Les saignées en hépatologie

Introduction

Les saignées (phlébotomies) représentent un geste fort ancien qui fait l’objet d’un regain d’intérêt en hépatologie en raison d’une prise en charge thérapeutique plus précoce de l’hémochromatose génétique et de la description d’une entité récente traitée également par déplétion martiale la stéato-hépatite non alcoolique. A cela, il faut évidemment ajouter de nombreuses maladies hématologiques auxquelles l’hépatogastroentérologue est moins accoutumé.
Il s’agit d’un geste simple dont les conditions de réalisation paraissent assez mal adaptées à une médecine moderne.

Pourquoi des saignées ?

Le principe de la saignée, au cours des maladies hépatiques, consiste à obtenir une baisse de la quantité de fer de l’organisme dont le tiers est stocké dans le foie. En effet, il est actuellement admis que l’excès de fer est nuisible et induit ou aggrave certaines pathologies. L’hémochromatose en est un modèle expérimental caricatural l’accumulation de fer au fil des années va générer des pathologies variées qui vont compromettre le pronostic vital (défaillance viscérale, cancer du foie) mais aussi fonctionnel (asthénie, arthralgies, troubles sexuels). Cette surcharge en fer est significative dès que les réserves dépassent 10 à 15 mg/kg soit plus de 2 g pour un sujet de 70 kg.
Le fer ingéré est absorbé au niveau du jéjunum proximal. Le mécanisme d’absorption est sous le contrôle de transporteurs (DMT1 et ferroportine 1) soumis à un système de régulation qui dépend du stock de fer de l’organisme la quantité stockée dans l’entérocyte est corrélée au taux de fer circulant (la transferrine en est la principale forme). Ainsi, cette absorption physiologique va s’adapter aux besoins de l’individu.
Une corrélation a été démontrée entre la concentration hépatique en fer et le degré de fibrose hépatique [1]. Si le mécanisme précis de cette toxicité n’est pas totalement élucidé, on sait actuellement que le fer génère des lésions membranaires cellulaires par péroxydation lipidique. L’élément déclenchant de ce stress oxydatif est la présence de fer libre (son stockage sous forme de sidérosomes est saturé) qui présente un rôle délétère sur la cellule hépatique dégradation des membranes des organelles, en particulier des mitochondries, donc diminution de la production d’ATP et mort de l’hépatocyte. De plus, le fer stimule la production de collagène, d’hydroxyproline, ce qui a pour conséquence le développement de la fibrose hépatique [2].
In vitro, l’administration de fer sur culture cellulaire diminue la durée de vie des hépatocytes. A l’inverse, l’administration d’anti-oxydant comme l’alpha-tocophérol permet de protéger les cellules contre cette péroxydation [3].
L’alcool associé à cet excès de fer aggrave les lésions hépatocytaires (potentialisation du stress oxydatif) et, in fine, la fibrose hépatique [4].
A côté de la toxicité hépatique, l’excès de fer est incriminé dans les pathologies cardiovasculaires par certains auteurs [5] et serait même considéré comme un facteur prédictif puissant d’ischémie cardiaque la ferritine augmenterait la production de cholestérol LDL.

QU’EN EST-IL DU RISQUE ACCRU DE CANCER EN CAS DE SURCHARGE EN FER ?

Expérimentalement, on a observé des sarcomes au site d’injection de fer chez l’animal [6]. Plusieurs études ont également évoqué ce risque néoplasique [7, 8] là encore, la production de radicaux libres est en cause. Certains organes, curieusement, seraient plus affectés (colon, poumon, vésicule biliaire, œsophage) que d’autres (estomac) [9]. Ces constatations ont été faites chez l’homme de plus de 50 ans.
De même, on a pu observer une diminution de l’incidence du carcinome hépato-cellulaire chez la souris traitée par chélateur du fer.
Le fer est impliqué dans la première étape de la synthèse d’ADN et donc stimulerait la croissance cellulaire tumorale (le fer intervient à la phase G1 de la mitose et permet l’étape suivante S en activant l’enzyme ribonucléotide réductase).
On peut en déduire qu’une supplémentation en fer n’est pas souhaitable chez le sujet qui présente un taux normal de fer sérique.

