Proctologie infectieuse : infections sexuellement transmissibles, maladies d’importation et infections opportunistes

POST'U 2024

Proctologie

Objectifs pédagogiques

  • Savoir identifier et traiter les infections sexuellement transmissibles anorectales
  • Savoir identifier et traiter les maladies infectieuses d’importation anorectales
  • Savoir identifier et traiter les maladies infectieuses opportunistes anorectales

Les 5 points forts

  1. Les infections sexuellement transmises (IST) anorectales sont de plus en plus fréquentes, en premier lieu la chlamydiose et la gonococcie.
  2. Les IST anorectales atteignent essentiellement les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) et les séropositifs VIH.
  3. Il faut évoquer le diagnostic d’IST anorectale en cas de rapport sexuel anal non protégé dans les semaines précédant les symptômes y compris chez les bisexuels et les hétérosexuels.
  4. Il faut toujours s’enquérir du statut VIH, d’une éventuelle immunodépression ou d’un voyage récent en pays tropical.
  5. Les prélèvements locaux et les sérologies doivent précéder le traitement, débuté d’emblée en fonction de l’IST suspectée ou après résultats.

Lien d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêt en lien avec sa présentation

Mots-clés

Anorectite infectieuse – diagnostic – traitement

Abréviations

Non communiquées

Introduction

Les infections sexuellement transmises (IST) sont un réel problème de santé publique depuis plusieurs décennies. Leur progression en France est bien établie grâce aux données épidémiologiques de l’institut national de veille sanitaire (InVS) avec une incidence possiblement sous-estimée du fait du caractère à présent non obligatoire de leur déclaration (1). En consultation de proctologie, ce sont essentiellement les atteintes anorectales que nous pouvons être amenés à diagnostiquer et traiter. Les principales infections sous nos latitudes sont bactériennes (chlamydiose, gonococcie, syphilis) et virales (herpès et papillomavirus). Les maladies infectieuses d’importation viennent essentiellement des pays tropicaux, la donovananose et le chancre mou. Enfin, les maladies infectieuses opportunistes anorectales concernent les patients immunodéprimés, soit du fait d’une maladie ou de traitements diminuant leur immunité ; si elles sont plus rares, il faut toujours penser à les rechercher dans un contexte évocateur.

Savoir identifier et traiter les infections sexuellement transmissibles anorectales

Il est important de garder en tête que ces IST sont fréquentes et peuvent se manifester sous des formes non-spécifiques : proctalgies, ténesme, épreintes, émissions glairo-sanglantes, constipation, lésions érosives, ulcérées ou végétantes. Des adénopathies inguinales sont parfois présentes. Le contexte et le terrain, à savoir des sujets ayant une sexualité à risque, sont à tenir en compte sans être pour autant un facteur limitant. Par sexualité anale, on entend les rapports anogénitaux, orogénitaux et les partages d’objets. Il faut donc y penser pour réaliser les prélèvements adéquats avant de traiter, si besoin sans attendre les résultats. Les prélèvements se font sur les lésions marginales, canalaires mais également du bas rectum au travers de l’anuscope ou à l’aveugle. Ils nécessitent des écouvillons pouvant être fournis par votre laboratoire habituel, sondes multiplex permettant de détecter plusieurs agents infectieux (gonocoque et chlamydia au minimum). Des tests d’amplification des acides nucléiques (TAAN) par polymérase chain reaction (PCR) et un ensemencement pour mise en culture du gonocoque sont ensuite réalisés. Les autres IST sont recherchées et de façon systématique également par les tests sérologiques : VIH, syphilis (TPHA et VDRL si TPHA positif), hépatites B et C.

