant, elles peuvent survenir en dehors de ces conditions, sans facteur déclenchant spécifique ou à l’occasion de pathologies particulières (troubles de motricité, radiothérapie, tumeur, antibiothérapie, traitements antisécrétoires) (1-3).

L’analyse des biopsies est un des éléments clés du diagnostic, quelques spécificités sur la pratique ciblée de celles-ci seront détaillées selon les aspects endoscopiques. Cependant, de manière générale pour l’histologie, il s’agit de prélèvements standards, déposés dans le milieu de fixation habituel du laboratoire (le plus souvent du formol tamponné) dans les dix minutes qui suivent le geste et qui ne doivent pas être mis au réfrigérateur. Pour la microbiologie, si le délai de transport jusqu’au laboratoire est inférieur à deux heures (ce qui est le plus fréquent), les biopsies sont simplement mises à l’état frais entre des compresses et/ou avec du sérum physiologique. Le laboratoire se charge ensuite de techniquer l’échantillon de façon adaptée à la recherche demandée (virologie, bactériologie, mycologie, PCR, etc.). L’utilisation d’un autre milieu (tube congelé par exemple) ne sert qu’à s’affranchir d’un délai de transport plus important en lien avec des contraintes locales (4-5).

Œsophagites fungiques (candida)

L’œsophagite candidosique (1-3, 6-8)

Candida albicans est de loin l’agent le plus fréquent, mais il peut parfois s’agir de Candida glabrata, ce qui a un impact thérapeutique (cf. infra). Candida est un organisme commensal du tractus digestif humain qui prolifère en cas de facteur favorisant. Ces facteurs favorisants seront toujours à chercher et à prendre en charge concomitamment. Ils peuvent être une altération des éléments protecteurs naturels (flux salivaire, clairance œsophagienne, intégrité muqueuse, équilibre de flore) et/ou un évènement immunosuppresseur (traitement ou maladie). Pour les traitements par corticoïdes inhalés, il ne faut pas négliger les mesures préventives de rinçage de bouche et d’éviter les prises vespérales. La prévalence de l’œsophagite candidosique en population générale est de 0,3 % à 1,7 % versus 10-15 % chez les patients VIH.

Les symptômes cliniques sont le plus souvent une odynophagie, parfois une dysphagie ou des brûlures rétrosternales. L’aspect endoscopique est assez typique et peut suffire au diagnostic avec d’épais dépôts de coloration blanche ou jaune, adhérents à la totalité de la muqueuse œsophagienne, y compris après lavage et parfois aussi visibles sur la muqueuse buccale (figure 1). Si la confirmation diagnostique certaine est indispensable à la prise en charge, elle peut être réalisée par brossage pour examen direct ou par biopsies. Dans ce cas, il est mis en évidence des spores, des pseudo filaments mycéliens, une inflammation aiguë avec micro-abcès. La culture permettra le diagnostic affirmatif et l’identification précise du germe (l’aspect endoscopique ne préjuge pas du type de Candida).

Figure 1 : Différents aspects d’œsophagite candidosique

Dr V. Quentin/Dr G. Macaigne/Dr G. Macaigne

La prise en charge thérapeutique repose en première intention sur le fluconazole par voie orale pendant 2 à 3 semaines (sauf en cas de grossesse, car les triazolés sont tératogènes). Les échinocandines (ex : Caspofungine) n’existent qu’en voie intraveineuse et sont proposées en deuxième intention, lors d’échec symptomatique du traitement par fluconazole ou d’infection documentée à C.glabrata. En cas de grossesse, seul l’amphotéricine B peut être utilisé. Les symptômes disparaissent habituellement sous traitement en 3 à 5 jours, ce qui pourrait faire surseoir la décision d’une endoscopie. En effet, cette efficacité symptomatique explique le fait que dans les recommandations américaines il est jugé coût-efficace de proposer un test thérapeutique au fluconazole avant l’endoscopie en cas de forte présomption clinique de candidose œsophagienne.