Comment évaluer une surcharge en fer ?

LA FERRITINE

Le meilleur indicateur pour juger du stock de fer est le taux de ferritine circulante. Cependant, ce dosage n’est pas suffisant car toute hyperferritinémie ne signifie pas surcharge en fer. L’hyperferritinémie est également un indicateur non spécifique d’affections variées cytolyse hépatique, diabète décompensé, pathologie tumorale ou infectieuse, insuffisance rénale, carence en ascorbate, et bien sûr, éthylisme. L’hyperferritinémie sérique est présente au cours des syndromes inflammatoires d’où l’intérêt de rechercher d’autres paramètres biologiques de l’inflammation (VS, C réactive protéine, ?2globuline, haptoglobine, fibrinogène…).
Au cours des épisodes de cytolyse aiguë ou chronique, on observe une hyperferritinémie indépendante de toute surcharge martiale car les cellules hépatiques sont les cellules les plus riches en fer de l’organisme.
Le taux de ferritine érythrocytaire dépend de la saturation en fer de la transferrine et du taux de synthèse de l’hémoglobine mais est indépendant des phénomènes inflammatoires. Cette ferritine est donc indépendante de l’inflammation, mais aussi de la cytolyse hépatique aiguë. Elle peut être dosée dans des situations d’exception.
En pratique, en dehors des situations précitées, l’hyperferritinémie traduit une surcharge en fer soit primitive comme dans l’hémochromatose génétique, soit secondaire (autres hépatopathies et hémopathies).
Il n’y a pas de variation nycthémérale de la ferritinémie. Celle-ci dépend de l’âge, du sexe, de l’activité génitale, de l’effort physique régulier et intensif [10].
Son taux normal est de 15 à 150 µg/l chez la femme et de 30 à 300µg/l chez l’homme. Une valeur supérieure à 300 µg/l chez la femme et supérieure à 500 µg/l chez l’homme est toujours pathologique.

LE FER SERIQUE

Celui-ci est également influencé par de nombreux paramètres inflammation, hépatopathies, carence en folate, en ascorbate, dysthyroïdie. En pratique, il présente un intérêt limité lorsque l’on suspecte une surcharge en fer.

LE COEFFICIENT DE SATURATION DE LA TRANSFERRINE

Il représente pour l’hépatogastroentérologue un examen simple et plutôt fiable qui permet généralement de différencier une surcharge primitive hépatique en fer (l’hémochromatose génétique) dont le coefficient est supérieur à 45% à d’autres causes, en particulier les stéato-hépatites non alcooliques. Cependant un taux élevé de saturation peut occasionnellement se rencontrer au cours de cette situation. Dans d’autres circonstances très différentes (hémopathies sévères), ce taux peut également être très élevé et même dépasser celui de l’hémochromatose. En cas de carence en ascorbate, le coefficient peut être artificiellement abaissé alors que le taux de ferritine est augmenté.
Rappelons qu’en pratique de ville, seulement deux paramètres sur trois sont remboursés il est donc préférable de choisir la ferritine et le coefficient de saturation de la transferrine.
La cotation est de B 60 pour la ferritine, B 50 pour le coefficient et enfin B 30 pour le fer sérique (B = 0,27 euro).
Enfin, depuis l’utilisation du test génétique (recherche de la double mutation C282Y du gène HFE) qui permet de porter le diagnostic d’hémochromatose génétique, le dosage de la concentration hépatique en fer réalisé à partir d’une biopsie est moins utilisé; son élévation précède l’élévation de la ferritine quel que soit le mécanisme de surcharge en fer [11]. Il peut être utile dans certaines situations intermédiaires. Certaines équipes lui substituent la quantification par IRM [12].

Chez quels patients doit-on envisager des saignées ?

Nous envisagerons essentiellement les affections hépatologiques.

