[Atelier 4] Prise en charge d’un colopathe  » intraitable « 

La prise en charge de l’intestin irritable est schématiquement centrée sur de nombreux et différents éléments physiopathologiques. Elle fait donc appel à un choix parmi plusieurs types de moyens : modificateurs de la motricité digestive, anxiolytiques, régimes alimentaires, crénothérapie, bio-feedback, hypnose, relaxation etc. Le gastro-entérologue est l’ordonnateur de ce choix qui n’est pas toujours facile car la symptomatologie polymorphe, variable et chronique, ne correspond pas toujours à un seul et unique mécanisme physiopathologique d’autant qu’un important effet placebo, impose souvent une empreinte très marquée sur les résultats constatés.

Le premier acte thérapeutique doit donc être consacré aux explications données au malade. Elles concernent essentiellement le caractère bénin de la maladie, la chronicité de son évolution chronique, l’absence de lésions organiques et les objectifs thérapeutiques : soulager et espacer les crises. Cette prise en charge est nécessaire, mais pas toujours suffisante pour obtenir un effet satisfaisant.

En fait, à côté des troubles de la motricité et de la sensibilité digestive, le rôle des troubles de la personnalité est très souvent un facteur déterminant et devient alors une des clés essentielles du problème. La fréquence des antécédents  » d’abus sexuels  » a été récemment mise en évidence. En fonction de la structure de personnalité rencontrée, des aspects caricaturaux ont été décrits tels : le méticulo-obsessionnel, l’hystérophobique polyalgique, le déprimé cénestopathe ou l’hypochondriaque. Mais, à côté de ces tableaux schématiques, des résultats des tests de personnalité ou des scores d’anxiété, c’est surtout l’entretien psychosomatique qui joue un rôle principal. C’est en fonction des problèmes découverts que pourront être proposées des prises en charge plus spécifiques faisant intervenir des psychothérapies ou des médicaments psychotropes.

Un colopathe  » intraitable  » est un patient qui souffre de troubles persistants, résistants aux traitements habituels. Il adopte un comportement particulier, dramatise l’expression de son inconfort somatique, valorise ses plaintes avec une exigence de soulagement de plus en plus pressante. Victime d’un syndrome général d’adaptation, ses mécanismes mentaux paraissent épuisés dans un système dominé par l’impuissance et par conséquence, l’agressivité. L’angoisse somatisée voit croître son intensité, la pensée est obnubilée, les jugements péjoratifs.  » Les mots manquants  » devenus des maux qui fonctionnent comme de véritables canaux de communication, ne peuvent être entendus par l’entourage. Les troubles résistants sont devenus pour tous suspects, intraduisibles. Que faire ? D’abord essayer de comprendre ce qui a pu se passer dans la relation défectueuse médecin- malade.

La relation médecin-malade : menace de rupture ou la confiance en défaut…

La relation du colopathe au médecin est identique à celle qu’il noue avec une personne quelconque de son entourage, au moins sur deux points : son caractère déroutant, en raison des limites confuses de ses symptômes, et le besoin incessant de reconnaissance pour légitimer la plainte. En raison de la demande pressante de soulagement, c’est avec le médecin qu’elle présente ses traits les plus caricaturaux : apparemment froide et vide de toute émotion affective, elle est en fait  » sous-tendue  » par un état de tension quasi contant qui s’exprime par le recours à un  » discours corporel  » avec évocation répétée de la symptomatologie dès que le patient se sent davantage mis en question. Ses plaintes sont donc le principal langage de communication et créent un couple médecin-malade se nourrissant d’échanges plutôt agressifs : le patient irrite le médecin en proclamant ses échecs thérapeutiques, ce dernier réagissant par une attitude de retrait, voire de rejet.

A ce moment là, l’entrée en jeu du psychologue va produire un changement de scène. C’est le moment de décrypter la plainte en impliquant la dimension psychologique. La prise en charge du colopathe  » intraitable  » sera facilitée si la place du symptôme dans l’économie globale du fonctionnement psychique, sa signification dans l’histoire singulière du patient, et sa valeur réactionnelle peuvent être repérées.

Abord psychosomatique

L’entretien psychologique met en place une forme d’écoute clinique qui, d’une part respecte la plainte somatique et le corps en souffrance, d’autre part amène le patient à revenir sensiblement, sans effraction, à son intériorité par le biais de son histoire. L’examen psychologique du colopathe  » intraitable  » doit tout à la fois ne pas condamner le  » bavardage  » de surface en utilisant les émotions comme vecteurs de compréhension et fournir les données psychopathologiques indispensables pour préciser l’orientation thérapeutique.

