L’acide peracétique (APA) : avantages et inconvénients
L’APA fait partie de la famille des oxydants. Ses propriétés désinfectantes sont connues depuis un siècle. Son utilisation s’est développée dans les années 1950-1960 dans le secteur agroalimentaire et médical, en particulier grâce à la commercialisation du peroxyde d’hydrogène à 98% nécessaire à sa production.
L’APA n’existe pas à l’état pur. Il résulte de la réaction chimique entre l’acide acétique (vinaigre) et le peroxyde d’hydrogène (eau oxygénée) [1]. L’équilibre de cette réaction est instable et nécessite l’adjonction de produits stabilisants et tamponnants, auxquels s’ajoutent des anticorrosifs. L’APA est soluble dans l’eau et l’alcool. Son efficacité est meilleure à 20°-25° qu’à 5°. Il est inflammable et explose à 110°. Comme oxydant, il agit en détruisant les protéines structurales et enzymatiques des cellules microbiennes [2].
Plusieurs formulations d’APA sont ainsi commercialisées (en procédures manuelle comme automatique), essentiellement en fonction de la concentration d’acide acétique et de peroxyde d’hydrogène dans la solution, dont l’équilibre de la réaction chimique peut ou ne pas être en équilibre. Ainsi, la stabilité de ces APA peut être différente et nécessite d’être prudent dans le choix du type de ventilation des bacs et de la salle de désinfection. En pratique, des bandelettes de contrôle, spécifique à l’APA utilisé, permettent de vérifier la teneur en APA. Ce sont des bandelettes réactives qui se colorent lorsque le seuil est atteint. Elles sont commercialisées aujourd’hui uniquement par Merck-Eurolab. Une attention particulière doit être cependant portée quant au renouvellement de la solution en endoscopie digestive pour la procédure manuelle. En effet, dans le cadre de l’application de la circulaire DGS/DHOS n°138 du 14 mars 2001 et de la réactualisation de la circulaire DGS/DH n°236 du 2 avril 1996, il sera recommandé de changer le bain de désinfectant au moins une fois par semaine en tenant compte aussi du nombre de procédures effectuées. En milieu hospitalier, des solutions diluées de 0,08 à 0,2% d’APA sont utilisées. On parle aussi de ppm (partie par million), soit mg/litre. Ainsi 1 ppm = 10–4%. Les produits de dégradation de ces APA (acide acétique, eau, oxygène) ne sont pas dangereux pour l’environnement humain et écologique. L’apport d’eau favorise la dégradation du produit.
Les avantages
-
Une efficacité micro biologique rapide à des concentrations inférieures par rapport au glutaraldéhyde. Une bactéricidie en moins de 2 minutes avec des concentrations à 0,1% d’APA et 2% de glutaraldéhyde.
-
Une activité sporicide supérieure, plus rapide et à des concentrations inférieures au glutaraldéhyde : 5 minutes à 0,1% d’APA versus 180 minutes à 2% de glutaraldéhyde [3].
-
Une non fixation des protéines et un risque moindre de formation de bio film [4, 5].
-
Un produit non allergisant et peu irritant utilisé à ces concentrations diluées. Des dermites de contact ou des irritations oculaires sont décrites et justifient une protection individuelle (gants à manches longues, lunettes, blouses à manches longues). Contrairement aux intolérances décrites avec le glutaraldéhyde relevées chez 75% du personnel exposé aux Hospices Civils de Lyon [6], engendrant des arrêts de travail, des changements de poste, des déclarations de maladies professionnelles, on ne semble pas rencontrer ce type d’incidents de cette ampleur avec l’APA. Une campagne de mesure d’APA et de peroxyde d’hydrogène dans l’air en salle d’endoscopie vient de se terminer en région Rhône-Alpes dans des établissements de santé publics et privés. Les résultats (en cours de publication) montrent des taux très inférieurs à la VLE (valeur limite d’exposition) qui est de 1,6 mg/m3. Ces résultats montrent d’une part, un meilleur équipement des salles d’endoscopie et d’autre part, une faible exposition à ce produit.
-
Une non écotoxicité de l’environnement par des rejets de produits de dégradation à faible concentration non dangereux (acide acétique, eau, oxygène)
-
Une application plus aisée de la circulaire 138 par les services d’endoscopie, avec dans la prochaine circulaire réactualisant la 236, la mise en place d’une procédure unique en endoscopie digestive quel que soit le facteur de risque du patient, excepté bien entendu le patient suspect ou atteint de MCJ où une procédure spécifique doit être mise en place. Ainsi, le double nettoyage suivi d’une désinfection à l’APA améliore l’organisation du service dans le cadre de la maîtrise du risque infectieux, en particulier vis à vis du nvMCJ.
Les inconvénients
-
Le surcoût de l’APA par rapport au glutaraldéhyde: de 4 à 5 fois à volume égal et dans les conditions de renouvellement préconisées par le fabricant. Mais ce surcoût est doublé (soit 8 à 10 fois le coût du glutaraldéhyde) en cas de changement hebdomadaire comme le recommanderait la nouvelle circulaire réactua- lisant la 236. On peut s’interroger sur un tel surcoût pour un produit dont le coût-efficacité en industrie agro-alimentaire (IAA) est intéressant, puisque l’APA est deux fois moins cher que le glutaraldéhyde à des concentrations d’utilisation identique au secteur médical, c’est-à-dire respectivement à 0,1% et 2%. Il semble toutefois qu’en IAA, les agents tampons, anticorrosion soient différents et donc que la qualité des APA utilisés soit moins fine qu’en médical. Des études de surcoût (non publiées) font apparaître un surcoût de près de 10 E en manuel et 15 E en automatique. Si l’on extrapole aux deux millions d’endoscopies réalisées par an en France, avec dans 50% des cas, une désinfection en machine, on peut évaluer un surcoût total en produits de désinfection pour toute l’endoscopie, à 25 millions d’euros.
