Résistance à l’azathioprine au cours des maladies inflammatoires cryptogénétiques de l’intestin (MICI)

Introduction

L’azathioprine (AZA, Imurel®), ou son dérivé métabolique la 6 mercaptopurine (6-MP, Purinéthol®), sont des dérivés puriques utilisés pour leur activité immunosuppressive, initialement dans la maladie de Crohn (MC) chronique active mais également, plus récemment, dans la rectocolite hémorragique (RCH). C’est toutefois dans la MC que le dossier d’évaluation clinique de l’AZA est le plus étoffé. L’AZA a une efficacité certaine au cours de la MC à la posologie de 2 à 2,5 mg/kg/j chez des patients cortico-dépendants ou cortico-résistants ; des doses inférieures étant moins efficaces [1-5]. Le taux de réponse clinique, permettant d’interrompre ou de réduire la corticothérapie est, selon les études, de 65 à 80 % à 1 an [4-9]. Dans la RCH, l’AZA a également démontré son efficacité, certaines études montrant même une efficacité supérieure à celle de la MC. L’AZA aurait notamment son intérêt dans les formes gauches de la RCH ne répondant pas aux 5-ASA et aux corticoïdes. Toutefois dans la RCH, cette attitude thérapeutique est à mettre en balance avec la chirurgie (colo-proctectomie totale avec anastomose iléo-anale).

Qu’appelle-t-on résistance à l’azathioprine ?

Present et al [6] ont montré que le délai moyen de réponse à l’AZA, chez des patients porteurs d’une MC traitée par 6-MP, est de 3,1 mois et que 19 % des répondeurs nécessitent 4 mois ou plus de traitement avant d’être améliorés. Au cours d’une méta-analyse des essais thérapeutiques par l’AZA/6-MP, Pearson et al. [10] ont observé que le délai moyen de réponse à l’AZA est de 17 semaines, avec des extrêmes de 1 à 11 mois. Le pourcentage des patients en rémission à 6 mois est de 50 à 64 % [4, 5, 7, 8]. Il est classique de dire que l’on ne peut conclure à un échec de l’AZA avant 9 mois de traitement. Toutefois, ce délai peut paraître trop long et personnellement, je retiendrais plus le délai de 3-4 mois qui me paraît plus raisonnable.

Le terme de résistance à l’AZA pose, à mon avis, un double problème :

  • celui de la fausse résistance à l’AZA ;
  • celui de la vraie résistance à l’AZA.

Pour mieux approcher cette terminologie, il faut se rappeler le métabolisme de l’AZA et tenir compte de la pharmacogénétique et pharmacocinétique de l’AZA. En effet, le délai d’action souvent retardé (parfois > 6 mois) de l’AZA est dû aux caractéristiques de son métabolisme. Or la plupart des études sur l’AZA ne tiennent compte ni de la pharmacocinétique, ni de la pharmacogénétique de cette molécule ; la posologie étant uniquement adaptée en fonction du poids du sujet et parfois de la leucopénie induite par l’AZA. En effet, des études pharmacologiques ont montré que les métabolites dits actifs de l’AZA/6-MP, les 6-thioguanines nucléotides (6-TGN), ont une demi-vie longue responsable d’une accumulation lente des métabolites dans les érythrocytes, ce qui nécessite un traitement prolongé pour atteindre l’état stationnaire [11, 12]. D’autres études ont, par contre, montré que l’état stationnaire était atteint en 14-21 jours chez la plupart des patients [13, 14]. Ces données pharmacologiques ont fait naître l’espoir que l’administration d’une dose de charge d’AZA/6-MP pouvait accélérer leur début d’action. Une étude pilote ouverte a montré que des patients porteurs d’une MC réfractaire traitée par une dose de charge iv d’AZA atteignaient un état stationnaire de 6-TGN intra-érythrocytaire en 3 jours et une réponse clinique rapide [15]. Ces résultats préliminaires n’ont pas été confirmés par un essai contrôlé versus placebo sur 16 semaines [16]. Dans cette étude, l’état stationnaire de la concentration en 6-TGN intra-érythrocytaires était atteint en 2 à 3 semaines.

Rappel sur le métabolisme de l’azathioprine

L’AZA est utilisée en transplantation depuis 1963, cependant son métabolisme n’est pas complètement compris. Dans l’organisme, l’AZA est très rapidement transformée en 6-MP, par une réaction non enzymatique faisant intervenir la glutathione, puis la 6-MP est elle-même métabolisée selon 3 voies enzymatiques compétitives [12, 17] (cf Figure).

