Régimes « anticancer » : attention danger !

POST'U 2024

Cancérologie

Objectifs pédagogiques

  • Connaître les différents régimes médiatisés
  • Connaître l’argumentaire de ces régimes
  • Connaître les dangers de ces régimes
  • Connaître les outils d’information disponibles

Les 5 points forts

  1. Près d’une personne sur dix ayant, ou ayant eu un cancer reconnaît avoir pratiqué un régime de restriction en lien avec leur maladie.
  2. Les 2 principaux régimes de restriction sont le jeûne intermittent, défini par un arrêt complet de l’ingestion de macro et micro-nutriments, et le régime cétogène, défini par une réduction des ingesta glucidiques à moins de 10 % des apports caloriques totaux.
  3. À ce jour, aucun bénéfice en survie et qualité de vie de ces régimes de restriction n’a pu être démontré par les études contrôlées.
  4. Les régimes de restriction ne sont pas recommandés en cancérologie, compte tenu de l’absence de preuve d’efficacité et du risque de dénutrition pouvant entraver la prise en charge thérapeutique.
  5. Le réseau NACRe a fait paraître des brochures d’information destinées aux patients et aux professionnels de santé. Elles incitent les patients à questionner l’équipe médicale s’ils souhaitent entreprendre ces régimes.

Liens d’intérêt

Rémunération pour des présentations scientifiques par Fresenius Kabi, Nestlé Health Science, Nutricia, Amgen, Takeda

Mots-clés

cancer ; jeûne ; régime cétogène ; régime de restriction ; cancer ; NACRe

Introduction

Des informations sur les bienfaits ou les méfaits sur notre santé nous arrivent en permanence. Les medias ne s’encombrent que rarement de rigueur scientifique pour décrire le nouveau régime « anticancer » ou l’aliment miraculeux. Les éditeurs sortent à tour de bras les ouvrages d’auteurs, parfois scientifiques ou médecins de renom, dont la préoccupation principale n’est pas toujours le bien de l’humanité. Ils y vantent les avantages de l’alimentation X ou Y, diabolisent l’aliment Y, tout cela dans le but de créer la peur et l’espoir, et augmenter les ventes de leurs livres ou de produits dérivés.

Ceux qui souffrent d’un cancer et ceux qui soutiennent un malade guettent chaque espoir offert, chaque erreur à ne pas commettre, pour ne perdre aucune chance. Ils entendent que le miracle existe peut-être, que des aliments ou des régimes peuvent avoir des vertus « anticancer » et ils ont été (peut-être volontairement) oubliés par les cancérologues, au profit des médicaments potentiellement toxiques. Près d’une personne sur dix ayant ou ayant eu un cancer avoue avoir pratiqué un régime de restriction, en particulier le jeûne et le régime cétogène. De la même façon, plus d’un patient sur deux consomme des compléments alimentaires (et souvent plusieurs) aux cours des traitements d’un cancer mais seulement la moitié en parle à leur oncologue.

Connaître les différents régimes médiatisés

Les régimes qui ont fait l’objet du plus grand nombre d’études pré-cliniques ou cliniques publiées sont les régimes de restriction calorique et glucidique. On distingue surtout, parmi eux, le jeûne intermittent ou « thérapeutique » et le régime cétogène.

Le jeûne intermittent est défini par un arrêt complet de l’ingestion de macronutriments (glucides, lipides, protéines) et de micronutriments [vitamines, éléments-trace, minéraux (en dehors de ceux contenu dans les boissons)], sans restriction hydrique, pendant une durée de quelques heures à quelques jours. Entre les périodes de jeûne, l’alimentation est, le plus souvent, ad libitum, mais peut aussi être associée à des périodes de restriction calorique. Une reprise progressive de l’alimentation solide et des apports calorico-glucidiques est parfois proposée.

Chez l’homme, certains différencient le jeûne complet du jeûne partiel dans lequel de petites quantités d’apports alimentaires sont autorisées, sous forme de bouillons de légumes, fruits ou jus de fruits, sans dépasser 250 à 300 kcal par jour. Dans tous les cas, l’apport en micronutriments et en eau n’est pas limité.

Le régime cétogène ou diète cétogène est défini par une réduction des ingesta glucidiques à moins de 10 % des apports caloriques totaux. Les apports caloriques doivent correspondre à 100 % des recommandations. On parle de régime cétogène 4 :1 lorsque l’apport lipidique (en g) est 4 fois plus important que l’apport glucidique (l’apport calorique des glucides est alors de 8 % si les protéines sont à 15 %). Ce régime doit être pratiqué pendant plusieurs semaines pour obtenir un effet cétogène significatif. On différencie le régime cétogène pauvre en protéines (moins de 15 % des apports caloriques totaux) ou enrichi en protéines (entre 15 et 30 % des apports caloriques recommandés). Le régime Atkins ou le régime à index glycémique bas sont des formes moins contraignantes de régime cétogène.