Atteinte anorectale due à Chlamydiae trachomatis (chlamydiose)

Les signes cliniques vont apparaître 1 à 2 semaines après un rapport sexuel anal qu’il faut savoir demander si besoin. En fonction de la souche, les symptômes seront différents. Les sérovars non-L, souvent asymptomatiques, peuvent être responsables de proctalgies avec une rectite érythémateuse basse et discrète visible en anuscopie. Les sérovars L sont toujours symptomatiques donnant le tableau clinique bruyant de la lymphogranulomatose vénérienne (LGV) : proctalgies, épreintes, ténesme, constipation, émissions glairo-sanglantes et éventuellement signes généraux avec fièvre et amaigrissement. L’examen proctologique peut montrer des lésions ulcérées de la marge anale et du canal anal et, au toucher ano-rectal, rectite ulcéro-bourgeonnante intense, purulente pouvant faire évoquer un adénocarcinome ou une maladie de Crohn. Le contexte et les prélèvements locaux bactériologiques sont dans cette situation importants pour la prise en charge adaptée. Il n’y a pas de place pour la réalisation de prélèvements à visée histologique qui sont source d’errance diagnostique. En cas de résultats discordants avec la clinique, on peut demander une sérologie qui montrera un taux d’anticorps très élevé en cas de LGV (2).

Le traitement en cas d’atteinte anorectale à Chlamydiae trachomatis repose en France sur les tétracyclines per os. En pratique, doxycycline 100 mg matin et soir pendant 7 jours en cas de souche non-L et 21 jours en cas de LGV. En cas d’allergie ou chez la femme enceinte ce traitement sera remplacé par l’azithromycine à la dose de 1 g per os en monodose (ou 1 g par semaine pendant 3 semaines en cas de LGV) ou l’érythromycine 400 mg per os 4 fois par jour pendant 1 semaine (3 semaines si LGV) (3-4).

D’exceptionnels échecs thérapeutiques ont été rapportés avec ce traitement, contrôlés avec la moxifloxacine (5), 400 mg/j pendant 7 jours. Du fait de la co-infection fréquente par le gonocoque, on y associe systématiquement un traitement par 1 g de ceftriaxone en intramusculaire. Le traitement des partenaires sexuels est recommandé selon les mêmes modalités.

Atteinte anorectale due à Neisseria gonorrhoeae (gonococcie)

Les signes cliniques vont apparaître 3 à 7 jours après un rapport sexuel anal. Le tableau est en général bruyant avec ténesme, épreintes, émission de glaires, pus et sang. L’anuscopie montre une rectite érythémateuse voire ulcérée et purulente ; l’émission de pus est parfois visible uniquement au niveau de la ligne des cryptes. Plus rarement, il s’agit d’un abcès ou d’une fistule anale. Les prélèvements locaux systématiques doivent être suivis du traitement probabiliste d’emblée. Les recommandations actuelles sont de proposer une injection intra-musculaire de ceftriaxone à la dose de 1 g. En cas d’allergie à la pénicilline, on recommande la gentamicine 240 mg en une intra-musculaire associée à une prise monodose de 2 g d’azithromycine. En cas de refus ou de prise d’anticoagulants, il est possible de recourir à la céfixime per os avec une prise unique de 400 mg (6). Du fait de la co-infection fréquente par Chlamydia trachomatis, on y associe systématiquement un traitement par cyclines. Le traitement des partenaires sexuels est recommandé selon les mêmes modalités.

Atteinte anorectale due à Treponema pallidum (syphilis)

Les signes cliniques vont apparaître 3 à 4 semaines après un rapport sexuel anal par une phase primaire qui dure 4 à 6 semaines. La lésion caractéristique est le chancre, une ulcération large, unique, indurée, souvent douloureuse au niveau de la marge anale. Une adénopathie inguinale indolore homolatérale est souvent associée. Des formes atypiques sont fréquentes, telles des fissures anales latérales ou multiples voire des ulcérations. Des urgences défécatoires et un ténesme orienteront alors le diagnostic. La phase secondaire qui suit est caractérisée par les syphilides : ce sont des lésions cutanées polymorphes très contagieuses, d’abord érosives puis papuleuses et parfois pseudo-condylomateuses. Des signes généraux sont souvent associés tels de la fièvre et un amaigrissement.