L’HEMOCHROMATOSE GENETIQUE

Cette affection génétique est la plus fréquente (1 cas pour 1000 individus de race blanche). Elle est la conséquence d’une mutation du gène HFE, responsable de la sécrétion d’une protéine du même nom qui intervient dans la régulation de l’absorption digestive du fer par fixation à un récepteur de la transferrine Tf-R en un complexe ?2 microglobuline-protéine HFE au pôle baso-latéral de l’entérocyte. On connaît plusieurs mutations mais la plus fréquente, et actuellement celle reconnue à l’origine de cette affection, est la mutation du gène HFE1 par mutation C282Y à l’état homozygote. La traduction phénotypique est l’élévation du taux de saturation de la transferrine supérieure à 45% quel que soit le taux de ferritine. Celle-ci peut être normale chez le sujet jeune et augmentera «naturellement» vers des valeurs très élevées en l’absence de déplétion. La surcharge en fer sera à l’origine d’une poly-pathologie au premier rang de laquelle se trouve l’atteinte hépatique.
La saignée est l’indication de choix de ce sujet «probant» (homozygotie C282Y) en l’absence de contre-indication cardiovasculaire.
L’enquête familiale permettra de découvrir d’autres probants il peut s’agir de sujets jeunes dont le taux de saturation est habituellement supérieur à 45% mais la ferritine, normale ou sub-normale la déplétion est conseillée dans ce cas dès l’âge de 20 ans. Cependant, elle peut être de moindre quantité et plus espacée (bimensuelle ou mensuelle) prévenant ainsi le risque de surcharge en fer non liée à la transferrine et dont la toxicité est prouvée.
Ce traitement est particulièrement souhaitable lorsqu’il s’y associe un facteur de co-morbidité consommation d’alcool supérieure à 40 g/j, affection virale chronique B ou C. Une consommation d’alcool supérieure à 60 g/j multiplie par 9 la prévalence de la cirrhose chez le patient hémochromatosique.

LA STEATO-HEPATITE NON ALCOOLIQUE

Cette affection est une entité récente définie dans un cadre nosologique de mieux en mieux connu. Sa fréquence augmente de manière inquiétante en partie en raison de sa meilleure connaissance mais aussi en raison de la modification du comportement alimentaire observé dans les pays industrialisés parallèlement à l’augmentation de l’obésité de cette population. Cette maladie explique certainement d’anciennes cirrhoses «cryptogénétiques». Elle se caractérise par une stéatose hépatique inflammatoire et fibrosante habituellement associée à une surcharge en fer et à un syndrome d’insulinorésistance lui-même souvent dissocié [12] obésité de type androïde (BMI >25), diabète de type II, hypertriglycéridémie (> 1,7 mMol/l) seule ou associée à une hypercholestérolémie (> 6,2 mMol/l). Une hypertension artérielle peut compléter ce tableau.
L’hyperferritinémie est constante mais habituellement modérée [11] et le coefficient de saturation de la transferrine est inférieur à 45%. Il n’y a pas d’homozygotie C282Y; cependant une mutation du gène HFE à l’état d’hétérozygote est retrouvée plus fréquemment dans cette affection que dans la population générale [12] mutation C282Y (respectivement 20% vs 9%) ou H63D (respectivement 30 vs 13%), voire l’association des deux. On ne connaît pas la signification de ces mutations sur l’expression de la maladie. Il est certain que tout sujet obèse présentant un diabète de type II n’évoluera pas vers la stéato-hépatite il est banal de constater une stéatose simple non évolutive dans ce contexte. Certains éléments peuvent aider pour les différencier sans recourir à l’histologie hépatique l’âge supérieur à 45 ans, la présence du diabète et d’une cytolyse hépatique (ALAT > 2 N). Ces deux derniers paramètres multiplient par 30 la probabilité de stéato-hépatite par rapport à la simple stéatose [13]. Récemment, des éléments importants ont permis d’avancer dans la compréhension de cette entité d’une part une élévation significative de la leptine [14, 15], hormone intervenant dans le mécanisme de la satiété; or la leptine active les gènes de la fibrogenèse ce qui pourrait expliquer le caractère inflammatoire et fibrosant de la maladie, d’autre part, une diminution du contenu cellulaire de PPAR??(peroxysome proliferating activating receptors alpha) [16] des cellules étoilées du foie; ces molécules diminuent la différenciation de ces cellules en myofibroblastes. Signalons enfin qu’une diminution de la transcription de la MTP (microsomal triglycerid transfer protein), enzyme essentielle dans l’assemblage et la sécrétion des triglycérides en VLDL au hépatique a été mise en évidence dans cette maladie [17]. La stéato-hépatite se définit sur le plan histologique par l’association d’une stéatose habituellement sévère de type micro ou macro vésiculaire associée à une inflammation à prédominance lobulaire et une fibrose extensive. La surcharge en fer se situe dans les hépatocytes et les cellules sinusoïdales. Il est important d’essayer de limiter son évolution car 10 à 15% des patients risquent de développer une cirrhose [18]. Une progression de la fibrose est estimée à 43% en 3,5 ans, à 9 ans dans une méta-analyse regroupant trois études [19-21] et 33% dans une autre méta-analyse regroupant 3 études complémentaires et 199 patients [22-24]. En appariant les patients à des sujets non affectés par cette maladie, une diminution de longévité imputable à la stéato-hépatite serait de 5 à 10 ans [25].

