Radio-chimiothérapie des cancers gastriques

Introduction

Malgré une nette diminution d’incidence depuis la seconde guerre mondiale dans les pays occidentaux, le cancer de l’estomac reste au second rang des cancers digestifs. Le nombre de nouveaux cas en France était estimé à 7313 pour l’année 1995. Le pronostic de cette maladie est sombre avec une survie à 5 ans de 15% tous stades confondus. La chirurgie demeure le seul traitement curatif mais n’est possible que chez un malade sur 2. Même dans

cette situation, la survie à 5 ans ne dépasse pas 45%.
La publication récente par une équipe américaine d’une vaste étude multicentrique indiquant l’intérêt d’une radiochimiothérapie adjuvante après résection chirurgicale pourrait bouleverser les modalités de prise en charge de cette maladie [1].

Place de la chimiothérapie

Après gastrectomie, le principal facteur pronostique est l’existence d’un envahissement ganglionnaire [2]. Le bénéfice de curages ganglionnaires extensifs (type D2) n’est cependant pas prouvé en Europe. En effet, il existe alors une surmortalité liée à des résections spléniques et pancréatiques associées [3]. Quoiqu’il en soit, l’analyse des ganglions doit porter sur un minimum d’une quinzaine de ganglions afin de ne pas sous-estimer le stade réel d’extension de la maladie (résection D1: minimum 15 ganglions; D2: 25 ganglions).

Le traitement adjuvant du cancer gastrique après chirurgie ne faisait jusqu’à présent l’objet d’aucun consensus: trois méta-analyses ces dix dernières années n’ont pas clairement démontré le bénéfice d’une chimiothérapie dans cette indication. Seule la dernière concluait à un bénéfice de la chimiothérapie avec une réduction du risque relatif de décès de 18% mais il s’agissait d’une méta-analyse basée sur les données de la littérature et non sur données individuelles [4-6]. En France, une étude de la FFCD comparant une chimiothérapie adjuvante par 5FU-cisplatine à l’absence de traitement n’a pas pu dégager de bénéfice en faveur du traitement. Cette étude souffrait cependant d’un défaut de recrutement, reflétant la réticence de certaines équipes à ne pas proposer de traitement adjuvant à leurs patients [7]. A ce jour, les seules études positives semblent provenir d’Espagne et d’Asie avec le plus souvent des combinaisons d’UFT et de mitomycine [8]. Enfin, la radiothérapie seule n’avait jamais fait la preuve de son utilité [9].

Étude intergroupe américaine de radio-chimiothérapie

Rationnel

Après chirurgie à visée curative, il survient une rechute locale dans 45 à 60% des cas, expliquant le mauvais pronostic. Des données anciennes montraient dans cette situation, la possibilité d’un contrôle complet de la maladie par une combinaison radiothérapie/chimiothérapie [10]. Plus récemment, une étude asiatique avait retrouvé, pour une même combinaison, un bénéfice de survie en cas de traitement néoadjuvant [11]. Sur ces bases, un essai multicentrique américain a été initié en 1991 visant à évaluer l’intérêt d’un tel traitement après chirurgie d’un cancer gastrique.

Population et méthodes de l’essai

Sur les 603 patients inclus, 556 patients étaient porteurs d’un adénocarcinome du cardia ou de l’estomac, non métastatique, totalement réséqué macroscopiquement et microscopiquement (R0). Tous étaient randomisés en 2 bras: chirurgie seule (bras CHIR) ou chirurgie suivie d’une association radio-chimiothérapique (bras ARCC). Seuls les patients en état général correct (OMS <2) et recevant per os au moins 1500 Kcal/jour furent inclus. Les 2 groupes étaient homogènes; 85% des patients étaient à haut risque de rechutes (T3/T4 et/ou N+); dans 20% des cas la tumeur siégeait sur le cardia.
Le traitement débutait entre le 27e et le 48e jour post-opératoire et comportait une radiothérapie (RT) de 45 Gy en 25 fractions sur le lit tumoral (repéré par scanner préopératoire et parfois clips chirurgicaux) et les adénopathies régionales. Une chimiothérapie de type Fufol Mayo Clinic était associée (1 cycle de 5 jours avant la RT, 1 cycle de 4 jours en début de RT, 1 cycle de 3 jours en fin de RT et 2 cycles de 5 jours après RT). Un contrôle de qualité des plans de traitement par RT avant le début du traitement a abouti à une correction dans 35% des cas.
Sur le plan chirurgical, le curage D2 recommandé ne fut réalisé que dans 10% des cas au profit d’un curage D1 (36%) ou inférieur à D1 (54%).

Résultats

L’ARCC fut menée à son terme chez 64% des patients et fut à l’origine de toxicités de grade 3 ou 4 de type hématologique dans 54% des cas et type digestif dans 33% des cas. Trois patients (1%) sont décédés de toxicité.
Le suivi médian était de 5 ans: la survie globale (SG) a été améliorée significativement dans le bras ARCC (médiane: 36 mois versus 27 mois; taux de survie à 3 ans: 50 versus 41% – p = 0,005). La survie sans récidive (SSR) a été de 30 mois dans le bras ARCC contre 19 mois dans le bras CHIR (p <0,001). Globalement, la réduction relative du risque de rechute a été de 33%, et la réduction du risque de décès de 26%.
Aucune différence quant aux effets favorables du traitement ne fut détectée en fonction des différences de sexe, de race, de localisation tumorale ou de type de curage ganglionnaire.