L’évolution est classiquement simple après traitement en dehors de rares cas de résistance ou de rechute qui peuvent justifier d’alternatives thérapeutiques ou de traitements prolongés. Parfois, en cas d’inefficacité symptomatique, une co-infection œsophagienne virale peut être associée (dans 50 % des cas chez les patients VIH). Dans ce cas, une nouvelle endoscopie peut être proposée pour évaluation endoscopique et biopsies. Il n’y a pas d’indication à une prophylaxie primaire, la seule place du traitement prophylactique secondaire est la prévention des rechutes au stade de maladie VIH avancée (et parfois au cours de chimiothérapies prolongées). Les complications sont très rares mais peuvent être graves comme l’œsophagite nécrosante ou les sténoses.

Œsophagites virales

Herpes Simplex Virus (HSV) (1-3, 9)

Il existe deux sous types de virus herpes, l’HSV 1 qui touche le système digestif haut (sphère ORL incluse) et l’HSV 2 le système génital et parfois digestif bas (anorectal). La contamination se fait par contact direct avec les lésions vésiculeuses. L’œsophagite herpétique est le plus souvent diagnostiquée chez des patients immunodéprimés mais peut l’être aussi chez les patients immunocompétents. Pour les patients immunodéprimés (adultes ou âgés), il s’agit majoritairement de réactivation virale plutôt que de primo infection. Les facteurs d’immunodépression fréquents sont les pathologies tumorales, les maladies chroniques d’organe (insuffisance rénale, respiratoire et cirrhose), l’infection au VIH et la transplantation. Pour les patients immunocompétents, il s’agit le plus souvent de primo infection chez des patients plus jeunes. Dans la population pédiatrique, une éventuelle association entre l’antécédent d’œsophagite herpétique et le développement secondaire d’une œsophagite à éosinophiles a été évoquée et n’est pas encore bien comprise (1).

Les symptômes cliniques sont peu spécifiques et consistent en une odynophagie, une dysphagie, une douleur rétrosternale et parfois une hématémèse. Il faut noter qu’une fièvre et des lésions vésiculeuses labiales ou buccales associées ne sont pas rares et que la maladie touche plus souvent les hommes que les femmes.

Les signes endoscopiques sont relativement typiques avec une atteinte principale du tiers inférieur de l’œsophage, sous la forme d’ulcérations de petites tailles, parfois nombreuses, rondes, bien délimitées et à bords discrètement surélevés (aspect en « petit volcan »), parfois jaunâtres (figure 2). D’autres descriptions plus rares ont été rapportées telles qu’un aspect érosif diffus ou des ulcérations en carte de géographie (figure 3). Les biopsies doivent être pratiquées sur la périphérie des ulcérations où l’effet cytopathogène est le plus marqué. Elles permettent une certitude diagnostique avec quelques aspects histologiques typiques : aspect de cellules malpighiennes géantes multinucléées, aspect en verre dépoli des noyaux avec margination de la chromatine et inclusions éosinophiles (corps de Cowdry de type A). L’immunohistochimie peut également être demandée ainsi qu’une détection du génome de l’HSV par méthode PCR.

Figure 2 : Aspect classique d’oesophagite herpétique

Wang et al./M Rosolowski et al.

Figure 3 : Aspects plus rares d’œsophagite herpétique, érosif +/- en carte de géographie

Dr V. Quentin/Dr G. Macaigne

La décision thérapeutique dépend principalement du statut d’immunocompétence du patient et de la gravité de l’atteinte œsophagienne. En effet, chez les patients immunocompétents, une guérison spontanée est toujours observée en une à deux semaines, la mise en route d’un traitement antiviral n’ayant montré qu’un effet sur le raccourcissement du délai de guérison. Les patients immunodéprimés doivent être traités par aciclovir oral ou intra veineux en fonction de la sévérité de l’immunodépression et/ou de l’odynophagie (le valaciclovir ou le famciclovir sont des alternatives). En l’absence de réponse, une résistance doit être suspectée et un relais par foscarnet envisagé.