Parmi les autres régimes ayant été proposés pour lutter contre les cellules cancéreuses, on peut citer :

Le régime de restriction protéique qui est défini par une réduction exclusive des apports protéiques sans réduction des apports caloriques. Cette réduction se situe à moins de 10 % des apports caloriques totaux pendant quelques jours à quelques semaines. Elle intéresse, dans certaines études, uniquement les protéines animales.

Le régime pauvre en polyamines vise à supprimer les polyamines naturellement contenues dans certains aliments comme la plupart des aliments végétaux, mais aussi certains fromages, les fruits de mer et certaines levures.

D’autres régimes comme le régime pauvre en gluten, ainsi que des régimes privilégiant un aliment (jusqu’à le consommer de façon exclusive) comme le curcuma (dont on peut extraire la curcumine), la myrtille (dont on extrait un anthocyane) ou de l’ail (riche en diallylsulfide) n’ont pas fait l’objet d’études méthodologiquement satisfaisantes.

Connaître l’argumentaire de ces régimes

La voie la plus communément affectée par une carence d’apport calorique est la voie IGF1/Akt/mTOR. Le jeûne et, plus généralement, les régimes de restriction calorique et glucidique réduisent les taux circulants d’IGF1 (Insulin Growth Factor 1), que l’on considère comme un facteur de croissance tumorale, en particulier lorsqu’il est produit en excès. Akt et mTOR (mammalian Target Of Rapamycin) sont des signaux intracellulaires anti-apoptotiques et pro-angiogéniques. Ils favorisent donc, lorsqu’ils sont activés dans la cellule tumorale, sa prolifération et sa croissance. En induisant une diminution de la disponibilité en glucose dans l’environnement cellulaire ou une insulinopénie, les régimes de restriction calorique contribuent à l’inhibition de la voie mTOR, via l’inhibition d’Akt. En influençant négativement la voie mTOR, la carence d’apport calorique ou glucidique diminue donc les capacités de prolifération et de croissance cellulaire. La restriction calorique ou glucidique active aussi la voie AMPK (AMP-activated protein kinase) qui joue un rôle important dans la mort cellulaire tumorale. D’ailleurs, cette voie est aussi régulée par mTOR. La voie AMPK est surtout activée lorsque les glucides de l’alimentation sont totalement remplacés par des lipides (régime cétogène) (1).

Ainsi s’est développée la théorie de « la réponse différentielle au stress ». La cellule normale, ayant gardé intactes ses capacités d’adaptation au stress, pourrait se placer en état de « maintenance » dans ces situations d’agression métabolique, sous l’effet de la restriction énergétique. La cellule normale est capable d’utiliser d’autres substrats énergétiques que le glucose. En cas de carence glucidique, l’oxydation d’autres substrats énergétiques induirait une meilleure protection contre le stress oxydatif. De plus, les voies de signalisation intracellulaire Akt et mTOR seraient inhibées dans cette situation de restriction glucidique ou énergétique dans la cellule normale. Cela conduirait à la mise en jeu de mécanismes de protection cellulaire complexes que l’on nomme autophagie. Il s’agit, de façon très résumée, de mécanismes complexes de « recyclage » des éléments cellulaires permettant la viabilité de la lignée (1, 2).

Si les cellules normales (en particulier musculaires, rénales, cérébrales), dont les mitochondries sont fonctionnelles, sont capables d’utiliser les corps cétoniques comme substrats énergétiques, ce n’est pas le cas de l’ensemble des cellules cancéreuses, en raison de leurs mitochondries dysfonctionnelles. Lors d’un régime cétogène, l’hypoglycémie induite au profit de la synthèse de corps cétoniques limiterait donc la disponibilité de substrat énergétique pour la cellule tumorale. Ceci pourrait avoir pour conséquence un ralentissement de la croissance tumorale.

Dans les études pré-cliniques, les conditions expérimentales utilisées sont extrêmement variables selon le type et la souche d’animaux utilisés, le modèle de cancérogenèse, les modalités des régimes étudiés, et selon les paramètres d’évolution tumorale analysés. Les résultats y étaient hétérogènes. La moitié observait un effet favorable sur l’apparition de tumeurs et l’autre moitié un effet neutre ou délétère. Le jeûne ou le régime cétogène s’accompagnaient généralement d’une perte de poids corporel des animaux. Les études ayant examiné les effets du jeûne ou du régime cétogène sur la toxicité des traitements de chimiothérapie et/ou sur leur efficacité retrouvaient des résultats tout aussi balancés (3).