Commentaires

Cette étude montre qu’une ARCC, après résection à visée curative d’un ADK gastrique ou cardial, améliore significativement la SSR et la SG à 5 ans, apparemment quelle que soit l’étendue du curage ganglionnaire pratiqué.
Il faut cependant souligner que les critères de qualité de la chirurgie n’ont pas été respectés: curage inférieur à D1 (au ras des courbures gastriques) dans 54% des cas, inférieur à D2 dans 90% des cas. Même si la supériorité d’un curage D2 sur un curage D1 n’est pas démontrée, un curage inférieur à D1 est certainement insuffisant pour assurer un traitement curatif. La survie à 3 ans du bras «combiné» de cette étude (50%) est proche de celle du bras «chirurgie seule» (53%) de l’essai FFCD 8801 dans lequel la chirurgie était standardisée. L’ARCC pourrait ainsi pallier les insuffisances de la chirurgie.

Quelles conclusions en pratique aujourd’hui ?

Les résultats de l’essai intergroupe américain ont fait désormais changer aux Etats-Unis les standards thérapeutiques en situation adjuvante dans le cancer de l’estomac aujourd’hui. Tous les patients à haut risque de rechute (T3 et T4 quelque soit N) ou N+quel que soit T, se voient proposer un traitement par ARCC type Mac Donald.
Pour critiquables qu’ils soient, ces résultats ne peuvent être ignorés par les praticiens français. Deux grands axes de développement doivent être envisagés:

  • Améliorer le schéma d’ARCC «Mac Donald» : Les radiothérapeutes doivent se familiariser avec ce type de traitement et standardiser leurs procédures. Par ailleurs, les données récentes issues de la chimiothérapie du cancer colorectal ont montré la supériorité des schémas infusionnels de 5FU (type LV5FU2) par rapport aux schémas de 5FU bolus américains en terme de toxicité [12]. Un essai intergroupe doit se monter en France évaluant de nouveaux types d’ARCC avec du LV5FU2, en lieu et place du Fufol pré et post-ARCC. Les premiers résultats de faisabilité devraient être présentés dès cette année, aux principaux congrès de cancérologie. L’avenir pourrait être dans un second temps, l’utilisation de nouvelles drogues (irinotécan par exemple), ou celles de prodrogues orales du 5FU (UFT, capécitabine) comme agents radiosensibilisants pendant l’ARCC.
  • Quels patients traiter ? Le point essentiel reste la chirurgie. Au vu des résultats anatomopathologiques, tous les patients à haut risque (tel que défini au-dessus) ou n’ayant pas bénéficié d’une chirurgie optimale (curage non D1) doivent être discutés en réunion multidisciplinaire. Seuls pourront être traités les patients en bon état général, et avec une reprise alimentaire correcte, l’ARCC risquant sinon, de majorer les effets néfastes de la gastrectomie en termes nutritionnels.

 

RÉFÉRENCES

1. MACDONALD JS, et al. – Chemoradiotherapy after surgery compared with surgery alone for adenocarcinoma of the stomach or gastroesophageal junction. N Engl J Med 2001; 345: 725-30.
2. SIEWERT JR, et al. – Relevant prognostic factors in gastric cancer: ten-year results of the German Gastric Cancer Study. Ann Surg 1998; 228: 449-61.
3. BONENKAMP JJ, et al. – Extended lymph-node dissection for gastric cancer. N Engl J Med 1999; 340: 908-14.
4. HERMANS J, et al. – Adjuvant therapy after curative resection for gastric cancer: meta-analysis of randomized trials. J Clin Oncol 1993; 11: 1441-7.
5. EARLE CC, et al. – Adjuvant chemotherapy after curative resection for gastric cancer in non-Asian patients: revisiting a meta-analysis of randomised trials. Eur J Cancer 1999; 35: 1059-64.
6. MARI E, et al. – Efficacy of adjuvant chemotherapy after curative resection for gastric cancer: a meta-analysis of published randomised trials. A study of the GISCAD. Ann Oncol 2000; 11: 837-43.
7. DUCREUX M, et al. – Resected gastric adenocarcinoma: randomised trial of adjuvant chemotherapy with 5FU cisplatin (FUP). Final results of the FFCD 8801 trial. Proc Am Soc Clin Oncol 2000; 19: 241a.
8. GRAU JJ, et al. – Randomized trial of adjuvant chemotherapy with mitomycin plus ftorafur versus mitomycin alone in resected stage III cancer. J Clin Oncol 1998; 16: 1036-9.
9. HALLISSEY MT, et al. – The second British Stomach Cancer Group trial of adjuvant radiotherapy or chemotherapy in resectable gastric cancer: five-year follow-up. Lancet 1994; 343: 1309-12.
10. GASTROINTESTINAL TUMOR STUDY GROUP. – A comparison of combination chemotherapy and combined modality therapy for locally advanced gastric carcinoma. Cancer 192; 49: 1771-7.
11. ZHANG ZX, et al. – Randomised clinical trial of the combination of preoperative irradiation and surgery in the treatment of adenocarcinoma of gastric cardia. Report on 370 patients. Int J Radiat Oncol Biol Phys 1998; 42: 929-34.
12. DE GRAMONT A, et al. – Randomized trial comparing monthly low-dose leucovorin and fluorouracil bolus with bimonthly high-dose leucovorin and fluorouracil bolus plus continuous infusion for advanced colorectal cancer: a French intergroup study. J Clin Oncol 1997; 15: 808-15.