  • La première voie est sous la dépendance de l’ Hypoxanthine guanine phosphoribosyl transferase (HGPRT) intracellulaire qui conduit aux 6-TGN qui représentent les métabolites actifs de l’AZA. Les 6-TGN s’accumulent dans les érythrocytes où ils séjournent car ces cellules ne synthétisent pas d’acides nucléiques, et servent ainsi de tissu de substitution dans lesquels on peut doser les 6-TGN. Un déficit constitutionnel en HGPRT est observé au cours de la maladie de Lesch et Nyhan, affection récessive liée au sexe (garçon) caractérisée par une hyperuricémie congénitale et une encéphalopathie hyperuricémique ; les effets immunosuppresseurs et la cytotoxicité de l’AZA diminuent dans ce cas. Il n’existe pas de polymorphisme génétique documenté de cette enzyme. La 6-MP, sous l’action de l’HGPRT, est d’abord convertie en 6-thioinosine monophosphate (6-TIMP) puis en 6-thioxanthosine monophosphate (6-TXMP) puis en 6-thioguanosine monophosphate, puis di- et triphosphates (6-TGMP, 6-TGDP, 6-TGTP respectivement). Ce sont ces derniers métabolites qui sont dosés dans les 6-TGN. Les dérivés TIMP peuvent également être méthylés sous l’action de la TPMT. Ces dérivés MeTIMP inhibent la synthèse de novo des purines [18] car ce sont des inhibiteurs potentiels de la phosphoribosylpyrophosphate amidotransférase (PRPP-AT), enzyme catalisant la première étape de la synthèse de novo des purines.
  • La seconde voie de la Thiopurine S-methyltransferase (TPMT) qui transforme la 6-MP en dérivé méthylé, la 6-methylmercaptopurine (6-MMP) . La TPMT est une enzyme cytoplasmique qui catalyse de façon préférentielle la S-méthylation des composés sulphydryls aromatiques et hétérocycliques tels que la 6-MP. La cytotoxicité de l’AZA est influencé par la TPMT, dont le polymorphisme génétique est démontré. Dans les tissus humains (érythrocytes, leucocytes, plaquettes, hépatocytes, et cellules rénales) cette enzyme suit une distribution trimodale [19] : 88,6 % des sujets ont une activité élevée, 11,1 % une activité intermédiaire et chez 0,3 % des sujets, l’activité n’est pas détectée. Un déficit de cette voie enzymatique entraîne une déviation du métabolisme de l’AZA vers la voie HGPRT augmentant ainsi la production des métabolites actifs, les 6-TGN, responsables de la myélotoxicité. Chez les patients présentant un déficit complet de cette activité, l’éviction de l’AZA est définitive. Inversement, plus l’activité TPMT est élevée, moins il y a de formation de 6-TGN, dérivés cytotoxiques, et moins l’AZA sera efficace. Il existe une induction possible de l’activité de la TPMT par l’AZA et par les diurétiques. Cette activité est augmentée chez les patients insuffisants rénaux dialysés (25 %). L’activité TPMT mesurée sous AZA comprend 2 composants, un niveau basal génétiquement déterminé et un niveau induit par l’AZA. La sulphasalazine, essentiellement, et les salicylés, plus modérément, ont un effet direct inhibiteur sur l’activité TPMT prédisposant ainsi les patients à l’activité cytotoxique des 6-TGN [20, 21]. Les noirs Américains ont une activité TPMT significativement plus basse que l’Américain Caucasien mais le même polymorphisme génétique est observé dans les 2 populations.
  • La troisième voie de la xanthine oxydase (XO) conduit à l’acide 6-thiourique , métabolite inactif éliminé par voie rénale. Cette enzyme est absente des leucocytes circulants et présente dans les érythrocytes. Elle est retrouvée en quantité importante dans le foie et la muqueuse de l’intestin grêle. Il n’existe pas de polymorphisme génétique documenté de cette enzyme. Le déficit en xanthine oxydase reste une anomalie autosomique rare, elle toucherait 2 % de la population générale et se traduit par une hypouricémie. La variabilité de transformation de l’AZA par ces 2 dernières voies implique une adaptation individuelle de posologie car elle peut provoquer des troubles toxiques. La combinaison possible d’un déficit concomitant de la xanthine oxidase et de la TPMT pourrait être à l’origine d’une intolérance rapide et sévère à l’AZA ; dans ce cas, une hypouricémie pourrait en être le témoin indirect [22]. Une inhibition de son activité par l’allopurinol a été décrite rendant nécessaire la diminution des doses d’AZA des 2/3 ou 3/4 de façon à ne pas dévier le métabolisme de l’AZA vers les composés cytotoxiques.