Cytomegalovirus (CMV) (1-3)

L’œsophagite à CMV se développe en majorité chez les personnes immunodéprimées : transplantation d’organe, maladie SIDA, dialysés chroniques, traitements immunosuppresseurs. Le tableau clinique associe odynophagie, nausées, douleurs épigastriques et fièvre. L’atteinte endoscopique se traduit par des ulcérations modérément creusantes, plutôt linéaires sur 1 à 2 cm et localisées dans l’œsophage moyen ou distal (figure 4). Les biopsies sont parfois nécessaires au diagnostic différentiel avec l’HSV et doivent être en profondeur sur le fond de l’ulcère. L’analyse histologique montre des inclusions intra cytoplasmiques ou intra nucléaires basophiles entourées d’un halo clair (aspect spécifique en « œil de chouette » dans la littérature anglo-saxonne). La prise en charge thérapeutique anti virale est toujours indiquée chez ces patients fragiles et repose classiquement sur un traitement d’attaque de 3 à 6 semaines de ganciclovir, le plus souvent par voie intra veineuse, ou de foscarnet. L’intérêt d’un traitement d’entretien reste débattu. Il est souvent considéré que l’apparition d’une œsophagite à CMV chez les patients sévèrement immunodéprimés constitue un facteur de mauvais pronostic évolutif de la pathologie causale.

Figure 4 : Aspect endoscopique d’une œsophagite à CMV

M Rosolowski et al.

Human papilloma Virus (HPV) (10-12)

L’atteinte œsophagienne de l’HPV n’est pas fréquente, de symptomatologie aspécifique, voire asymptomatique et alors de découverte fortuite. Elle se traduit par des lésions variées dont des ulcérations, des plages d’hyperkératoses ou des papillomes. Ces papillomes peuvent parfois être très nombreux et l’atteinte est alors décrite sous le terme de papillomatose. Deux problématiques concernant cette affection sont à signaler : tout d’abord, il existe une incertitude sur l’existence d’un lien spécifique entre HPV et papillome œsophagien ; le papillome épidermoïde œsophagien est une lésion bénigne, asymptomatique et de découverte fortuite, de pathogénie encore incertaine mais considérée comme une lésion inflammatoire en lien avec une agression muqueuse (pyrosis, irritants chimiques, …). Cependant, il est décrit dans certaines études la présence d’HPV dans des papillomes qui pourraient alors être une lésion pré-cancéreuse (11). Par ailleurs, l’HPV pourrait être un facteur de risque de carcinome épidermoïde de l’œsophage. En effet, une méta analyse rapporte des éléments semblant de plus en plus marqués pour considérer que l’infection à HPV expose au risque de cancer épidermoïde avec un odds ratio à 3,32 et qui atteint 3,52 pour le sous type HPV-16 (tout en soulignant l’hétérogénéité des séries et la nécessité d’autres études) (10).

Actuellement, les prévalences sont considérées comme très variables dans le monde et aucune étude ne permet de conclure sur les modalités de traitement et/ou la surveillance après résection de ces papillomes.

Œsophagites médicamenteuses (13-15)

Il est communément admis qu’il existe une centaine de médicaments responsables de lésions d’œsophagite, le diagnostic pouvant être méconnu ou porté tardivement du fait de symptômes aspécifiques.

Les femmes sont majoritairement touchées (environ 2/3 des cas), l’âge moyen se situe autour de la quatrième décennie. Les symptômes sont par ordre de fréquence la douleur rétrosternale, l’odynophagie, la dysphagie, les vomissements et plus rarement hématémèse et méléna. Les lésions siègent le plus souvent au niveau de l’œsophage moyen, probablement en lien avec les empreintes anatomiques de la crosse aortique et de l’oreillette gauche. Elles consistent en des ulcérations (typiquement en aspect de « kissing ulcers », deux ulcérations face à face), parfois hémorragiques, des érosions et érythèmes pouvant également être notés (Figure 5). Les facteurs favorisants décrits sont l’ingestion insuffisante d’eau lors de la prise des médicaments, une position couchée précocement après leur prise et parfois l’hyposialie et les troubles moteurs œsophagiens. Le mécanisme de toxicité œsophagienne peut être direct ou indirect. De façon directe, on retient un mécanisme d’agression de contact en lien avec les propriétés pharmaco-chimiques des produits, de façon indirecte on retient leurs propriétés de relâchement de la pression du sphincter inférieur de l’œsophage. Les classes thérapeutiques les plus à risque d’œsophagite sont principalement les antibiotiques, les AINS, les traitements anti-hypertenseur et les biphosphonates.

