L’interféron pégylé dans l’hépatite chronique C

Le traitement de référence

Le traitement de référence actuel de l’hépatite chronique C est l’association de l’interféron alpha (3 M. UI trois fois par semaine) à la ribavirine (1 à 1,2 g/jour selon le poids du malade) [1]. Deux grandes études contrôlées menées chez des malades n’ayant jamais été traités (malades naïfs) ont effectivement montré la supériorité de l’association interféron-ribavirine sur l’interféron seul. Globalement, une réponse virologique durable est observée chez 41% des malades traités par la thérapie combinée contre 16% chez ceux traités par l’interféron seul [2, 3]. L’efficacité du traitement est liée au génotype et à la charge virale, ces deux paramètres définissant la durée optimale du traitement. Ainsi, il est recommandé de traiter les malades naïfs par thérapie combinée interféron-ribavirine pendant 6 mois, à l’exception de ceux infectés par un génotype 1 associé à une charge virale élevée (> 2.10 6 copies/ml) pour lesquels une durée de un an est justifiée si la recherche de l’ARN viral est négative à 6 mois [4]. Les unités de quantification de l’ARN du virus de l’hépatite C (VHC) n’étaient standardisées à l’époque de cette recommandation. On sait aujourd’hui que le seuil décisionnel pour ces malades est de 800000 unités internationales par ml, unités qui devraient se généraliser à tous les tests de quantification de l’ARN du VHC au cours de cette année [5].

Chez les malades ayant répondu à l’interféron seul et ayant rechuté à son arrêt (répondeurs-rechuteurs), la thérapie combinée est également le traitement de référence. Deux études contrôlées ont montré la supériorité d’une thérapie par interféron-ribavirine de 6 mois (45% et 49% de réponses virologiques durables) par rapport au retraitement par l’interféron seul (respectivement 4% et 5% de réponses virologiques durables) [6, 7].

En France, l’association interféron-ribavirine a reçu une autorisation de mise sur le marché en août 1999 pour les malades naïfs et répondeurs rechuteurs. En revanche, chez les malades n’ayant pas répondu à un traitement préalable par l’interféron (non répondeurs), la thérapie combinée est peu efficace [8].

L’association interféron-ribavirine représente donc une avancée majeure dans le traitement de l’hépatite chronique C mais plus de 50% des malades demeurent non répondeurs. Cela a motivé l’évaluation d’autres stratégies.

L’interféron pégylé

Des travaux récents ont étudié les dynamiques de réplication du VHC au cours du traitement par interféron. Ils ont montré que l’administration d’interféron standard au rythme de trois injections par semaine était associée à des fluctuations importantes de la virémie consistant en particulier en une réascension au deuxième jour après l’injection [9]. Ce résultat est probablement en rapport avec la demie vie très courte du virus dans l’organisme (2,7 heures) associée à des taux de production virale très élevés (10 12 virions/jour) nécessitant une pression antivirale constante [10,11].

La pégylation de l’interféron consiste en l’attachement à l’interféron, par une liaison covalente, de polyéthylène glycol. Ce procédé, déjà utilisé avec succès pour d’autres agents, a pour objectif principal de ralentir l’élimination du médicament et, dans le cas de l’interféron, d’obtenir avec une seule injection par semaine, des concentrations sériques d’interféron stables et ainsi de prévenir les fluctuations de virémie observées lors de l’administration tri-hebdomadaire d’interféron standard.

Deux types d’interféron pégylé ont été développés, respectivement par les laboratoires Roche (Pégasys®) et Schering-Plough (ViraféronPeg®). Bien que toutes deux pégylées, ces deux molécules différent d’une part par la structure du polyéthylène glycol (branché pour le Pégasys®, linéaire pour le ViraféronPeg®) et d’autre part par leur poids moléculaire (40 kD pour le Pégasys®, 12 kD pour le Viraféron- Peg®). Le premier est ainsi éliminé principalement par le foie et le second principalement par le rein.