Le diagnostic est fait par la positivité du test tréponémique TPHA (Treponema Pallidum Haemagglutination Assay), seul examen à demander en première intention et qui sera complété, en cas de positivité, par le VDRL (Venereal Disease Research Laboratory). Le traitement repose sur la Benzathine benzylpénicilline (Extencilline®), 2,4 millions d’unités en dose unique par voie IM, en 2 sites différents (7). En cas d’allergie aux bêtalactamines ou de traitement anticoagulant, on peut éventuellement proposer une désensibilisation à la pénicilline (surtout chez la femme enceinte ou en cas de doute sur la compliance à mener le traitement 14 jours) ou la doxycycline 200 mg/j en 2 prises ou l’érythromycine 2 g/j en 2 prises ou l’azithromycine 1 g/j pendant 14 jours. Chez la femme enceinte, on conseille le même schéma avec une prévention de la réaction d’Herxheimer (exacerbation des lésions, fièvre, céphalées) par du paracétamol. Le traitement systématique du ou des partenaires doit être proposé en cas de contact inférieur à 6 semaines.

Atteinte anorectale à Mycoplasma genitalium

En cas de contamination rectale, la symptomatologie est le plus souvent absente ou minime. L’anuscopie peut trouver un aspect érythémateux du bas rectum. Le diagnostic est fait par PCR et détection des TAAN et la mise en culture (8).

Actuellement, du fait des nombreuses résistances, les recommandations sont de ne traiter qu’en cas de persistance de symptômes après avoir éliminé (ou traité) d’autres IST. Le traitement recommandé pour Mycoplasma genitalium est l’azithromycine per os 500 mg le premier jour, puis 250 mg par jour de J2 à J5 et, en cas de résistance aux macrolides ou d’échec à ce premier traitement, la moxifloxacine 400 mg per os pendant 7 à 10 jours (9).

Atteinte anorectale due au virus herpès

Les signes cliniques vont apparaître une semaine après un rapport sexuel anal. Le tableau clinique est en général bruyant, surtout lors de la primo infection avec des proctalgies, un ténesme et des émissions glairo sanglantes. L’examen clinique montre au départ des vésicules de la région anale, parfois dans le canal anal et le bas rectum. Rapidement, l’aspect est celui d’érosions multiples polycycliques confluentes et douloureuses.

L’anuscopie peut montrer une rectite ulcérée d’aspect volontiers nécrotique. D’autres signes associés tels une fièvre, des adénopathies inguinales et des troubles mictionnels sont évocateurs. En cas de récurrence, les symptômes sont beaucoup moins marqués avec toujours des lésions élémentaires cutanées similaires mais moindres.

Le traitement repose sur les antalgiques et les antiviraux per os en privilégiant le valaciclovir : 500 mg, 2 fois par jour pendant 10 jours en cas de primo infection et 5 jours en cas de récurrence.

Un traitement préventif de 500 mg par jour peut être prescrit en cas de récidives fréquentes définies par plus de 6 épisodes par an (10).

Atteinte anorectale à Human Papilloma Virus

Les symptômes vont paraître après un délai très variable qui va de 1 à 12 mois. Il est en réalité très difficile de dater la contamination du fait du mode d’intégration du virus dans les couches profondes de l’épiderme et de leur expression à sa surface sous forme de reliefs plus ou moins visibles, les condylomes. Il en existe différentes formes : maculeuses (et dyschromiques), papuleuses et végétantes qui se présentent comme des excroissances blanchâtres, rosées ou grisâtres, séparées par des intervalles de peau saine, à surface irrégulière dentelée (« crête de coq »), filiformes ou pédiculées. La symptomatologie est très variable, totalement aspécifique et le plus souvent fonction de la taille des lésions : prurit, saignement, gêne à l’essuyage beaucoup plus rarement surinfection. Le diagnostic est le plus souvent clinique et ne nécessite pas de prélèvements. Le traitement réside dans la destruction selon différentes modalités : une destruction physique par bistouri électrique, laser, cryothérapie ou infrarouges pour les lésions intra canalaires ; une destruction chimique par imiquimod (immunomodulateur local), podophylotoxine (cytotoxique), acide trichloracétique, 5FU en crème (11). Les récidives étant fréquentes, il est important de mettre en place une surveillance régulière jusqu’à disparition complète de toutes les lésions. Le traitement préventif repose sur la vaccination par le vaccin nonavalent Gardasil® des adolescents (filles et garçons) de 11 à 19 ans, des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) jusqu’à 26 ans révolus et des immunodéprimés de moins de 19 ans (12).