LES AUTRES HEPATOPATHIES

De manière physiologique, la fibrose augmente avec l’âge la surcharge en fer risque d’accélérer cette fibrogénèse. Cela incite à proposer une déplétion martiale avant que les lésions n’apparaissent.
Toutes les hépatopathies peuvent s’accompagner d’une surcharge en fer soit en raison d’une intrication entre l’étiologie de cette hépatopathie et le métabolisme du fer, soit au stade évolué de l’affection quelle que soit l’étiologie.
En effet, dans la maladie alcoolique, la surcharge, observée dans 1/3 des cas [26], est liée à un apport important de fer contenu surtout dans le vin rouge, à l’hyperabsorption digestive du fer et à une carence en folates à l’origine d’une désialysation de la transferrine.
Dans l’hépatite chronique à VHC, cette surcharge est de même acabit et provient d’une interaction entre le fer et le VHC. Elle représente un paramètre de moins bonne réponse au traitement antiviral.
Au cours des cirrhoses, l’augmentation du fer est assez constante en partie à cause des shunts porto-systémiques qui vont déposer le fer au niveau du mésenchyme [27], respectant les vaisseaux et canaux biliaires. Ce dépôt martial est hétérogène d’un nodule à l’autre.
L’hépatogastroentérologue peut-être confronté à la prise en charge d’une porphyrie cutanée tardive (PCT), conséquence d’une diminution de l’activité de l’uroporphobilinogène décarboxylase, enzyme inactivée de façon réversible par un processus fer-dépendant dont la conséquence est une surcharge en fer. L’hétérozygotie C282Y semble favoriser l’expression phénotypique de cette maladie [28]; la surcharge martiale est rarement élevée; l’expression clinique est essentiellement cutanée [29].
Les maladies hématologiques sont d’importants pourvoyeurs de surcharge en fer, qu’il s’agisse de surcharge secondaire à des apports transfusionnels massifs et fréquents (hémoglobinopathies, insuffisance médullaire) ou liée à une augmentation de l’absorption digestive de fer, physiologique (croissance, grossesse) ou pathologique (hyperplasies érythroïdes). Cette surcharge peut être comparable à celle observée dans l’hémochromatose. Cependant, le traitement utilisé ne comporte pas de saignées, bien entendu, mais consiste en l’administration de chélateur du fer (déféroxamine).

Comment réaliser les saignées ?

