Mutations du gène CARD15 et maladie de Crohn

Le rôle du gène CARD15/NOD2 dans la maladie de Crohn (MC) a été mis en évidence en 2001 simultanément par deux équipes indépendantes [1, 2]. Ce succès résulte pour tout ou partie d’une stratégie dite de clonage positionnel par analyse progressivement plus détaillée du génome à la recherche d’un gène de susceptibilité pour la MC. Il marque un tournant décisif dans la compréhension de la MC en proposant un agent étiologique et une voie originale d’activation de l’inflammation.

Anomalies génétiques

L’étude exhaustive du gène CARD15/NOD2 chez 453 maladies de Crohn, 159 rectocolites hémorragiques et 103 témoins sains permet d’avoir une bonne connaissance du spectre d’anomalies génétiques observées [3]. Plus de 30 mutations ayant potentiellement un effet biologique ont été répertoriées. Elles se répartissent sur la plus grande partie du gène. La plupart d’entre elles sont rares et ne concernent qu’un petit nombre de malades (mutations privées). A l’inverse, trois mutations apparaissent fréquentes. Il s’agit des variants R702W, G908R et 1007fs. Ces mutations sont des mutations ponctuelles aboutissant à des modifications non conservatives de la séquence peptidique ou à une protéine plus courte. De manière intéressante, ces mutations sont toutes caractérisées par une modification de la charge du domaine C terminal de la protéine. Ainsi, la plupart des patients porteurs de mutations sont-ils mutés dans la portion terminale du gène correspondant au tiers distal de la protéine, en particulier au domaine riche en leucine.

Cette distribution particulière des mutations rend relativement facile une démarche d’analyse du gène chez les malades. Elle suggère de plus que c’est le domaine protéique LRR qui est important dans la maladie de Crohn (cf infra). Des mutations ont aussi été observées dans un syndrome rare de transmission mendélienne dominante, le syndrome de Blau. Cette maladie est caractérisée par une inflammation granulomateuse pouvant toucher l’œil, la peau et les articulations. Les mutations observées dans le syndrome de Blau touchent le domaine NOD liant les nucléotides (cf infra). Cette différence explique probablement que la topographie de l’inflammation et le mode de transmission de ces deux maladies soit très différent. Par analogie, certaines mutations du gène de résistance au virus de la mosaïque du tabac, ont elles aussi une expressivité variable en fonction du site des mutations.

Les trois mutations principales sont associées à la MC mais pas à la rectocolite hémorragique (RCH). Elles n’ont pas pu être retrouvées portées sur le même chromosome et peuvent donc être considérées comme indépendantes. La fréquence cumulée de ces trois mutations est alors estimée à 7% des chromosomes chez les sujets sains. Ainsi, être porteur d’une mutation ne signifie pas être malade. Ce résultat était attendu dans le cadre d’une maladie génétique complexe telle que la MC puisque d’autres mutations sur d’autres gènes et l’exposition à des facteurs d’environnement sont aussi certainement nécessaires pour que la maladie apparaisse. Dans la RCH, les fréquences des trois mutations sont identiques à celles observées chez les contrôles sains. Dans la MC, la fréquence cumulée des trois principales mutations est de 29%, donc beaucoup plus élevée que chez les sujets sains.

Si on considère en plus des mutations fréquentes (R702W, G908R et 1007fs), les mutations rares observées chacune chez de rares malades, on trouve alors que 50% des MC sont porteurs d’une anomalie (rare ou fréquente) sur le gène contre 20% des contrôles sains. Ainsi, là encore et comme attendu pour une maladie génétique complexe, une mutation du gène CARD15/NOD2 n’est non seulement pas une condition suffisante mais ce n’est pas non plus une condition nécessaire. Il a ainsi pu être estimé que le gène CARD15/NOD2 représente environ 20% de la prédisposition génétique à la MC.

L’analyse des mutations chez les malades indique que les sujets atteints de MC ont souvent une mutation sur les deux gènes portés par les deux chromosomes. On parle d’effet dose. Ainsi, 17% des malades sont porteurs de 2 mutations contre 0,3% des sujets contrôles. On peut alors estimer le risque relatif d’être malade à environ 20 à 40 fois plus élevé que la population générale pour les sujets doublement mutés alors que le même risque est de l’ordre de 2 à 3 pour les sujets porteurs d’une seule mutation.