Atteinte anorectale à Molluscum contagiosum

L’atteinte de ce Poxvirus est assez caractéristique même si elle peut être confondue avec des condylomes. Les lésions sont multiples, arrondies, de 2 à 3 millimètres de diamètre et ombiliquées en leur sommet. Lorsqu’on les presse, on fait sortir une substance blanchâtre avec un risque d’auto- contamination. Le traitement se fait par simple curetage mécanique.

Savoir identifier et traiter les maladies infectieuses d’importation anorectales

D’autres IST, très rares en Europe, doivent être évoquées et recherchées chez les patients provenant de zones endémiques (autochtones ou voyageurs) comme l’amibiase, le chancre mou, la Donovanose et le Monkeypox. Il faut également penser à d’autres infections importées ayant un mode de transmission non sexuel comme la bilharziose (ou encore la tuberculose et l’histoplasmose plus fréquentes en cas d’immunodépression).

Atteinte anorectale par l’amibiase

L’amibiase, atteinte à Entamoeba histolytica, concerne l’HSH par un contact bucco-anal. Le tableau associe des ulcérations anales douloureuses à base indurée ou des végétations pseudotumorales malodorantes, une rectite ulcérée avec émissions glairo-sanglantes mimant une maladie de Crohn. Le diagnostic est confirmé par la mise en évidence d’amibes sur les prélèvements (biopsies rectales, selles). Le traitement associe le métronidazole per os (500 à 750 mg 3 fois par jour pendant 7 à 10 jours) suivi d’un traitement intraluminal pour éliminer tous les protozoaires de la lumière de l’intestin comme la paromycine per os (10 mg/kg 3 fois par jour pendant 10 jours) (13).

Atteinte anorectale à Haemophilus ducreyi (chancre mou)

Les symptômes vont apparaître 2 à 5 jours après le rapport sexuel anal. Les signes cliniques débutent par une lésion papuleuse ou pustuleuse suivie d’une ulcération purulente profonde et douloureuse. L’ulcération est le plus souvent unique, ovalaire, de 5 à 15 millimètres de diamètre, à bords décollés marqués par un double liseré jaune et rouge, avec un fond non induré purulent. Le chancre mou est spontanément indolore mais douloureux à la pression. Il y a souvent des adénopathies inguinales inflammatoires qui peuvent évoluer vers une suppuration et une fistulisation (bubon). Le diagnostic repose sur les prélèvements locaux à visée bactériologique puis un examen direct cherchant le bacille et sur la recherche par PCR à l’aide d’une sonde multiplex. Le traitement fait appel à l’azithromycine 1 g per os en prise unique, la ceftriaxone 250 mg IM en dose unique, l’érythromycine à 1 g 2 fois par jour pendant 7 jours ou la ciprofloxacine à 500 mg 2 fois par jour pendant 3 jours (14).