Dans tous les cas, l’adaptation posologique des saignées dépendra de leur tolérance. Il est conseillé de s’assurer de l’absence de cardiopathie ischémique sous-jacente par un avis spécialisé en particulier au-delà de 50 ans ou plus tôt en présence de facteurs de risques personnels ou familiaux. On peut suggérer de débuter par une déplétion de 250 à 350 cc puis augmenter progressivement la déplétion.
Une bonne hydratation est également souhaitable pour diminuer les céphalées liées à l’hypovolémie; une surveillance tensionnelle avant, pendant et après la saignée est justifiée.
Une asthénie est parfois observée immédiatement après la phlébotomie.
Habituellement, la déplétion préconisée est plus importante en présence d’une authentique hémochromatose homozygote ancienne considérant la surcharge en fer très importante (comme en témoignent un taux de ferritine très élevé et un coefficient de saturation de la transferrine bien supérieur à 60 ou 70%) une extraction de 400 cc de sang chez la femme et 500 cc chez l’homme est requise. La fréquence recommandée est hebdomadaire.
Dans les autres situations (hémochromatose chez un adulte jeune, stéato-hépatite non alcoolique) les déplétions seront d’environ 350 cc. La fréquence des saignées pourra s’échelonner entre une fois par semaine et une fois tous les 15 jours. La baisse de l’hémoglobine et le nombre des globules rouges ne sont pas influencés par la fréquence hebdomadaire ou bimensuelle des saignées.

Comment apprécier la quantité de fer prélevée ?

La quantité de fer extraite est le meilleur reflet du stock en fer de l’organisme.
La ferritine surestime la quantité de fer mobilisée à taux de ferritine identique, la quantité de fer mobilisé est 2 fois plus importante en cas d’hémochromatose que de stéato-hépatite non alcoolique. En revanche, la concentration hépatique en fer est un fidèle représentant du stock de fer de l’organisme et donc du foie. Le taux de ferritine est corrélé au degré de fibrose [12, 30] alors que ni le fer sérique ni le coefficient de saturation ne semblent avoir de valeur indicative.

Plusieurs formules peuvent aider à connaître la quantité de fer soustraite de manière simpliste, on peut l’extrapoler à 0,5 g de fer par litre de sang prélevé [11].

En considérant qu’1 g d’hémoglobine contient 0,0034 mg de fer, que le taux moyen d’absorption digestive de fer est de 0,002g/j pendant le traitement déplétif, la quantité de fer prélevé sera (en g/l) [31] :

[Quantité de sang retiré (en l) X Hb (au début en g/l) X 0,0034] – [durée du traitement de déplétion (en j) X 0,002] – Hb (en fin de traitement en g/l).

En pratique et de manière simplifiée, le but consiste à obtenir les paramètres martiaux suivants :

Ferritine < 50 µg /l ; coefficient de saturation < 20% ; fer sérique < 15 mmol/l.

Ultérieurement, le suivi biologique permettra d’adapter la fréquence des saignées mensuelles, trimestrielles, ou même semestrielles, en particulier lorsque les surcharges sont secondaires et liées à la stéato-hépatite non alcoolique.

La quantité extraite est évidemment très variable mais elle se situe plutôt autour de 3 g dans la stéato-hépatite non alcoolique et plutôt deux fois supérieure en cas d’hémochromatose génétique [12].

Quel bénéfice attendre des saignées ?