Fausse résistance à l’azathioprine : un problème de métabolisme ?

Cette fausse résistance peut être la conséquence :

  • d’une activité TPMT élevée ;
  • d’un sous-dosage en AZA : intérêt du suivi des 6-TGN.

» Activité TPMT élevée

Si environ 1/300 patient (0,3 %) a un déficit génétique en TPMT, une activité élevée de cette enzyme est en fait plus fréquemment retrouvée, dans environ 10 % des cas. Dans ce cas là, le métabolisme de l’AZA est  » dévié  » vers la 6-MMP. Ces dérivés méthylés, souvent considérés comme inactifs, ont toutefois également un effet immunosuppressif car ce sont des inhibiteurs potentiels de la synthèse des purines de novo [23]. De façon concomitante, ces patients ont un taux de 6-TGN bas car il existe une relation inverse en l’activité TPMT et le taux des 6-TGN. Par contre, des données récentes impliqueraient la 6-MMP dans l’hépatotoxicité de l’AZA, notamment pour des taux de 6-MMP > 6 000 pmoles/8.108 érythrocytes [24]. Des données récentes montrent également qu’une déplétion en glutathione, sous l’action de l’AZA, entraînerait des lésions mitochondriales qui aboutiraient à la mort hépatocytaire par déplétion en ATP [25].

» Sous-dosage en AZA

Une illustration simple de ce fait est que les patients qui ne répondent pas à l’AZA à la posologie usuelle de 2 à 2,5 mg/kg/j peuvent répondre à des posologies plus élevées [26]. Ceci est probablement imputable aux particularités du métabolisme de l’AZA (cf ci-dessus). Dans ce cas, il apparaît intéressant de disposer d’un marqueur d’efficacité de l’AZA ; les 6-TGN apparaissent comme le candidat potentiel. Dans ce contexte, un suivi du taux des 6-TGN pourrait être d’une grande aide dans la surveillance thérapeutique des patients sous AZA. Le but recherché étant d’optimiser le rapport efficacité/toxicité de l’AZA. Ce dosage à également un intérêt dans l’étude de la compliance des patients.

La concentration en 6-TGN a été récemment corrélée à la réponse clinique chez des enfants leucémiques traités par 6-MP (taux thérapeutique > 275 pmoles/8 ¥ 108 érythrocytes) [27]. Dans le domaine des MICI, Cuffari et al. [28] ont, les premiers, montré une corrélation inverse entre le niveau de 6-TGN et l’évolutivité de la MC. Un taux de 6-TGN > 250 pmol/8 ¥ 108 érythrocytes était hautement corrélé avec la rémission clinique chez plus de 130 adolescents avec MC. De même, Dubinsky et al. [29], dans une étude prospective chez 92 patients de moins de 19 ans, porteurs d’une maladie de Crohn (n = 79), d’une rectocolite hémorragique (n = 8) ou d’une colite indéterminée (n = 5), sous 6-MP ou AZA depuis au moins 4 mois, est arrivée aux mêmes conclusions. Le taux médian des 6-TGN était plus élevé chez les répondeurs que chez les non répondeurs (312 vs 199, P < 0,0001). Le taux seuil de 6-TGN, au-delà duquel les patients avaient une probabilité élevée de répondre au traitement était de 235 pmoles/8 ¥ 108 érythrocytes. Les taux de 6-TGN étaient significativement associés avec la réponse (P = 0,002). La dose médiane de 6-MP n’était pas significativement différente entre les répondeurs et les non-répondeurs ; cela confirme que l’efficacité de l’AZA n’est pas fonction des doses mais de son métabolisme. Le taux thérapeutique proposé par ces auteurs est donc supérieur à 235 pmoles.