Atteinte anorectale à Calymnatobacterium granulomatis ou Klebsiella granulomatis (donovanose)

Cette maladie rare sévit surtout en Inde, Asie du Sud-Est, Afrique du sud, Australie centrale, au Brésil et également en Guyane et dans les Caraïbes. Les symptômes vont apparaître après une incubation variant de 3 à 50 jours. Ils se traduisent au niveau anal (localisation rare) par des ulcérations indolores bourgeonnantes saignant facilement au contact et s’étendant par contiguïté en « feuillets de livres ». Les bords des ulcérations sont en margelle de puits. Il n’y a pas d’adénopathie satellite. L’évolution se fait en différents stades, granulomateux, hypertrophique, nécrotique et scléreux. En l’absence de traitement une sténose anale est possible du fait de la destruction tissulaire laissant des cicatrices rétractiles. Le diagnostic se fait sur les prélèvements locaux (frottis) à l’examen direct (corps de Donovan) et par technique de PCR. En cas de forme pseudo-tumorale, les biopsies à visée histologique sont nécessaires. Le traitement fait appel en première intention à l’azithromycine 1 g le premier jour, puis 500 mg/j pendant plus de 3 semaines et jusqu’à guérison complète de toutes les lésions. En seconde intention la doxycycline 200 mg/j en 2 prises ou l’érythromycine 500 mg per os 4 fois par jour ou le triméthoprime-sulfaméthoxazole (160 mg/800 mg) per os 2 fois/jour pendant plus de 3 semaines et jusqu’à guérison complète de toutes les lésions (15).

Atteinte anorectale à Monkeypox

Il s’agit d’une zoonose virale causé par un orthopoxvirus de la famille des poxvirus endémique en Afrique centrale et de l’ouest. En mai 2022, une épidémie affectant les homosexuels masculins a suggéré le rôle majeur de la transmission sexuelle. Après une incubation de 5 à 24 jours, les premières manifestations associent une fièvre, des myalgies, des céphalées et des adénopathies suivies par une éruption cutanéo-muqueuse. L’atteinte anorectale se fait sur le mode d’une ano-rectite extrêmement douloureuse (16). Le diagnostic est posé par la PCR sur les prélèvements cutanés ou anorectaux. Le traitement repose chez les patients avec une atteinte sévère par le tecovirimat (600 mg matin et soir pendant 2 semaines) (17). Une vaccination post-exposition avec un vaccin de 3e génération (Imvanex® ou Jynneos®) est proposée aux personnes adultes contacts à risque, y compris les professionnels de santé exposés sans mesure de protection individuelle, idéalement dans les 4 jours après le contact à risque et au maximum 14 jours plus tard avec un schéma à 2 doses (ou 3 doses chez les sujets immunodéprimés), espacées de 28 jours. Ces vaccins servent à une vaccination préventive proposée aux groupes à risque, c’est-à-dire les HSH à partenaires multiples, les personnes transgenres multipartenaires, les travailleurs du sexe, les professionnels exerçant dans les lieux de consommation sexuelle. La vaccination pour les professionnels amenés à prendre en charge les personnes malades est décidée au cas par cas.

Atteinte anorectale par la bilharziose

Chez les voyageurs revenant des pays tropicaux, il faut penser à la bilharziose en cas d’éruption érythémateuse maculo-papuleuse prurigineuse de la région péri anale, due au passage dans le derme du parasite (Schistosoma) lors de baignades en eaux contaminées (18). Une fièvre modérée, une toux sèche, des douleurs abdominales et une diarrhée peuvent être associées. Le diagnostic se fait par la sérologie et les biopsies de lésions cutanées à la recherche des œufs du parasite entourées par des cellules inflammatoires et des éosinophiles. Le traitement associe le praziquantel et la méthylprednisolone.

Savoir identifier et traiter les maladies infectieuses opportunistes anorectales

Ces infections peuvent survenir chez le sujet immunocompétent mais sont à rechercher surtout en cas d’immunodépression primitive ou induite par un traitement.