Dans la mesure où il ne serait pas éthique de faire une étude prospective dans l’hémochromatose génétique, il paraît difficile de présenter des résultats. Cependant, diminuer la surcharge en fer permet d’éviter l’évolution vers des tableaux historiques de cette maladie dont le risque vital est en jeu en raison de la cardiopathie, du diabète et de la cirrhose. Le risque de dégénérescence de la cirrhose hémochromatosique est l’un des plus élevés des cirrhoses.
La prise en charge d’une hémochromatose par des saignées régulières permet une espérance de vie similaire à celle d’un sujet sain, en l’absence de cirrhose et de diabète.
Le bénéfice des saignées est décrit par certains auteurs [31, 33] sur l’asthénie, les arthralgies et même peut-être sur l’ostéoporose [34].
Une prévention par phlébotomies est donc tout à fait souhaitable dès 20 ans, afin de ne pas nuire à la croissance.
Dans la stéato-hépatite, les données sont empiriques et spéculatives. Les auteurs mettent en balance le risque potentiel délétère de la surcharge en fer comme nous l’avons décrit et la simplicité du traitement. Le régime et la perte de poids sont insuffisants à eux seuls alors que la déplétion semble bénéfique sur les paramètres d’insulino-résistance [35] même si ceci est controversé et manque de preuve; elle permet de diminuer les symptômes (asthénie, hépatalgies…) de souvent normaliser les transaminases. De manière anecdotique, la régression de la fibrose a été constatée après traitement déplétif [36]. De nombreux travaux suggèrent qu’il vaut mieux intervenir précocement sur la surcharge en fer car celui-ci est un promoteur de croissance cellulaire et de prolifération microbienne [33].
Le réel bénéfice de saignées sur l’espérance de vie en cas d’hyperferritinémie modérée (entre 800 et 1000) reste cependant non démontré.
Dans la prise en charge de l’hépatite chronique à VHC, la réalisation de saignées préalable au traitement permet souvent de diminuer la cytolyse voire de normaliser les transaminases mais n’apporte pas de bénéfice en matière de réponse au traitement. Il n’ y a pas de consensus à son sujet car, même s’il n’y a aucun bénéfice à attendre sur l’élimination virale, la déplétion peut permettre de limiter les cofacteurs d’hépatotoxicité surtout lorsque l’affection est évoluée.
Cette remarque, sans preuve scientifique, paraît pertinente dans les cirrhoses sévères, quelle que soit leur étiologie les saignées permettent de diminuer l’aggravation de la fibrose et donc le risque d’hépatocarcinome [37].
Dans la PCT, la réalisation de saignées améliore les manifestations cutanées.

Où effectuer les saignées ?

Théoriquement, ce geste devrait pouvoir être effectué en ville en routine par un acteur de santé paramédical (cotation à la nomenclature AMI 5) sous prescription médicale. Le matériel utilisé fait l’objet d’un «TIPS» et donc remboursé par la sécurité sociale. Malheureusement, la cotation du geste infirmier est anormalement basse (13,35 euros!) et ne prend en compte ni le temps passé lors de l’acte (entre 30 et 45 mn) ni le surcoût lié à l’élimination des déchets (à la charge de l’exécutant) qui fait l’objet d’une législation stricte (réglementation concernant le transport de produits dangereux). Cette solution est cependant souhaitable car elle permet beaucoup de souplesse dans la gestion de la programmation de l’acte pour des patients souvent non malades qui effectuent ce geste de manière préventive en maintenant une vie socio-professionnelle normale.

Il existe d’autres alternatives

  • soit leur réalisation dans les sites de l’Etablissement Français du Sang agréés qui disposent sur place d’une vraie structure médicale (centre de soins). La cotation est basée sur la somme d’une consultation médicale et de l’acte AMI 5. Ces structures sont rares et donc souvent éloignées des patients. Les patients qui présentent des infections virales associées B et/ou C ne peuvent être pris en charge selon ce procédé et sont adressés dans les hôpitaux;
  • soit dans les hôpitaux publics le coût est inadapté car la facturation est souvent fondée sur une prise en charge en hôpital de jour (jusqu’à 600 euros en CHU!); rarement la cotation est calquée sur celle imposée en ville car ceci nuirait à la trésorerie de l’hôpital qui utiliserait ce système. La réalisation des saignées impose le plus souvent des contraintes horaires pénalisantes pour le patient. En revanche, elles bénéficient d’une traçabilité exemplaire qui est rassurante dans un monde fragilisé par les antécédents que l’on connaît. Il serait souhaitable que les pouvoirs publics puissent se pencher sur ce problème et concevoir une cotation adaptée au geste et à la sécurité sanitaire actuelle. Il existe de façon évidente une inadéquation dans cette thérapeutique.

 

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