Prise en charge des pancréatites aiguës : les problèmes nutritionnels

Introduction

La prise en charge de la pancréatite aiguë (PA) a été grandement clarifiée par la récente conférence de consensus française [1]. Dans une enquête préliminaire, il est apparu notamment que les pancréatites aiguës bénignes déclenchaient une batterie de traitements dont l’utilité était loin d’être démontrée et dont l’utilisation reposait sur la pérennisation de pratiques ancestrales [2]. Celles-ci ont été largement remises en cause particulièrement dans le domaine de la nutrition. Nous allons aborder ici les problèmes spécifiques relatifs à la prise en charge nutritionnelle.

Aspiration gastrique, iléus réflexe

L’aspiration gastrique a deux buts. Son utilisation est indiscutable chez les malades ayant un iléus réflexe provoquant des vomissements abondants. Des nausées ou des vomissements ont été décrits dans 70 à 90% des cas. Dans un autre travail ayant inclus 88 malades ayant une pancréatite dont seulement 3 étaient sévères, la fréquence des vomissements requérant une sonde d’aspiration gastrique était de 13%. Dans notre expérience, des vomissements sévères et prolongés sont très rares au cours des pancréatites non sévères.
La deuxième justification théorique de l’aspiration gastrique est de limiter l’arrivée de liquide acide dans le duodénum et, partant, la stimulation de la sécrétion hydroélectrolytique pancréatique et donc la gravité de la PA. Huit études randomisées et prospectives ont cependant montré que l’aspiration gastrique n’améliorait pas l’évolution d’une pancréatite. La pose systématique de la sonde d’aspiration gastrique retarde la reprise alimentaire, allonge le délai de reprise du transit, la durée de la période douloureuse, les besoins en analgésiques et la durée totale de l’hospitalisation (de l’ordre de 2–3 j). De plus, des effets secondaires spécifiques de la sonde naso-gastrique (hémorragie, douleurs oro-pahryngées) ont été rapportés. Malgré ces résultats non équivoques, la pose d’une sonde naso-gastrique est certainement le geste le plus souvent réalisé dès que le diagnostic de pancréatite est porté, quelles que soient sa gravité et la présence ou l’absence de vomissements.
En dehors des vomissements incoercibles, la pose d’une sonde naso-gastrique d’aspiration devrait être formellement évitée [1].

Jeûne et reprise de l’alimentation

Le jeûne s’impose initialement de lui-même au malade en raison de l’intensité des douleurs abdominales, des nausées ou vomissements et de l’iléus réflexe. La base rationnelle de la mise à jeun prolongée est celle d’une «mise au repos» pancréatique, la stimulation de la sécrétion pancréatique enzymatique étant jugée susceptible d’aggraver les lésions de pancréatite. Banks [3], dans le traité de la Mayo Clinic, recommande, sans preuve, une renutrition entre le 4e et le 7e jour d’hospitalisation, dès que les douleurs abdominales ont disparu, que le malade a faim et que l’amylase est redevenue proche de la normale. C’est la raison pour laquelle les malades sont habituellement réalimentés progressivement, préférentiellement avec des hydrates de carbone plutôt qu’avec des lipides et des protéines. Une rechute douloureuse pendant la réalimentation est notée dans 21% des cas. Ces rechutes ne sont jamais graves. Le taux de rechutes douloureuses est de 35% chez les malades ayant une pancréatite nécrosante, mais n’est en revanche que de 12% chez les malades ayant une pancréatite non nécrosante [4].
Les recommandations qui peuvent donc être faites sont que les malades ayant une PA non sévère peuvent être réalimentés sans risque dès la disparition des douleurs (en pratique, après 48 heures sans douleur) et la quasi normalisation du taux des enzymes pancréatiques sériques. Bien que la nature du régime n’ait fait l’objet d’aucune étude contrôlée, une augmentation progressive de la charge calorique et lipidique sur 4 à 5 jours semble raisonnable (tableau I). L’utilisation d’une alimentation non polymérique semble inutile. L’existence de rechutes douloureuses itératives à chaque tentative de réalimentation correspond dans la plupart des cas à une rupture canalaire (canal principal ou canaux secondaires), dont la fréquence peut atteindre 31% dans les PA biliaires sévères. Ce type de complication ne requiert pas systématiquement un traitement chirurgical.

Nutrition artificielle : pour qui ?