Le rapport NACRe de 2017 avait retenu une vingtaine d’études cliniques concernant le régime cétogène ou le jeûne au cours des traitements des cancers (3). Aucune étude contrôlée ne montrait de bénéfice en survie globale ou sans progression. Il n’existait pas non plus de bénéfice de qualité de vie dans ces études qui étaient essentiellement des séries de cas, pas toujours exhaustifs et prospectifs. Depuis 2017, aucun bénéfice de ces régimes n’a pu être démontré malgré la publication de plusieurs études contrôlées, en particulier au cours du cancer du sein.

Le bilan lipidique n’est pas modifié par le RC. Et ces études n’ont pas constaté de trouble électrolytique attribuable au régime.

Connaître les dangers de ces régimes

Le premier effet négatif de ces régimes est leur faible observance, avec le risque de « perdre » le patient dans les méandres d’une alimentation chaotique et déséquilibrée. Dans ces études, le taux d’abandon du régime se situait habituellement entre 25 et 35 % mais pouvait atteindre 70 %. Les motifs d’arrêt du régime les plus souvent décrits étaient la fatigue, mais aussi la diarrhée, les douleurs abdominales et les flatulences (pour le régime cétogène).

Le rapport NACRe de 2017 avait alerté sur une perte de poids moyenne de 0 à 3 kg par mois en cours de régime de restriction glucidique. Il existait même une perte de masse musculaire et de masse grasse dans plusieurs études. L’appétit était altéré chez la majorité des patients dans cette étude. Les ingesta caloriques se situaient entre 14 et 19 kcal par kg de poids alors que les ingesta protéiques étaient inférieurs à 1 g par kg de poids.

De fait, le rapport du réseau NACRe ne recommandait pas la prescription d’un régime de restriction glucidique au cours des traitements des cancers. L’ESPEN précisait en 2019 que les régimes de restriction calorique ou glucidique ne devaient pas être proposés aux patients atteints de cancer et à risque de dénutrition (4).

Connaître les outils d’information disponibles

À l’occasion de la publication de son rapport sur les régimes de restriction glucidique en 2017, le réseau NACRe a fait paraître deux brochures sur ce sujet. L’une est destinée aux patients et au grand public, et la seconde s’adresse aux professionnels de santé.

Elles décrivent les mécanismes d’action potentiels de la restriction glucidique et l’absence de résultats probants chez l’homme. Elles incitent surtout les patients à questionner l’équipe médicale qui les prend en charge lorsqu’ils s’intéressent au sujet et souhaitent mettre en œuvre un régime de ce type. Cette brochure donne aux professionnels de santé les arguments importants pour soutenir une recommandation de ne pas entreprendre ces régimes et propose de fixer des limites, avec le patient, facilement mesurables (perte de poids, diminution de force musculaire ou de masse musculaire) nécessitant l’arrêt du régime s’il était entrepris.

La préoccupation principale de ce travail d’information est de lui apporter le temps nécessaire à la compréhension des bénéfices et des risques de ces régimes. C’est l’absence de temps proposé par les soignants pour évoquer ces sujets complexes des thérapies dites alternatives qui conduit les patients à en taire la pratique, ou plus grave, à se détourner totalement des thérapeutiques conventionnelles. La diététique, comme les autres interventions non médicamenteuses en cancérologie, est une occasion unique de renouer un dialogue et refonder une confiance entre soignés et soignants.

Références et liens utiles

  1. Guinhut M, Raynard Régime cétogène et cancer. Médecine des Maladies Métaboliques 2022 ; 16 : 614-9.
  2. Raynard Le jeûne thérapeutique en cancérologie : mode ou réalité ? Nutr Clin Métabol 2015 ; 29 : 132-5.
  3. Raynard B, Bellenchombre L, Bigey C, et al. Le jeûne contre le Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes & Nutrition n° 3/ juin 2019.
  4. Muscaritoli M, Arends J, Bachmann P, Baracos V, Barthelemy N, Bertz H, Bozzetti F, et ESPEN practical guideline: Clinical Nutrition in cancer. Clin Nutr. 2021 May;40(5):2898-2913. doi: 10.1016/j.clnu.2021.02.005. Epub 2021 Mar 15. PMID: 33946039.
  5. https://www6.inrae.fr/nacre/Le-reseau-NACRe/Outils-pour-professionnels/Rapport-NACRe-jeune-regimes-restrictifs-cancer-2017
  6. https://www6.inrae.fr/nacre/Le-reseau-NACRe/Publications/Depliant-NACRe-grand-public-patients-jeune-cancer
  7. https://www6.inrae.fr/nacre/Le-reseau-NACRe/Publications/Depliant-NACRe-professionnels-de-sante-jeune-regimes-restrictifs-cancer