Importance du génotype en pratique clinique

Ce calcul du risque est important mais il est difficile de l’utiliser dans le cadre d’un conseil génétique s’adressant au malade ou à sa descendance. La première raison est que le risque dépend non seulement de CARD15/NOD2 mais aussi de nombreux autres facteurs génétiques et environnementaux actuellement inconnus. Ainsi, un risque relatif de 40 par rapport à la population générale reste peu élevé (0,04) si on estime que la prévalence moyenne de la maladie de Crohn est de 1/1000 dans la population française. La deuxième raison est qu’il n’est réaliste de donner un risque, et donc de dépister un malade potentiel, que si une méthode préventive efficace peut être appliquée pour réduire celui-ci. Or, à ce jour, à l’exception des mesures anti-tabac, aucune action préventive efficace ne peut être proposée à un éventuel sujet dépisté porteur de mutations sur le gène CARD15/NOD2.

La valeur diagnostique du génotypage de CARD15/NOD2 ne permet donc pas aujourd’hui de remettre en question les outils diagnostiques classiques que sont la clinique, l’endoscopie, l’histologie, la biologie ou la radiologie. Il n’est donc pas utile en pratique courante de génotyper les malades pour le gène CARD15.

Les études de corrélation génotype/phénotype ont permis de montrer que les sujets porteurs de mutations en particulier les sujets doublement mutés avaient certaines caractéristiques. L’âge de début de la maladie apparaît plus précoce. Cette différence de 3 à 4 ans en moyenne n’a cependant que peu d’incidence sur la prise en charge clinique sauf peut-être pour la tranche d’âge la plus jeune des MC du jeune enfant.

L’atteinte colique pure est exceptionnelle chez les porteurs de deux mutations. Ceci rapproche les colite RCH-like de la RCH sur le plan non seulement clinique mais génétique et donne peu d’espoir de pouvoir classer les colites inclassées sur la base d’un test génétique.

Les sujets porteurs de mutations ont été rapportés par la plupart des auteurs comme ayant plus souvent des complications évolutives avec des sténoses et/ou des fistules. Cette information certes importante, est cependant difficile à utiliser en pratique courante en l’absence de traitement préventif de ces complications. Une surveillance attentive des patients est donc certainement préférable à un typage de CARD15.

Enfin, il est légitime de se demander si le génotypage de CARD15/NOD2 peut être utile à la décision thérapeutique. Deux groupes ont étudié la réponse et la toxicité des anti-TNF (Infliximab) selon le génotype de CARD15 des patients. Les deux études concluent négativement. D’autres études similaires, portant sur la réponse à d’autres traitements de la MC pourraient être utiles dans l’avenir.

En résumé, les études de corrélation génotype/phénotype ne sont pas en faveur d’un typage de CARD15/NOD2 en pratique clinique courante.

Rôle fonctionnel de CARD15/NOD2

L’analyse de la séquence du gène NOD2 montre que celui-ci code pour une protéine de 1040 acides aminés possédant plusieurs domaines. De son extrémité N-terminale à son extrémité C-terminale, on distingue ainsi deux domaines CARD (pour CAspase Recruitment Domain), un domaine NBD (Nucléotide Binding Domaine), un possible domaine transmembranaire et un domaine LRR (pour Leucine Rich Repeat).

Que nous enseigne cette structure? NOD2 est le seul gène connu à posséder deux domaines CARD. Ces domaines interviennent dans la reconnaissance entre protéines habituellement impliquées dans les voies de l’apoptose et de l’activation de NF?B, par une interaction homophylique CARD-CARD. Ces domaines, considérés comme les effecteurs de la protéine, permettent donc de rattacher NOD2 à la famille des gènes CARD et le comité international de nomenclature HUGO a retenu comme symbole du gène non pas NOD2 mais CARD15.

Le domaine liant les nucléotides (NBD) semble avoir un rôle dans l’oligomérisation de la protéine avec elle-même et potentiellement d’autres protéines possédant le même type de domaine. Ce domaine apparaît donc comme nécessaire à l’activation de la protéine.