Atteinte anorectale à cytomegalovirus (CMV)

Le CMV est un virus présent dans les matières fécales, l’urine, le sperme et la salive généralement asymptomatique chez l’immunocompétent (rares cas après un rapport sexuel anal). La triade associant un syndrome mononucléosique et un syndrome rectal quelques jours ou semaines après un rapport anal passif non protégé est très évocateur d’une infection anorectale transmise à CMV. L’anuscopie montre une rectite ulcéro-hémorragique et les biopsies des inclusions intranucléaires et intracytoplasmiques. Le traitement chez l’immunocompétent est rarement nécessaire avec une disparition spontanée de l’infection. De même en cas de co-infection aiguë par le VIH, la restauration immunitaire permet de guérir sans traitement antiviral. En revanche lorsque l’infection chez l’immunodéprimé est progressive, elle est associée à une mortalité élevée et nécessite un traitement par ganciclovir (13).

Atteinte anorectale à Mycobacterium tuberculosis

L’atteinte anopérinéale due à Mycobacterium tuberculosis correspond à une atteinte des tissus proches des orifices (tuberculosis cutis orificialis) affectant le plus souvent l’homme dans sa 4e décade (19). Elle est rare en dehors des zones d’endémie puisqu’elle représente 1 % des atteintes du tractus intestinal et que ces dernières représentent 1 % des manifestations extra pulmonaires (20). La tuberculose anale concerne essentiellement les patients immunodéprimés, tels ceux séropositifs au VIH ; elle est également décrite chez le sujet immunocompétent, surtout en provenance de pays en zone d’endémie de cette infection.

La contamination se fait essentiellement par l’ingestion de bacilles de Koch (BK) dans les expectorations pulmonaires. La propagation hématogène, lymphatique ou directe à partir des organes adjacents est aussi possible.

La symptomatologie en cas d’atteinte anopérinéale associe des proctalgies, des émissions anales muco purulentes en rapport avec un périnée poly-fistuleux. Des adénopathies inguinales, des fissures ou ulcérations périanales purulentes et des sténoses anales sont également décrites.

L’examen clinique trouve essentiellement en péri anal et endo-canalaire des lésions ulcérées à bords bien définis, mais également des lésions en reliefs, verruqueuses pseudo-condylomateuses et d’autres lupoïdes, sous forme de nodules mous brun-rougeâtre s’ulcérant progressivement en son centre. Les fistules sont souvent plus complexes avec plus de trajets, souvent trans-sphinctériens, en fer à cheval, récidivants, et plus d’abcès comparativement aux suppurations non liées à la tuberculose (21).

Le diagnostic positif est souvent tardif comme l’a montré une série indienne, pays endémique pour la tuberculose : 34,6 mois avec 15,3 % de leurs patients déjà opérés pour une suppuration anopérinéale (19). Ce retard diagnostique est encore plus net en l’absence d’atteinte pulmonaire orientant le diagnostic (66,4 mois).

Le diagnostic de tuberculose anale est suspecté avant tout par le terrain. Sa confirmation n’est pas toujours évidente et nécessite plusieurs techniques. Il ne faut pas hésiter à les renouveler en cas de négativité initiale lorsque la tuberculose est fortement suspectée sous peine de pas faire le diagnostic (21). Une atteinte pulmonaire concomitante étant fréquente (19), une imagerie thoracique est systématique. Le dosage du quantiféron tout comme l’intradermoréaction à la tuberculine (test de Mantoux) doivent être réalisés même s’ils ne sont pas toujours positifs malgré l’infection. L’examen bactériologique direct avec coloration de Ziehl-Nielsen à la recherche de bacilles acido-alcoolo résistants (BAAR) à partir des frottis et la mise en culture à la recherche de BK à partir des sécrétions muco-purulentes des trajets fistuleux sont la technique de référence mais cette dernière peut rester négative chez 15 à 20 % des patients. L’examen histopathologique recherche une ulcération entourée par un infiltrat inflammatoire non spécifique et une nécrose caséeuse, des granulomes composés de cellules épithélioïdes et géantes de Langhans. La détection par PCR de l’ADN mycobactérien permet un diagnostic rapide, dans les 48 heures avec une sensibilité et spécificité élevée mais ne permet pas de réaliser d’antibiogramme (21). La technique PCR est la plus sensible (79,4 %) suivie par l’analyse histologique (73,5 %), la mise en culture (29 à 47 %) et les frottis des lésions (5,8 %).