L’étude de l’activité antivirale de l’interféron pégylé n’a jusqu’ici été documentée que chez des malades naïfs pour une durée de traitement généralement d’un an. Son efficacité, jugée 6 mois après l’arrêt du traitement (réponse virologique durable), probablement du fait d’une meilleure imprégnation en interféron apparaît très supérieure à celle de l’interféron standard, qu’il s’agisse du Pégasys® ou du ViraféronPeg® [1]. L’efficacité du Pégasys® a été évaluée dans une grande étude publiée récemment [12]. A la dose de 180 mg par semaine, le taux de réponse virologique durable est de 39%, deux fois supérieur à celui observé chez les malades traités par l’interféron standard qui est de 19%. Comme avec l’interféron standard et l’association interféron-ribavirine, la réponse diffère en fonction du génotype et de la charge virale, allant de 14% pour les malades infectés par un génotype 1 et ayant une charge virale pré-thérapeutique élevée (> 2.10 6 copies/ml) à 67% chez ceux infectés par un génotype 2 ou 3 et ayant une charge virale faible (<2.10 6 copies/ml). Utilisé à la dose de 1 m g/kg par semaine, le ViraféronPeg®, dans une large étude internationale [13], obtient des résultats similaires : le taux de réponse virologique durable est doublé par rapport à l’interféron standard (25% versus 12%) et l’effet dépendant du génotype et de la charge virale est également observé, la réponse passant de 8% pour les malades infectés par un génotype 1 et ayant une charge virale élevée (> 2.10 6 copies/ml) à 62% chez ceux infectés par un génotype 2 ou 3 et ayant une charge virale faible (< 2.10 6 copies/ml). Dans cette étude, l’administration d’une dose de 0,5 m g/ kg par semaine était associée à une réponse non significativement supérieure à celle observée pour l’interféron standard et le taux de réponse virologique durable était identique pour 1 et 1,5 m g/kg par semaine. Il a été rapporté une efficacité supérieure du Pégasys® (180 mg/semaine) par rapport à l’interféron standard chez des malades ayant une fibrose sévère ou une cirrhose (F3 ou F4 selon la classification Métavir) à la biopsie hépatique [14]. Le taux de réponse virologique durable était de 30% chez les malades traités par le Pégasys® contre 8% chez ceux traités par interféron standard. En revanche, l’efficacité du ViraféronPeg® (1 et 1,5 m g/kg par semaine) semble similaire à celle observée chez les malades traités par interféron standard (14 et 9% versus 10%, respectivement) [13]. Le bénéfice des deux interférons pégylés par rapport à l’interféron standard est une augmentation significative des chances d’éradication virale associée à une tolérance voisine [12-14]. Le ViraféronPeg® a obtenu en septembre 2000 une autorisation de mise sur le marché pour le traitement de l’hépatite chronique C en monothérapie en cas de contre-indication ou d’intolérance à la ribavirine. La posologie recommandée est de 0,5 à 1,0 m g/kg par semaine pour une durée de 6 mois à 1 an. La délivrance du produit est à ce jour uniquement hospitalière.

Vers un nouveau traitement de référence?

Les résultats encourageants de l’interféron pégylé ont ouvert la voie à des études, la plupart en cours, qui testent l’efficacité de l’association interféron pégylé-ribavirine. Les résultats finaux d’une large étude multicentrique internationale ont été rapportés au congrès de l’AASLD 2000 par Manns [15]. Les malades étaient traités pendant 48 semaines selon trois modalités différentes. Il a été établi que le taux de réponse virologique durable était significativement plus élevé chez les malades recevant ViraféronPeg® 1,5 FONT FACE= »Symbol » SIZE=2>m g/kg par semaine associé à 800 mg/jour de ribavirine par rapport aux malades traités par ViraféronPeg® 1,5 m g/kg par semaine pendant 4 semaines puis ViraféronPeg® 0,5 m g/kg par semaine associé à 1 à 1,2 g/jour de ribavirine en fonction du poids ou par interféron standard et ribavirine à la dose de 1 à 1,2 g/jour, respectivement 54% versus 47% pour les deux autres groupes. La réponse différait en fonction du génotype étant de 42% pour les malades infectés par un génotype 1 et de 82% pour ceux infectés par un génotype 2 ou 3. Le gain d’efficacité de l’association ViraféronPeg® 1,5 m g/kg par semaine et ribavirine sur la thérapie combinée interféron standard et ribavirine n’était observé que chez les malades de génotype 1, le taux de réponse virologique durable passant respectivement de 42% à 33%. Chez les malades de génotype 2 ou 3, la réponse était similaire quel que soit le traitement utilisé, évaluée entre 79 et 82%. Par ailleurs, cette étude a montré une différence de réponse en fonction de la dose de ribavirine administrée. Il semble que la posologie optimale et donc à recommander soit de 10,6 mg/kg/jour. La tolérance clinique et hématologique était identique dans chacun des trois groupes. Ainsi cette nouvelle thérapie combinée ViraféronPeg® et ribavirine pourrait devenir dans les mois à venir le nouveau traitement de référence de l’hépatite chronique C. Cependant, quelques questions restent sans réponse : a) une dose de 1 m g/kg par semaine de ViraféronPeg est-elle aussi efficace que 1,5 m g/kg par semaine?, b) quelle est la durée optimale de traitement (6 mois ou 1 an) pour les malades infectés par le génotype 1 ayant une charge virale faible ou infectés par les génotypes 2 ou 3?, c) quel est le coût de cette nouvelle association surtout pour les malades infectés par les génotypes 2 ou 3 pour lesquels une thérapie combinée classique donnent des résultats semblables?, d) faut-il traiter les malades ayant une hépatite minime ou des transaminases normales de façon répétée?, e) quels sont les résultats de l’association Pégasys® et ribavirine?

Conclusion

En doublant l’efficacité de l’interféron standard, sans en majorer les effets indésirables et en une seule injection hebdomadaire, l’interféron pégylé représente une avancée majeure dans le traitement de l’hépatite C. C’est ainsi qu’au cours de ces derniers mois, une autorisation de mise sur le marché a pu être obtenue pour le ViraféronPeg® en monothérapie chez les malades intolérants à la ribavirine. Une large étude indique une efficacité de plus de 50% (10 points environ de plus par rapport à la thérapie combinée classique) de la combinaison interféron pégylé et ribavirine qui devrait logiquement devenir le traitement de référence de l’hépatite C en 2001.

 

REFERENCES

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