Dans notre pratique quotidienne, le bureau du gastroentérologue et celui du psychologue ne sont séparés que par une dizaine de mètres. La consultation médicale et l’approche psychosomatique peuvent donc être réalisées conjointement dans un esprit pluridisciplinaire auquel le patient n’est pas préparé. Le malade est  » littéralement  » amené à rencontrer dans la même consultation le psychologue alors qu’il s’attendait à recevoir pour la nième fois une ordonnance et des conseils, déjà connus. Son adhésion à cette nouvelle prise en charge dépend bien sûr du pouvoir de conviction du gastroentérologue qui lui explique les buts de la démarche tout en lui assurant qu’il ne s’agit pas d’une consultation psychiatrique ou d’une tentative de  » psychanalyse « . La  » transmission  » est parfaite si le meilleur profit est retiré de cette  » réaction-surprise « . De la qualité de la relation ainsi établie différemment va dépendre en cet instant, la richesse du discours où la libre association d’idées va être encouragée. L’entretien semi-directif permet alors de recueillir des données utiles sur la perception, l’interprétation, la gestion des symptômes et facilite le récit des événements clés de l’histoire de vie.

L’importance des facteurs d’environnement est souvent mal évaluée et pourtant ils exercent en permanence une influence prépondérante. Ils englobent la petite enfance, ses habitudes éducatives et ses éventuels traumatismes car les attitudes parentales à l’égard de la fonction intestinale des enfants ne sont pas neutres. Une mère exigeante, qui exerce un fort contrôle lors de l’apprentissage de la propreté, peut induire une constipation qui ne se traduira pas seulement par un ralentissement du transit mais qui débouchera à l’âge adulte sur la rétention comme mode unique d’échange.
Les difficultés rencontrées dans le milieu familial actuel perturbant l’équilibre psychologique entraînent des décompensations anxio-dépressives dont les symptômes se trouvent masqués dans les symptômes somatiques. Le symptôme digestif semble même ici protéger contre la dépression. En retour, la façon dont la maladie est ressentie dans une famille peut conditionner le comportement du patient qui, retirant de sa plainte un surcroît d’attention voire d’affection de son entourage, a naturellement tendance à écarter son traitement, à l’inverse de celui qui vit dans une famille où  » l’état  » de maladie n’est pas acceptable moralement. Le milieu professionnel et les tensions qu’il engendre jouent aussi un rôle non négligeable : contrainte des horaires, impossibilité de satisfaire les sensations de besoin, stress permanent, éloignent inévitablement de la contrainte supplémentaire que peut représenter la soumission à un traitement régulier. Ces données sont analysées comme facteurs possibles de décompensation, d’aggravation des troubles.

Aider, pendant la consultation, le patient à prendre conscience du rôle de ces facteurs, déclenche déjà l’action thérapeutique et l’amélioration des troubles survient souvent de façon synchrone avec la  » libération  » des émotions.
La personnalité du colopathe qui ne se traite pas, ou qui se traite mal, ne peut se schématiser dans un profil standard : ses tendances diverses obligent donc à faire pour chaque cas une évaluation pour l’identifier au mieux. Quel est l’impact de ces tendances névrotiques sur la conduite thérapeutique ? C’est une évaluation psychiatrique qui fournit des renseignements précieux : plus la névrose est structurée, plus les plaintes sont valorisées, plus le malade y renonce difficilement car elles lui sont commodes pour ses relations humaines (bénéfices secondaires, recherche de commisération d’autrui, évitement des corvées…). Selon le type des tendances, la résistance à se traiter correctement revêt un caractère différent. Ne rentrant pas dans un profil standard, elle est évaluée au cas pas cas.
Au fonctionnement caractériel plus ou moins manifeste (hystérique, phobique, compulsif) se confond un état dépressif qui  » ne se nomme pas  » lui-même. Parfois masquées, l’anxiété et la dépression sont dépistées en explorant d’abord les symptômes les plus somatiques (troubles de l’appétit, du sommeil, ralentissement moteur) puis plus psychologiques (tristesse, perte d’intérêt, anhédonie).

L’hystérique, inconsciemment, ne souhaite pas guérir, sinon à la rigueur voir son symptôme se déplacer…, il reçoit la prescription avec une séduction feinte et s’empresse de ne pas s’y soumettre pour garantir son échec (l’ordonnance est ici le symbole d’une domination intolérable du médecin).