La détermination du génotypage et/ou de l’activité TPMT, avant institution d’un traitement par AZA, a également un intérêt pour savoir quels sont les patients susceptibles de faire un accident hématologique sous AZA (homozygotes déficitaires, activité TPMT faible) ou au contraire d’être répondeurs faibles (activité TPMT élevée). Une récente étude du GETAID [30] montre que seulement 27 % des patients qui ont présenté un accident hématologique sous AZA ont un génotypage déficitaire. Dans ce cas, les accidents hématologiques surviennent dans le premier mois suivant l’introduction de l’AZA. Ceci suppose que l’on ne parle pas d’échec thérapeutique tant que le taux des 6-TGN n’est pas > 250 pmoles. Cela laisse entrevoir une nouvelle ère thérapeutique de l’AZA reposant sur un  » phénotypage  » des patients. On peut en effet penser que la détermination du génotypage et/ou de l’activité TPMT avant introduction de l’AZA et la surveillance des 6-TGN devrait permettre : 1) de raccourcir le délai d’action de l’AZA, 2) d’optimiser le pourcentage de rémission clinique tout en diminuant la toxicité (notamment hématologique), 3) de proposer aux patients résistants (activité TPMT élevée) une autre voie thérapeutique comme par exemple, la 6-thioguanine (6-TG) qui court-circuite les étapes enzymatiques limitantes et débouche directement sur les 6-TGN, ou l’association éventuelle avec des inhibiteurs de la TPMT (dérivés 5-aminosalycilés).

D’autres études de suivi du taux de 6-TGN [31] n’ont pas confirmé les résultats de Dubinsky et al. Par ailleurs, il n’y a probablement pas que les 6-TGN qui ont une activité immunosuppressive dans le métabolisme de l’AZA, c’est le cas notamment des dérivés TIMP et MeTIMP ainsi que de la 6-MMP. Les 6-TGN n’expliquent donc sûrement pas toute l’activité immunosuppressive de l’AZA. Toutefois, l’étude de Dubinsky et al. est une illustration du métabolisme de l’AZA/6-MP. Elle a le mérite de montrer que l’efficacité de l’AZA n’est pas fonction des doses mais de son métabolisme.

Vrai résistance à l’azathioprine

Si des facteurs de résistance aux corticoïdes ont été décrits dans la littérature tels que (i) une augmentation de l’expression du récepteur b des corticoïdes ou du MDR ( » multidrug resistance « ), (ii) un défaut de production de l’antagoniste du récepteur à l’interleukine 1 bIL-1 RA), il existe très peu de données concernant l’AZA dans les MICI. Les mêmes constatations sont observées, par exemple en néphrologie pour les greffes rénales, encore que dans ce cas, l’immunosuppression est souvent triple. Le pourcentage de ces vrais échecs de l’AZA est très difficile à apprécier mais de toute façon inférieur à 10 %. Il n’existe, à ma connaissance, aucun caractère prédictif d’une résistance à l’AZA décrit, en dehors de causes métaboliques telles qu’une activité TPMT élevée, de façon constitutionnelle ou induite (par des diurétiques, par exemple, voire par l’AZA elle-même).

Que faire devant une résistance à l’azathioprine

La question est de savoir : le patient prend-il correctement son traitement ? si oui, est-il sous-dosé en AZA ?

» Arguments indirects

  • Le patient a-t-il une leucopénie ? Si des données de la littérature ont initialement trouvé une relation entre efficacité de l’AZA et leucopénie, ceci a été toutefois démenti tout récemment.
  • A-t-il une macrocytose induite par l’AZA ? Encore que le mécanisme n’en est pas clairement démontré. Il faut tenir compte bien entendu des possibilités, notamment au cours de la MC, d’une malabsorption de la vitamine B12 par résection de l’iléon terminal (le plus souvent supérieure à 1 m), par iléon non fonctionnel du fait de l’atteinte inflammatoire, ou par consommation sur pullulation microbienne du grêle (notamment en amont d’une sténose).

» Arguments pharmacologiques

  • Le dosage des 6-TGN est à mon avis très intéressant dans ce cas. En particulier, un dosage nul affirme l’absence de prise du traitement par le patient. Un taux de 6-TGN < 250 pmoles est également intéressant ; le but dans ce cas sera d’augmenter la posologie pour augmenter ce taux au-delà de 250 pmoles et espérer ainsi amener le patient en rémission.
  • Le dosage de l’activité TPMT chez un patient sous AZA est à prendre avec parcimonie car l’AZA peut induire l’activité TPMT (cf. ci-dessus).

Faut-il doser les 6-TGN, l’activité ou le génotypage de la TPMT ?