La pancréatite sévère induit un état de stress métabolique comparable à celui rencontré en cas d’infection sévère, caractérisé par une accélération du débit cardiaque, une baisse des résistances vasculaires systémiques, une augmentation de la consommation d’oxygène. Elle génère ainsi un déficit calorique net, une balance azotée négative et globalement, une détérioration de l’état nutritionnel. Ainsi, les besoins caloriques peuvent atteindre 140% des besoins de base. Les facteurs qui déterminent les besoins énergétiques sont le statut nutritionnel de départ, la gravité de la pancréatite et la survenue de complications septiques. Chez les malades qui ont une pancréatite non sévère, les risques d’une morbidité et notamment d’une surinfection, d’une intervention chirurgicale (en dehors d’un éventuel traitement de la lithiase biliaire) sont nuls ou faibles. Les besoins caloriques sont donc peu importants. Surtout, ces malades peuvent habituellement reprendre une alimentation orale dans les 7 jours suivant l’admission.
McClave et al. [5] ont proposé un algorithme pragmatique rappelé sur la figure.
Ainsi, les malades ayant un score de Ranson = 2 et un score APACHE II = 9, surtout si ce dernier diminue dans le temps, auront très vraisemblablement une pancréatite d’évolution simple, sans nécessité de nutrition artificielle.
Il en est tout autrement au cours de la pancréatite sévère. Pendant longtemps, la nutrition parentérale totale a été la voie d’abord choisie car elle est sensée ne pas stimuler la sécrétion pancréatique. La nutrition entérale totale pose en théorie le problème de la parésie gastrique, de l’obstacle à l’évacuation duodénale et de l’iléus observés chez les malades ayant une pancréatite sévère. Plusieurs études ont en fait montré une diminution des complications septiques si une nutrition entérale totale est mise en place précocement. Le mécanisme invoqué pour expliquer l’effet bénéfique de la nutrition entérale totale dans ces situations est le rétablissement de la barrière muqueuse par l’apport d’aliments intraluminaux ce qui empêche la translocation bactérienne.
Ainsi, dans les pancréatites aiguës graves, un support nutritionnel rapide est essentiel et la voie entérale sur sonde gastrique fine ou sur jéjunostomie est sans doute la meilleure voie.

Anti-sécrétoires acides gastriques

Les antisécrétoires gastriques (antagonistes des récepteurs H2 de l’histamine ou inhibiteurs de la pompe à proton ont deux intérêts théoriques: la prévention des ulcères et hémorragies de stress, et la diminution de l’arrivée de liquide acide dans le duodénum dans le but de diminuer la sécrétion pancréatique hydroélectrolytique.
L’intérêt de la prévention des ulcères et hémorragies de stress est de plus en plus remis en question car leurs manifestations sont exceptionnellement cliniquement signifiantes. Elles sont surtout fréquentes chez les malades ayant des défaillances viscérales graves (notamment respiratoires) et le meilleur traitement préventif est la correction de ces défaillances [6]. En l’absence de défaillance viscérale, l’intérêt des antisécrétoires acides gastriques est nul. De même que pour l’aspiration gastrique, l’intérêt de la diminution de la sécrétion acide basale par les antisécrétoires n’est pas démontré. L’ensemble de ces arguments montre que l’utilisation d’antisécrétoires acides gastriques doit être proscrite chez les malades sans antécédent ulcéreux ayant une pancréatite sans défaillance viscérale.

Conclusion

La prise en charge de la pancréatite aiguë a beaucoup changé ces dernières années. En cas de pancréatite bénigne, elle s’est beaucoup simplifiée ne reposant que sur une sédation des douleurs et une perfusion simple pour maintenir un bon équilibre hydro-électrolytique. Dans ce cas, il n’y a pas de problème nutritionnel et l’alimentation orale cyclique peut être reprise dès que les douleurs ont disparu, c’est-à-dire dans la première semaine dans la plupart des cas.
En cas de forme plus sévère, la nutrition entérale doit être privilégiée par rapport à la nutrition parentérale. Le risque de rechute douloureuse à la réalimentation est plus élevé. L’apport calorique et lipidique doit être progressif.

 

Tableau I
CONTENU CALORIQUE ET LIPIDIQUE PENDANT LES 5 PREMIERS JOURS
DE LA RÉALIMENTATION DE MALADES AYANT UNE PANCRÉATITE AIGUË (d’après [64]).

Jours de réalimentation Calories (Kcal) Lipides (g)
1 250 < 5
2 1 000 5-10
3 1 500 15-20
4 1 600 25-30
5 1 700 35-40

Algorithme décisionnel pour la nutrition chez les malades ayant une pancréatite aiguë (d’après [5]).

 

REFERENCES


1. CONFÉRENCE DE CONSENSUS. – Pancréatite aiguë. Gastroenterol Clin Biol 2001; 25: 177-92.
2. RUSZNIEWSKI P. – Pancréatite aiguë: le temps du consensus. Gastroenterol Clin Biol 2001; 25: 1S5-1S6.
3. BANKS PA. – Medical management of acute pancreatitis and complications. In: Go VLW, DiMagno EP, Gardner JD, Lebenthal E, Reber HA, Scheele GA, editors. The pancreas. Biology, pathobiology, and disease. New York: Raven Press, Ltd, 1993: 593-611.
4. LEVY P, HERESBACH D, PARIENTE EA, BORUCHOWICZ A, DELCENSERIE R, MILLAT B, et al. – Frequency and risk factors of recurrent pain during refeeding in patients with acute pancreatitis: a multivariate multicentre prospective study of 116 patients. Gut 1997; 40: 262-6.
5. McCLAVE SA, SPAIN DA, SNIDER HL. – Nutritional management in acute and chronic pancreatitis. Gastroenterol Clin North Am 1998; 27: 421-34.
6. OFFENSTADT G, MAURY E, GUIDET B. – Hémorragie gastroduodénale de stress en réanimation. Rev Prat 1995; 45: 2303-6.