Techniques radiologiques d’exploration de l’intestin grêle

Introduction

L'exploration des pathologies de l'intestin grêle est à l'aube d'une nouvelle ère. Le développement de la vidéocapsule va probablement permettre enfin d'explorer ce qui malgré les progrès de l'entéroscopie restait souvent la « boîte noire » du tube digestif. Mais malgré ses performances, la méthode reste en phase d'évaluation et son coût limite pour l'instant son usage en routine [1]. De ce fait, la radiologie conserve encore actuellement une place essentielle dans l'exploration des maladies du grêle. Ces dernières années, l'évolution très rapide des technologies a considérablement amélioré les performances des examens radiologiques, imposant une remise en question des stratégies diagnostiques. Aux côtés des techniques d'opacification validées depuis plus de 30 ans (transit du grêle avec ou sans entéroclyse), l'émergence et les progrès de l'imagerie en coupes (échographie, scanner et IRM) représentent une véritable révolution dans l'exploration du tube digestif, ajoutant à l'analyse endoluminale celle de la paroi mais également de l'atmosphère péri-intestinale, non accessible aux techniques d'endoscopie ou à la vidéocapsule [2, 3]. Cependant, si les moyens radiologiques sont devenus très performants, ils sont aussi devenus de plus en plus complexes. Plus que jamais l'imagerie du tube digestif est devenue opérateur dépendant (dans la réalisation technique comme dans l'interprétation). Le choix d'un examen sera donc fonction bien sûr des situations cliniques mais également des moyens disponibles et surtout de l'expérience des intervenants. Les buts de cette mise au point sont de donner au clinicien les éléments lui permettant de faire son choix parmi les techniques d'imagerie disponibles en fonction de chaque situation clinique. Dans un premier temps, les méthodes d'imagerie seront passées en revue en insistant sur leurs modalités les plus récentes et leur performances diagnostiques actuelles dans chaque pathologie.

Dans un deuxième temps, des stratégies diagnostiques pratiques seront proposées face aux pathologies ou situations cliniques les plus fréquentes.

 

Les techniques radiologiques

» ASP

En dépit d'évolutions technologiques, les performances diagnostiques des cli­chés radiologiques standard dans la pathologie du grêle ont peu évolué au cours des années 90. De ce fait, les in­dications à visée diagnostique sont rares.

Dans tous les cas, les clichés sont peu spécifiques et seule leur simplicité d'ob-tention peut pousser à en faire un examen de première intention.

La seule exception est la recherche de signes d'occlusion (niveaux hydro-aé-riques) en gardant à l'esprit une sen­sibilité très variable de l'ASP dans le diagnostic d'occlusion (30 à 90 %), une précision médiocre dans la localisa­tion de l'obstacle et une sensibilité et une spécificité très faibles dans l'iden-tification de la cause de l'obstacle [4, 5]. L'ASP peut même conduire dans ce contexte à une erreur diagnostique dans 20 à 40 % des cas [5].

Dans les autres contextes, la réalisation d'un ASP n'est pas recommandée et seule la recherche d'une complication (en particulier pneumopéritoine) jus­tifie la réalisation d'un cliché.

» Opacifications

Le transit du grêle par voie orale a été la première méthode d'exploration du grêle. Il nécessite une grande quantité de contraste pour une distension maxi­male des anses grêles, un suivi sco­pique et une palpation afin de disso­cier les anses et permettre leur analyse. L'utilisation d'une sonde entérale (en­téroclyse) permet d'améliorer la qua­lité de l'examen grâce à une meilleure distension des anses intestinales et la possibilité d'une exploration en double contraste [6]. Elle permet par ailleurs de raccourcir le temps d'examen. La supériorité de l'entéroclyse sur la mé­thode orale simple a été prouvée dans la détection de tumeurs du grêle [7]. Dans le bilan des syndromes suboc­clusifs, en permettant une meilleure distension des anses grêles, l'entéro-clyse permet une meilleure visualisa­tion des sténoses [8]. Malgré l'utilisa-tion d'anesthésiques locaux, le passage de la sonde peut être pénible voire re­fusé par le malade. Ceci est un pro­blème chez des patients pour lesquels un contrôle fréquent est nécessaire, comme dans la maladie de Crohn. Mais dans ce contexte, les deux techniques montrent des sensibilités proches pour l'évaluation des lésions inflammatoires (90 à 95 %) [7, 9]. En effet, dans cette indication, quelle que soit la méthode choisie, c'est le soin apporté à la dis­sociation des anses par la palpation, sous contrôle scopique qui sera le ga­rant de la qualité diagnostique [8]. On préférera donc une méthode orale simple, en réservant l'entéroclyse aux cas complexes.