Figure 5 : Aspect en « kissing ulcers » des œsophagites médicamenteuses

SH Kim et al./SH Kim et al.

Concernant les antibiotiques, la toxicité est bien connue avec la classe des cyclines qui au contact de l’eau deviennent une solution acide. Les fluoroquinolones, notamment la ciprofloxacine, peuvent également causer une œsophagite de contact par leur pH acide. La toxicité digestive des AINS n’est plus à démontrer, tant par la diminution du rôle protecteur des prostaglandines que par leur caractère acide. Les sténoses distales sont plus fréquemment décrites avec les AINS et parfois favorisées par un reflux gastro-œsophagien préexistant. Les agents anti-hypertenseurs de la classe des inhibiteurs calciques, notamment l’amlodipine, entrainent une toxicité œsophagienne indirecte par reflux acide en relâchant la pression du sphincter inférieur de l’œsophage et en diminuant la clairance acide par la baisse de sa motricité. La classe des biphosphonates est également bien connue pour être une cause d’œsophagite par irritation muqueuse probablement par leur chaîne amine. Les recommandations strictes sur leurs modalités d’ingestion instaurées en post-commercialisation ont permis de rendre cet effet secondaire non significatif par rapport à la population générale. D’autres thérapeutiques plus récentes semblent montrer également un risque de toxicité œsophagienne, telles le dabigatran, le sunitinib ou l’immunothérapie de type anti-PD1. En effet, plusieurs cas cliniques d’œsophagite au dabigatran ont maintenant été rapportés ; il contient de l’acide tartrique comme excipient qui peut expliquer sa toxicité, des recommandations de bonne pratique d’ingestion ont été proposées (16). Le mécanisme de toxicité du sunitinib est moins clair (en lien avec l’inhibition du VEGF ?). Quant à l’œsophagite sous immunothérapie, elle est possiblement immuno-médiée comme les autres toxicités digestives.

La prise en charge thérapeutique n’est pas spécifique et repose sur la suspension du médicament en cause (si possible) et les antisécrétoires tels que les inhibiteurs de la pompe à protons plus ou moins associés au sucralfate. L’enjeu est surtout en lien avec la prévention lors de traitements à risque en insistant notamment sur la nécessité d’ingestion d’eau en quantité suffisante et l’absence de décubitus dans les 30 minutes post ingestion. La forme galénique peut aussi être adaptée en préférant les formes à transit œsophagien rapide telles les liquides ou comprimés pelliculés plutôt que les gélules.

Œsophage noir (17-19)

« L’œsophage noir » est une description purement endoscopique d’une pathologie protéiforme, pouvant avoir plusieurs causes associées et de mécanisme mal connu. Cette entité représente moins de 0,2 % des diagnostics endoscopiques et a été définie en 1990 (17). Il s’agit d’une coloration noire de la muqueuse œsophagienne, circonférentielle, de toute ou partie de l’œsophage, le tiers inférieur étant toujours atteint avec un arrêt net des lésions au niveau de la ligne Z, la muqueuse gastrique étant normale (figure 6). Des ulcérations duodénales sont fréquemment associées.

Figure 6 : œsophage noir

Haut : Dr F. Heluwaert/ABM Grudell et al. – Bas : Dr F. Heluwaert/ABM Grudell et al.

Cette pathologie touche principalement les hommes au cours de la 6e décennie, porteurs de comorbidités telles que le diabète, une pathologie tumorale, une insuffisance rénale ou une maladie cardio-vasculaire. La présentation clinique est majoritairement celle d’une hématémèse ou de vomissements noirâtres, parfois de méléna.

L’ischémie est le mécanisme le plus fréquemment avancé et le mieux documenté. Celle-ci peut être en lien avec une hypotension plus ou moins aiguë et plus ou moins prolongée, mais également avec des micro-thrombi ou une athérosclérose. L’œsophage distal ayant un réseau vasculaire moins dense est donc le plus atteint. La deuxième cause rapportée est une exposition aiguë et/ou massive à l’acidité gastrique quelle qu’en soit le mécanisme (occlusion gastro duodénale, vomissements itératifs, …). Enfin, une origine infectieuse est parfois évoquée, avec un lien de causalité incertain, par une infection virale de type Herpes ou CMV ou fungique de type Candida. Mais il s’agit là de germes souvent opportunistes. Les biopsies sont peu utiles au diagnostic mais peuvent mettre en évidence une infection associée et orienter le traitement. Les diagnostics différentiels sont rares dans les formes typiques et peuvent être le mélanome malin ou l’acanthosis nigricans.