Sur le plan pratique, j’ai pour habitude :

  • de réaliser un dosage de l’activité TPMT avant l’introduction de l’AZA. La réalisation du génotypage avant AZA me semble moins intéressante que l’activité. Elle se discute par contre en cas de myélotoxicité sous AZA. Dans ce cas, un dosage combiné des 6-TGN est à faire (relation inverse entre l’activité TPMT et le taux de 6-TGN) ; un taux de 6-TGN > 600 pmoles s’accompagne souvent d’une leucopénie. Une activité déficitaire entraînera rapidement une myélotoxicité, notamment sous la forme d’une leucopénie, alors qu’une activité élevée favorisera une résistance à l’AZA, voire une hépatotoxicité. Dans le cas d’une activité élevée, sa connaissance le plus tôt possible, sera un gain de temps dans la prise en charge thérapeutique du patient et pourra faire discuter plus rapidement un changement d’attitude thérapeutique au profit d’un autre immunosuppresseur. On pourrait également discuter dans ce cas, l’introduction d’un antagoniste de la TPMT tel la salazopyrine. A ma connaissance, il n’y a aucune étude dans ce sens ;
  • de toujours débuter la posologie d’AZA à 2,5 mg/kg/j et d’adapter la posologie pour maintenir un taux de 6-TGN compris entre 250 et 400 pmoles. Si le patient est déficitaire en TPMT, la leucopénie sera observée dans le premier mois, comme cela a été observé dans l’étude du GETAID, voire dans les 2 premières semaines. C’est dire tout l’intérêt de surveiller la NFS toutes les semaines pendant 1 mois au début du traitement.

Bien entendu, ce type d’attitude n’est pas réalisable en pratique courante, notamment de ville. Au CHU de Grenoble toutefois, en accord avec le Laboratoire de Pharmacologie (Pr G. Bessard, Mme F. Serre Debeauvais), le dosage des 6-TGN est accessible à la pratique de ville ou aux CHR de la région par simple envoi (en chronopost), à température ambiante, d’un prélèvement sur tube hépariné (Vacutainer, bouchon vert) réalisé dans un laboratoire d’analyses médicales. Dans le cas du dosage de l’activité TPMT, cela est plus difficile car le prélèvement doit être envoyé à + 4°C.

Si l’on ne peut réaliser un dosage des 6-TGN, je suis partisan d’augmenter la posologie de l’AZA à des doses de 3 à 4 mg/kg tout en surveillant bien entendu la NFS, dans les mêmes conditions que ci-dessus.

Quelle est la place de la 6-thioguanine (6-TG ; Lanvis®) dans le traitement immunosuppresseur des MICI

La 6-TG est surtout utilisée dans les leucémies aiguës lymphoblastiques de l’enfant. La 6-TG n’a pas été autant étudiée que la 6-MP car dans les premiers essais thérapeutiques, elle n’offrait pas de gain thérapeutique par rapport à la 6-MP. La 6-TG a la particularité d’être essentiellement métabolisée en 6-TGMP par l’HGPRT (cf schéma). Il s’ensuit un taux de 6-TGN élevé mais par contre un taux de TIMP et de ses dérivés très faibles.

Son utilisation dans les MICI est très récente. Deux études ont été présentées à l’American Gastroenterological Association (AGA) en 2000 et 2001 par Dubinsky et al.

  • La première étude a fait l’objet d’une publication cette année dans la revue Inflammatory Bowel Disease [24]. La tolérance et l’efficacité de la 6-TG a été évaluée chez des patients (n = 10) avec activité TPMT élevée, autrement dit chez des patients susceptibles d’être résistants à l’AZA/6-MP. Ces patients avaient un taux de 6-MMP élevé (>6 000 pmoles/8 ¥ 108 érythrocytes), avec toxicité hépatique potentielle, et des 6-TGN bas (< 250 pmoles/8 ¥ 108 érythrocytes). La posologie utilisée était de 20 mg/j. Sept des 10 patients répondaient à la 6-TG ou étaient en rémission à 16 semaines. Le taux de 6-TGN était 9 fois supérieur à celui sous 6-MP. Très peu d’effets secondaires, de type toxicité hématologique notamment (1/4 résolutif en diminuant la dose de 6-TG), ont été observés alors que le taux de 6-TGN était élevé. L’hépatotoxicité était régressive chez tous les patients.
  • Dans une deuxième étude [32], le but était d’utiliser la 6-TG chez des patients (n = 17) ayant présenté des effets secondaires précoces sous AZA/6-MP, notamment de type immuno-allergique. De façon intéressante, aucun patient ayant présenté une pancréatite (n = 6), des douleurs abdominales aiguës (n = 3), un rash cutané (n = 1), des nausées (n = 1) ou une asthénie (n = 2) n’ont récidivé sous 6-TG. Un patient sur quatre ayant présenté une fièvre, des arthralgies, des myalgies a récidivé.