-
L’interrogation sur une éventuelle incompatibilité de l’APA sur les composants des endoscopes. L’APA est essentiellement corrosif pour les métaux, et en particulier pour l’aluminium. Il existe très peu de ces composants sur les endoscopes, en contact direct avec l’APA. Il ne paraît pas délétère pour les polymères [7]. Il apparaît comme une alternative intéressante au glutaraldéhyde, avec en particulier une innocuité pour le personnel [8]. Des études sont en cours pour tester l’ensemble des composants des endoscopes au contact direct avec l’APA. Les résultats préliminaires ont été présentés à la cinquième journée de réflexion sur l’endoscopie digestive en France organisée sous l’égide la SFED le 25 janvier 2003. Des points sensibles au niveau des endoscopes ont été révélés par cette étude aussi bien après traitement manuel qu’en machine. Ils ont fait l’objet de modifications sur les nouvelles séries d’endoscopes. Par ailleurs, la démarche qualité du fabricant s’est poursuivie, puisque des visites sur site ont été organisées auprès des utilisateurs d’APA afin d’étudier, en particulier, ces zones sensibles et d’y apporter les modifications nécessaires. A la date d’aujourd’hui, peu de déclarations de matériovigilance [7] ont été faites auprès de l’AFSSAPS. Il existe très probablement une sous déclaration des services d’endoscopie. La SFED recommande donc aux services d’en- doscopie d’une part, de faire une déclaration de matériovigilance à l’AFSSAPS (avec un double pour la SFED) en cas de forte suspicion d’effet délétère de l’APA et d’autre part, d’envoyer la fiche de signalement rédigée par la SFED accompagnée du détail de la réparation du fabricant. Il est en effet important de pouvoir colliger et analyser toutes ces déclarations afin d’apporter au plus vite une réponse scientifique à nos interrogations. Lors de cette même journée de réflexion à Paris, le 25 janvier 2003, une première analyse a été présentée portant sur 110 fiches de signalement (soit 110 endoscopes). 10% des incidents semblent directement liés à l’utilisation de l’APA. Il nous manque aujourd’hui une donnée importante : le nombre d’endoscopes sur le marché en France. Cependant, 25% des endoscopes étaient traités à l’APA en 2001, d’après l’enquête SFED «deux jours d’endoscopie en France». En 2002, cette pratique semble s’étendre, comme en témoigne le sondage réalisé lors de Vidéodigest le 8 novembre 2002. Pour les laveurs-désinfecteurs, la problématique se complexifie avec l’utilisation, en plus, d’une procédure automatique, qui à elle seule peut être délétère quel que soit le ou les produits utilisés. C’est ce qui semble être le cas dans l’analyse des déclarations de matériovigilance, où seule la machine semble être responsable et non le produit. Là encore, la démarche des services d’endoscopie doit être identique à celle de la procédure manuelle en cas de déclaration de matériovigilance ou de suspicion d’effet délétère du laveur-désinfecteur et/ou des produits utilisés. A la lumière de ces données, la SFED pourrait émettre des recommandations concernant l’utilisation de l’APA.
Conclusion
L’utilisation de l’APA comme désinfectant en endoscopie digestive permet d’améliorer la maîtrise du risque infectieux, et de mieux protéger le personnel ainsi que l’environnement. Son coût actuel prohibitif (par rapport à celui utilisé en agro-alimentaire) pénalise les budgets des services et freine son développement. Un financement spécifique supplémentaire doit être accordé à ce choix de procédure recommandé par la DGS et la DHOS dans le cadre du principe de précaution vis à vis du risque prion. Si des questions subsistent encore sur la compatibilité de l’APA avec les endoscopes d’ancienne génération, cela ne semble plus être le cas avec les séries récentes.
REFERENCES
1. Fiche toxicologique n° 239-Acide peracétique. Paris, INRS,FT 239, 2001, 5 p.
2. MALCHESKY P. – Peracetic acid and its application to medical instrument sterilisation. Artif Organs 1993 ; 17: 147-52.
3. FLEURETTE J, FRENEY J, REVERDY ME. – Antisepsie et désinfection. Ed ESKA, 1995.
4. ALFA MJ, OLSON N, DECAGNE P, JACKSON M. – A survey of reproduction methods, residual viable bioburden, and soil levels in patient-ready endoscopic retrograde cholangiography duodenoscopes used in canadian centers. Infect Control Hosp Epidemiol 2002; 23: 198-206.
5. BLOCK SS. – Disinfection, strerilization and preservation. 4nd ed.Philadelphia: Lea and Febiger, 1993.
6. Service de prévention des risques professionnels de la CRAM Rhône-Alpes, institut universitaire de médecine du travail de Lyon, services de médecine du travail de la région lyonnaise, service de médecine et santé au travail des HCL. Endoscopie et glutaraldéhyde, évaluation du risque et moyens de prévention. SP 1101,1999.
7. BROWN SA, MERRITT K, WOODS TO, McNAMEE SG, HITCHINS VM. – Effects of disinfection and stérilisation methods on tensile strength of materiels used for single-use devices. Biomed Instrum Technol. 2002; 36: 23-7.
8. REY JF, DUFOREST D, BERNARDINI D. – Bioxal: un nouveau désinfectant-étude de la compatibilité avec les endoscopes. Endoscopy 2001; 33: A25.
FMC HGE : Organisme certifié Qualiopi pour la catégorie ACTIONS DE FORMATION