Le principal diagnostic différentiel est la maladie de Crohn avec ses lésions ano-périnéales ; plus rarement les IST (telles la LGV, gonococcie et la syphilis) mais aussi le pyoderma gangrenosum, l’amibiase, la sarcoïdose, le cancer épidermoïde et l’actinomycose (22). Le traitement est médico- chirurgical. La chirurgie permet de drainer les suppurations et mettre à plat les fistules au cas par cas (22). L’antibiothérapie doit être débutée au plus tôt, avant la chirurgie ou dans les 6 premières semaines (3 dans l’idéal) pour être la plus efficace et permettre la cicatrisation rapide des plaies opératoires (en général en quelques semaines) (21). Elle repose sur une phase intensive de 2 mois avec l’association de 3 ou 4 antibiotiques (izoniazide, rifampicine, pyrazinamide, éthambutol) puis une phase de continuation jusqu’au 6e mois par une bithérapie (izoniazide et rifampicine).

Atteinte anorectale par l’actinomycose

L’actinomycose est une infection rare due à un bacille filamenteux anaérobie gram positif de la famille des actinomyces. Cette bactérie fait partie de la flore commensale anaérobie de l’oropharynx, du tube digestif et uro-génital (23).

Les atteintes les plus fréquentes sont cervico-faciales, thoraciques et abdominopelviennes. L’atteinte péri-anale est rare faisant surtout l’objet de cas rapportés et de petites séries. La souche la plus fréquemment décrite alors est Actinomyces israelii (23, 24). L’actinomycose touche surtout le sujet masculin, séropositif pour le VIH, le diabétique et l’alcoolique (24), plus rarement l’immunocompétent (25). La présentation est souvent celle d’abcès récidivants et de fistules périanales complexes multi-opérées (24, 26). La contamination se ferait par une extension par contiguïté d’une infection abdominale ou serait d’emblée primitive au niveau de la ligne pectinée dans une crypte de Morgagni. Une infection chronique par le bacille provoquerait une suppuration inflammatoire et fibrosante progressive responsable de l’apparition de collections et trajets fistuleux avec des écoulements caractéristiques de « granules sulfureux » et dissémination aux organes adjacents. À ce stade, le diagnostic est rarement fait car non spécifique et pouvant faire évoquer à tort une néoplasie, une tuberculose, une LAP de Crohn, une LGV ou une syphilis (24).

Le diagnostic nécessite l’examen bactériologique et histologique des tissus infectés et des sécrétions purulentes (25) à la recherche des bacilles filamenteux Gram positif. Le taux d’échec de l’isolement du germe étant important (plus de 50 %), il est important d’orienter le laboratoire sur la recherche d’actinomycose pour que soit réalisée une mise en culture prolongée dans un milieu approprié (anaérobie) (26).

Il n’y a pas de recommandation à ce jour mais l’antibiothérapie la plus souvent prescrite est la pénicilline G, 10 à 20 millions d’unités en 4 injections intraveineuses par jour pendant 2 à 6 semaines suivies de pénicilline V ou amoxicilline pendant 6 à 12 mois (27).

Atteinte anorectale par l’histoplasmose

Histoplasma caspulatum est un agent pathogène fongique trouvé dans certaines régions des États-Unis. L’histoplasmose diffuse, qui peut toucher le tube digestif dans 70 et 90 % des cas, concerne rarement la zone périanale. Une revue de la littérature récente montre que l’intestin grêle est le l’organe le plus souvent atteint, l’anus se limitant à 2 % des localisations digestives [28). Elle touche essentiellement les patients ayant des traitements immunosuppresseurs ou séropositifs pour le VIH.