Dans le cadre d’une étude du GETAID, dont les résultats préliminaires seront présentés aux Journées Francophones de Pathologie Digestive de Nantes les 23-27 mars 2002, nous avons utilisé la 6-TG, à la dose de 20 mg/j (1/2 cp à 40 mg) chez des patients avec MC (n = 34) présentant une intolérance (n = 24 ; pancréatite notamment : n = 16) ou une résistance (n = 10) à l’AZA. Aucun des patients n’a présenté de pancréatite clinique sous 6-TG (suivi moyen de 78 j). Un seul des patients avec troubles digestifs (nausées) a présenté les mêmes symptômes 30 j après l’introduction de la 6-TG et a dû arrêter la 6-TG. Tous les autres patients du groupe intolérance étaient stables sur le plan clinique. Le taux moyen des 6-TGN était de 800 pmoles. Dans le groupe résistant à l’AZA, la durée moyenne du traitement par AZA avant introduction de la 6-TG était de 16,5 mois ; un seul patient n’a pas été amélioré par la 6-TG (recul de 80 j). Les 9 autres patients sont stables (recul moyen de 4 mois). La 6-TG a bien été tolérée dans l’ensemble ; 5/34 patients (14,7 %) ont dû l’arrêter dont 1/5 patients pour augmentation isolée des enzymes pancréatiques et cytolyse hépatique régressives à l’arrêt de la

6-TG ; 3/5 pour vertiges, douleurs abdominales-diarrhée, paresthésies ; 1/5 pour récidives des nausées.

La 6-TG apparaît comme une alternative thérapeutique à l’AZA/6-MP en cas d’effets secondaires, notamment immuno-allergiques. Sa place thérapeutique pourrait se situer dans ce cas avant le méthotrexate. Sa place dans le traitement de la résistance à l’AZA reste à déterminer car le recul est trop faible.

Le taux de 6-TGN intra-érythrocytaire augmente très vite sous Lanvis, à la posologie de 20 mg/j, à des taux le plus souvent supérieurs aux taux dits thérapeutiques déterminés sous AZA/6-MP, et avec très peu d’effets secondaires, notamment hématologiques.

Plusieurs inconnues persistent toutefois :

  • quel est le taux thérapeutique de 6-TGN sous 6-TG ? Est-ce le même que celui sous AZA ?
  • quelle est l’efficacité réelle de la 6-TG à long terme ?
  • quelles sont les complications potentielles à long terme, notamment de lymphomes et de cancers sous 6-TG, dans la mesure où le taux de 6-TGN est beaucoup plus élevé que sous AZA ?
  • les 6-TGN expliquent-elles tout ? L’AZA/6-MP exerce probablement son action immunosuppressive par au moins 2 mécanismes :
    • l’incorporation des TGN dans l’ADN et ARN ;
    • mais également par l’inhibition de la synthèse de novo des purines par les dérivés nucléotidiques méthylés : la diminution du pool des purines par cette voie, qui survient avec l’AZA/6-MP mais pas avec la 6-TG, augmente en fait le défaut d’incorporation des bases thioguanines durant la synthèse d’ADN et d’ARN. Ainsi, dans la mesure où la 6-TG est plus directement métabolisée en 6-TGN et où ses métabolites méthylés sont moins actifs, cela n’entraîne pas forcément d’avantage pharmacologique par rapport à l’AZA/6-MP.

Il est bien entendu trop tôt pour répondre à toutes ces questions et il faudra des études prospectives comparant notamment l’efficacité de la 6-TG à celle de l’AZA.
La 6-TG ne peut être délivrée actuellement que par une pharmacie hospitalière. Il s’agit d’une prescription hors AMM, hors ATU et qui engage la responsabilité du prescripteur.

Conclusions

Si l’AZA est utilisée en transplantation depuis 1963,  » la dissection  » de ses particularités pharmacologiques appliquées aux traitements des MICI est beaucoup plus récente. Dans ce domaine, l’avenir devrait faire appel à un  » phénotypage  » des patients avant et en cours de traitement dans le but d’optimiser au mieux la réponse à l’AZA. Dans ce contexte, (i) le dosage de l’activité TPMT et/ou le génotypage, (ii) le dosage des métabolites actifs, qu’il s’agisse des 6-TGN, mais également des dérivés TIMP, MeTIMP, 6-MMP et (iii) l’utilisation de la 6-TG sont d’intérêt dans ce type d’indication thérapeutique.

 

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