Lorsque les traits obsessionnels sont manifestes, la logique du prescripteur et celle du patient peuvent se contrarier malencontreusement. Les traitements sont alors mal suivis car ils ne s’intègrent pas dans les habitudes établies et risquent de perturber l’ordre antérieur. Il convient donc d’ajuster au mieux  » l’ordonnance « .

L’hypochondriaque apparaît avec sa complainte éternelle puisqu’il érotise sa souffrance et s’organise pour la conserver. Il prend mal son traitement qui exige de lui une contre-attitude bouleversant son habituelle passivité. Le médicament peut être considéré alors un poison avec des effets secondaires mis en avant pour justifier son abandon et le médecin devient une personne dont il faut plutôt se méfier. Cette catégorie de patients, qu’il faut  » accompagner  » dans leur souffrance, est celle dans laquelle la plainte est le moins reliée à des résultats physiologiques normaux.

Les symptômes anxio-dépressifs peuvent être l’expression d’une dépression masquée, qui, là encore, explique le défaut d’observance. Le déprimé suit mal son traitement par morosité, culpabilité, passivité et rapidité au renoncement. La prise en compte de l’importance de cette décompensation permet d’y remédier et permet d’alléger la plainte concernant le trouble somatique.

Dans tous les cas, les traits névrotiques impriment d’une couleur forte, les conduites thérapeutiques les plus déviantes du patient colopathe. Leurs inconvénients sont plus facilement délimités lorsque le médecin les aborde au sein d’une équipe pluridisciplinaire. On considère alors que l’approche spécifiquement psychologique des patients colopathes permet à tous de mieux contrôler les errances thérapeutiques en venant enrichir l’abord médical simple.

Possibilités thérapeutiques de prise en charge. Suivi médico-psychologique

L’attente positive et non pas sceptique du colopathe à l’encontre de la prescription est encouragée si celle-ci ne se limite plus à une dimension physique mais devient un support à la fois réel et symbolique de  » l’action  » de traiter. L’abord psychologique permet que soit donné un sens à la plainte, et d’établir une relation durable de partenariat avec le patient. La collaboration médecin-psychologue continue dans le suivi du malade vise à lever les barrages sur la route de l’efficacité thérapeutique : elle s’appuie sur médicaments, biofeedback, psychothérapie.

Les modalités peuvent se faire de quatre façons différentes mais une définition générale les regroupe  » Est psychothérapique toute démarche méthodique visant à modifier de façon durable la relation de l’organisme à son milieu en agissant sur le médiateur de cette relation : le psychisme.  »

  • La prise en charge médico-psychologique s’apparente au soutien psychologique et se fonde principalement sur l’empathie, la réassurance, l’explication et la suggestion. Trop superficielle, elle ne s’applique malheureusement pas au colopathe dit  » intraitable « .
  • La psychothérapie cognitivo-comportementale a pour but d’expliquer la maladie et le traitement au patient. Elle est fondée sur une alliance entre lui et le médecin, appuyée sur le dialogue et la collaboration. Visant à rendre au patient la maîtrise de ses fonctionnements psychologiques et à remplacer des programmes mentaux erronés, générateurs de symptômes, par de nouvelles représentations mieux adaptées et plus performantes, elle tend à développer les capacités d’autoguérison et d’autogestion. D’une durée de plusieurs mois, cette méthode donne d’excellents résultats dans le traitement des TFI résistants.
  • La psychanalyse qui vise à élucider les conflits inconscients n’a pas fait la preuve de son efficacité sur les symptômes du colopathe.
  • La nouvelle hypnose est une psychothérapie brève qui permet une réorganisation comportementale des patients. Après induction de la transe hypnotique, les suggestions vont d’abord tendre à faire travailler le sujet dans le sens d’un meilleur confort interne. Des analogies, des métaphores évoquent des situations parallèles à celles du patient, de manière à ce qu’inconsciemment, sa situation personnelle lui apparaisse compréhensible, tolérable, puis curable par de simples changements d’attitude. Cette méthode a des adeptes convaincus.

Conclusion

L’approche pluridisciplinaire du colopathe a pour objectif d’éviter que se rencontrent dans une situation inextricable un médecin devenu inopérant face à un patient réfractaire donc  » intraitable « .

Avec l’abord psychologique, elle enrichit la consultation traditionnelle en rééquilibrant les responsabilités de chacun dans un climat de confiance retrouvée.

Le programme thérapeutique, élargi,  » négocié  » et non plus imposé, dispose alors de perspectives nouvelles d’application, garantes d’efficacité.