La prise en charge thérapeutique repose en premier lieu sur le remplissage vasculaire afin de restaurer une hémodynamique satisfaisante, la prise en charge des comorbidités, la correction d’une anémie, le jeûne avec nutrition parentérale. Malgré l’absence de preuve formelle de son efficacité, un traitement antiacide par IPP à forte dose est proposé, initialement par voie intraveineuse. Une antibioprophylaxie systématique n’est pas recommandée, en revanche le traitement d’une infection documentée est proposé. La prise en charge chirurgicale est à réserver aux complications perforatives (environ 7 % des cas) ou abcédées.

Le pronostic est mauvais puisque le taux de mortalité est estimé à environ 30 %, le plus souvent en rapport avec les comorbidités plutôt qu’avec le saignement. Le contrôle endoscopique systématique n’est pas indiqué, en revanche, la prise en charge des sténoses séquellaires par dilatation endoscopique est recommandée, ces sténoses survenant dans environ 10 % des cas.

Œsophagite disséquante (20-22)

L’œsophagite disséquante est une description endoscopique rare, classiquement basée sur la présence d’une desquamation en lambeau de la muqueuse œsophagienne, mais il existe des formes moins complètes telles que des fissures longitudinales ou circonférentielles (figure 7). La pathogénie reste mal connue, en lien avec des altérations de la muqueuse œsophagienne réduisant l’adhésion entre les cellules de l’épithélium malpighien. Les signes cliniques les plus spécifiques sont les vomissements ou régurgitations de squames, d’autres signes œsophagiens classiques ayant été décrits (dysphagie, odynophagie, pyrosis, hématémèse). Les facteurs déclenchant ces lésions sont médicamenteux (biphosphonates, AINS), caustiques, ou l’ingestion de boissons chaudes. Il peut également s’agir de localisation d’une maladie digestive ou systémique telle que la maladie cœliaque ou les dermatoses bulleuses. L’œsophagite à éosinophiles peut se présenter sous la forme d’une œsophagite disséquante. Enfin, les formes idiopathiques ne sont pas rares.

Figure 7 : Œsophagite disséquante

Dr G. Macaigne/A Okama et al.

Il est parfois utile de faire des biopsies en cas d’aspects atypiques car certaines formes peuvent mimer des œsophagites candidosiques, ou à but diagnostique dans les maladies bulleuses à expression uniquement muqueuse. Concernant les localisations de maladies bulleuses, il s’agit essentiellement du pemphigus et de la pemphigoïde bulleuse. Les lésions peuvent parfois être impressionnantes et hémorragiques et engendrer quelques inquiétudes sur de potentielles lésions iatrogènes (figure 8). La littérature ne rapporte pourtant pas d’événement significatif pour des examens prudents (« skilled hands », des mains habiles), y compris avec biopsies si elles sont indiquées et sous couverture d’inhibiteurs de la pompe à protons et du traitement spécifique par corticothérapie.

Figure 8 : forme bulleuse d’une œsophagite disséquante

A Okama et al.

Il est classiquement admis qu’il s’agit d’une maladie bénigne qui guérit sans séquelle.

Conclusion

Parmi les œsophagites rares, les causes infectieuses sont les plus fréquentes et parmi elles, la candidose est majoritaire. L’aspect endoscopique des différentes causes infectieuses associé aux résultats des biopsies permettent le plus souvent de porter un diagnostic précis avec une prise en charge thérapeutique qui est bien codifiée. Le diagnostic des œsophagites médicamenteuses repose sur l’association du contexte à la description des lésions endoscopiques, leur prise en charge est essentiellement axée sur les mesures préventives. L’œsophage noir ne pose pas de problème diagnostic et peut être considéré comme l’œsophagite rare ayant le plus mauvais pronostic. L’œsophagite disséquante doit faire rechercher une maladie digestive ou systémique et a le plus souvent une évolution favorable.