L’atteinte gastro intestinale diffuse se traduit par des douleurs abdominales, une diarrhée, des hémorragies digestives et un amaigrissement consécutif à un syndrome de malabsorption. L’atteinte anale classique est une lésion ulcérée rarement un syndrome de masse mais elle peut se confondre avec une néoplasie, une tuberculose ou une LAP de Crohn.

L’analyse histologique montre habituellement un infiltrat inflammatoire mixte composé de lymphocytes, histiocytes, plasmocytes et de cellules géantes épithélioïdes multinucléés. Les colorations spécifiques (PAS) peuvent mettre en évidence l’agent pathogène. Le diagnostic d’histoplasmose doit être confirmé par la recherche d’un antigène spécifique dans le sang ou les urines suivi d’une mise en culture. Le traitement repose sur des antifongiques pendant plusieurs mois.

Atteinte anorectale par la leishmaniose

La leishmaniose est une zoonose endémique de certains pays méditerranéens comme l’Espagne. Un état d’immunodépression explique la propagation du parasite dans les viscères. Le duodénum est le plus fréquemment atteint en cas de leishmaniose gastrointestinale et l’atteinte anale est rare (29). La présentation clinique est dans ce cas une masse infiltrée, dure, indolore et prurigineuse. Le diagnostic est fait la mise en évidence du parasite sur l’étude histologique de la masse couplé à une sérologie positive. Le traitement est à base d’amphotéricine B.

Autres infections avec atteinte rectale

Certaines infections comme la cryptosporidiose ou de la spirochétose ont été décrites chez les patients VIH et les HSH et considérées alors comme des IST. Ces agents infectieux sont cependant également présents chez les patients immunocompétents. Elles sont responsables essentiellement d’une diarrhée aqueuse. Lorsque le traitement est nécessaire, il repose sur la nitazoxanide pour la cryptosporidiose et le métronidazole pour la spirochétose (13).

Conclusion

En cas d’atteinte anorectale supposée infectieuse, le terrain, l’interrogatoire et les constatations cliniques permettent le plus souvent d’orienter le diagnostic puis de proposer un traitement adapté (18). Un prélèvement local par écouvillon ou des biopsies suivis d’une étude PCR ou d’une mise en culture sont souvent indispensables, mais n’empêchent pas de débuter un éventuel traitement probabiliste afin de rompre la chaîne de transmission. Des sérologies à la recherche d’autres IST sont systématiquement associées. Il faut également toujours avoir en tête des infections importées en cas de voyage récent dans un pays tropical ainsi que des infections opportunistes chez le patient immunodéprimé.

Références

  1. Santé publique France – Bulletin de santé publique – Edition nationale – Décembre https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et- traumatismes/infections-sexuellement-transmissibles/vih-sida/documents/bulletin-national/bulletin-de-sante-publique-vih-ist.-decembre 2022
  2. De Vrieze NH, de Vries Lymphogranuloma venereum among men who have sex with men. An epidemiological and clinical review. Expert Rev Anti Infect Ther. 2014;12:697–704.
  3. Lanjouw E, Ouburg S, de Vries HJ et 2015 European guideline on the management of Chlamydia trachomatis infections. Int J STD AIDS 2016; 27: 333–348.
  4. De Vries HJC, de Barbeyrac B, de Vrieze NHN, et al. 2019 European guideline on the management of lymphogranuloma J Eur Acad Dermatol Venereol 2019; 33: 1821–1828.
  5. Vall-Mayans M, Isaksson J, Caballero E, et Bubonic lymphogranuloma venereum with multidrug treatment failure. Int J STD AIDS. 2014;25:306.
  6. Unemo M, Ross J, Serwin AB, et al. European guideline for the diagnosis and treatment of gonorrhoea in Int J STD AIDS 2020; Oct 29:956462420949126.
  7. Janier M, Unemo M, Dupin N, et al. 2014 European guide- line on the management of syphilis: giving evidence J Eur Acad Dermatol Venereol 2016; 30: e78–e79.
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