Le domaine riche en leucine correspond à une structure en fer à cheval, retrouvée dans un grand nombre de protéines ayant des fonctions variées. De manière remarquable cependant, cette structure se retrouve tout au long des règnes végétaux et animaux dans les protéines impliquées dans la réponse immunitaire innée.

Par sa structure globale, CARD15/NOD2 peut ainsi être rapproché de certains gènes tels que par exemple Apaf 1, CARD4/NOD1 ou le gène de la résistance au virus de la mosaïque du tabac. Ce dernier comporte trois domaines: un domaine TIR (Toll-interleukin-1 receptor), un domaine liant les nucléotides et un domaine LRR. En cas d’infection, le virus de la mosaïque du tabac est reconnu par la protéine codée par le gène ce qui induit une apoptose locale de la feuille, limitant par là-même la diffusion de l’infection.

Le gène CARD15/NOD2 pourrait intervenir dans un processus similaire chez l’homme. Ogura et al. ont pu montré que CARD15/NOD2 était capable de répondre au lipopolysaccharides (LPS) bactériens en activant la voie de NK-?B et de l’apoptose. Plus récemment, il a été montré que cet effet était probablement en rapport avec des contaminants et que la molécule activant CARD15/NOD2 est le peptidoglycane (PGN). On ne sait cependant pas aujourd’hui s’il existe un lien direct entre la bactérie et la protéine Card15/Nod2 ni si d’autres composants infectieux parasitaires ou viraux peuvent aussi être reconnus.

Ainsi, CARD15/NOD2 est-il principalement exprimé dans la lignée monocyte-macrophage alors qu’il n’est que très faiblement détectable dans le colon ou l’intestin grêle. Rien de très étonnant rétrospectivement puisque c’est à partir de la lignée monocytaire que se différencient les cellules épithélioïdes et gigantocellulaires des granulomes caractéristiques de la maladie de Crohn.

Les mutations principales associées à la maladie de Crohn entraînent un défaut d’activation de NF-?B par un défaut de réponse lors de l’activation par le PGN. Ce résultat est à prendre avec prudence car les seules études actuellement disponibles ont été réalisées avec des modèles cellulaires grossiers. Ce modèle explique bien l’effet dose observé pour la MC mais explique mal l’augmentation d’activité de NF-?B observé dans la MC. Nous n’en sommes donc qu’au début de la compréhension du mécanisme de la maladie.

La découverte de CARD15/NOD2 recentre donc la physiopathologie de la maladie de Crohn sur l’immunité innée et le macrophage. Cette immunité est une première ligne de la défense de l’organisme contre les agents pathogènes et médiée par les cellules phagocytaires. Elle est non spécifique, dirigée contre des molécules communes à plusieurs agents infectieux, telles que le PGN bactérien. Elle ne fait donc pas intervenir la même complexité moléculaire que l’immunité acquise qui passe par les immunoglobulines ou le récepteur T du lymphocyte. Enfin, elle intervient dans un délai très court après le début de l’infection, ne reposant pas sur le principe de l’activation de la mémoire immunitaire.

La protéine codée par le gène est exprimée dans le cytoplasme de la cellule et est actuellement considérée comme une des voies d’activation de NF?B tout comme le récepteur du TNF ou les Toll Like, récepteurs présents à la surface de la cellule.

Rétrospectivement, il n’est pas surprenant non plus que CARD15/NOD2 soit impliqué dans une réponse immunitaire de type non spécifique. En effet, depuis longtemps, le rôle de la flore digestive est suspecté dans la maladie de Crohn. Les expériences de dérivation ou de ré-instillation de l’effluent entérique et le rôle partiellement bénéfique des antibiotiques suggèrent que la flore intestinale puisse avoir un rôle dans le développement de la maladie. De même, chez l’animal de laboratoire, l’atténuation du phénotype des animaux génétiquement manipulés pour développer une colite inflammatoire lorsqu’ils sont élevés en milieu axénique renforce cette hypothèse. Enfin, l’impossibilité habituelle d’identifier des germes spécifiques de la maladie de Crohn conforte l’idée que c’est bien une flore mixte qui joue un rôle plutôt qu’une souche bactérienne ou virale particulière. La découverte de CARD15/NOD2 dans la maladie de Crohn a donc relancé la recherche entre l’interaction hôte – bactérie et son rôle dans la maladie.
 

RÉFÉRENCES

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