Références

  1. P. Hoversten, A. K. Kamboj, D. A. Katzka. Infections of the esophagus: an update on risk factors, diagnosis, and management. Diseases of the Esophagus (2018) 31, 1–9.
  2. Wilcox C M. Overview of infectious esophagitis. Gastroenterol Hepatol (N Y) 2013; 9: 517–9.
  3. M Rosołowski, M Kierzkiewicz. Etiology, diagnosis and treatment of infectious esophagitis. Prz Gastroenterol 2013; 8 (6): 333–7.
  4. L Mastracci, F Grillo, P Parente, et al. Non gastro-esophageal reflux disease related esophagitis: an overview with a histologic diagnostic approach. Pathologica 2020;112:128-37.
  5. Référentiel en microbiologie médicale 2022 (REMIC 7). Société française de microbiologie médicale.
  6. A A Mohamed, X L Lu, F A Mounmin. Diagnosis and Treatment of Esophageal Candidiasis: Current Updates. Canadian Journal of Gastroenterology and Hepatology Volume 2019, Article ID 3585136.
  7. G. Behrens, A. Bocherens, N. Senn. Prise en charge de la candidose œsophagienne en médecine de premier recours. Rev Med Suisse 2014; 10 : 1072-8.
  8. P G. Pappas, C A. Kauffman, D R. Andes, et al. Clinical Practice Guideline for the Management of Candidiasis: 2016 Update by the Infectious Diseases Society of America. Clinical Infectious Diseases 2016;62(4).
  9. H-W Wang, C-J Kuo, W-R Lin, et al. Clinical characteristics and manifestation of herpes esophagitis: One single-center experience in taiwain. Medicine (Baltimore) 2016; 95 (14): e3187.doi: 10.1097/MD.0000000000003187.
  10. X Li, C Gao, Y Yang, et al. Systematic review with meta-analysis: the association between human papillomavirus infection and oesophageal cancer. Aliment Pharmacol Ther 2014; 39: 270-81.
  11. MC d’Huart, JB Chevaux, A Marchal Bressenot, et al. Prevalence of esophageal squamous papilloma (ESP) and associated cancer in northeastern France. Endosc Int Open. 2015;3(2):E101-6.
  12. OL Bohn, L Navarro, J Saldivar, et al. Identification of human papillomavirus in esophageal squamous papillomas. World J Gastroenterol 2008; 14(46): 7107-111.
  13. SH Kim, JB Jeong, JW Kim, et al. Clinical and endoscopic characteristics of drug-induced esophagitis. World J Gastroenterol 2014 August 21; 20(31): 10994-9.
  14. S Abdi, F Masbough, M Nazari, et al. Drug-induced esophagitis and helpful management for healthcare providers. Gastroenterol Hepatol Bed Bench 2022;15(3):219-24.
  15. MS Dağ, ZA Özturk, I Akin, et al. Drug-induced esophageal ulcers: Case series and the review of the literature, Turk J Gastroenterol 2014; 25: 180-4.
  16. Y Zhou, Y Dai, L Lu, et al. Dabigatran-induced esophagitis: a case report. Medicine 2020;99:17.
  17. SP Goldenberg, SL Wain, P Marignani. Acute necrotizing esophagitis. Gastroenterology 1990;98:493–6.
  18. GE Gurvits. Black esophagus: Acute esophageal necrosis syndrome. World J Gastroenterol 2010; 16(26): 3219-322.
  19. A. B. M. Grudell, P. S. Mueller, T. R. Viggiano. Black esophagus: report of six cases and review of the literature, 1963–2003. Diseases of the Esophagus (2006) 19, 105–10.
  20. A Hokama, Y Yamamoto, K Taira, et al. Esophagitis dissecans superficialis and autoimmune bullous dermatoses: A review. World J Gastrointest Endosc 2010;2:252-6.
  21. RS Longman, H Remotti, PH Green. Esophagitis dissecans superficialis. Gastrointest Endosc 2011;74:403-4.
  22. SW Carmack, R Vemulapalli, SJ Spechler, et al. Esophagitis dissecans superficialis (“sloughing esophagitis”): A clinicopathologic study of 12 cases. Am J Surg Pathol 2009;33:1789-94.