Quelles que soient la technique choisie et l'indication, le transit du grêle pré­sente des inconvénients : l'exploration reste longue (environ 1 heure), la tech­nique consomme du temps en per­sonnel médical et para-médical. Elle peut être difficile à conduire selon le morphotype du patient et les super­positions d'anses ne sont pas toujours faciles à dégager malgré tout le soin apporté à l'examen. Le transit du grêle n'offre que peu d'informations sur la paroi intestinale ou sur l'atmosphère péri-intestinale. Enfin, l'irradiation est importante en particulier en temps de scopie, d'autant plus que l'exploration veut être soigneuse. Pour toutes ces raisons, les radiologues ont tendance à délaisser la méthode. Les explora­tions de qualité du grêle se font rares, de même que les personnes pour les interpréter.

Le transit du grêle reste tout de même une technique validée et plusieurs études ont montré en particulier sa haute valeur prédictive négative [10, 11]. Dans la maladie de Crohn, sensi­bilité et spécificité ont été respective­ment évaluées à 98 et 92 % [12]. Cependant, en l'absence de méthodes de référence, ces performances ont le plus souvent été évaluées sur le suivi [10-12]. L'émergence de nouvelles méthodes diagnostiques permet d'éva-luer de façon plus objective les per­formances du transit du grêle. Ainsi, dans une série récente de 40 patients explorés par transit du grêle (sans en­téroclyse) et vidéocapsule, le transit du grêle ne permettait le diagnostic que d'un seul ulcère (sur 8), d'aucune angiodysplasie (sur 11) , d'aucune tu­meur (sur 5) [13]. Dans une autre étude portant sur 20 patients et confrontant transit et vidéocapsule, le transit re­trouvait des anomalies chez 3 patients contre 17 pour la vidéocapsule. La per­formance diagnostique du transit pour le saignement intestinal dans cette série était de 5 % (31 % pour la vidéocap­sule) [14]. Face aux autres techniques d'imagerie, le transit du grêle resterait supérieur dans l'analyse des lésions muqueuse fines [15]. Cependant dans la série précédemment citée, l'entéro-scanner détectait 3 ulcères sur 6 et 1 tumeur sur 4, soit une meilleure per­formance que le transit [13]. Dans une autre série, les performances de l'en-téroscanner et du transit apparaissaient très proches dans le diagnostic de la maladie de Crohn, le transit gardant un petit avantage pour les lésions très superficielles débutantes et l'entéros-canner pour les lésons péri-intestinales [16]. Dans tous les cas, comme nous le verrons plus loin, les techniques d'ima-gerie en coupes apportent en plus de l'analyse endoluminale, celle de la paroi et de l'atmosphère péri-intesti-nale, permettant un diagnostic plus complet de la maladie.

Ainsi, si le transit du grêle reste l'examen historique de référence du grêle, ses indications ont diminué au profit de l'imagerie en coupes. Le transit du grêle restera proposé en pre­mière intention si une analyse mu­queuse fine est nécessaire ou si une information dynamique sur le péri­staltisme doit être obtenue (visualisa­tion du péristaltisme en scopie).

 

» Échographie

Les progrès de l'échographie et en par­ticulier l'apparition de sondes de haute fréquence (supérieures à 10 MHz) permet désormais une analyse précise des différentes couches de la paroi digestive. Entre des mains entraînées, elle peut constituer un outil complet d'exploration de l'intestin grêle aussi bien dans la pathologie inflammatoire et ses complications, que dans la pa­thologie tumorale et occlusive [16-19]. A ce titre, elle a été proposée par plu­sieurs équipes dans l'évaluation des occlusions ou dans le bilan de la ma­ladie de Crohn, où elle pourrait rem­placer le transit du grêle [19, 20]. L'apport du Doppler n'est pas négli­geable en permettant de quantifier une activité inflammatoire ou d'analyser les vaisseaux mésentériques.

Mais l'échographie du grêle reste une échographie de spécialiste. L'examen est long et il est difficile d'être certain d'avoir analysé correctement la tota­lité du grêle. L'échographie n'aura donc de valeur que positive. Il paraît alors difficile de la proposer en routine car sa sensibilité est faible pour un opé­rateur non spécialisé. Ainsi, dans une série prospective de 44 patients, l'écho-graphie a montré une spécificité de 100 % dans le diagnostic d'occlusion dans un contexte de maladie de Crohn mais une sensibilité de seulement 52 % [19]. Dans une autre série de 127 pa­tients (maladie de Crohn connue ou diagnostic initial), la sensibilité de l'échographie pour le diagnostic était de 78 % (spécificité de 91 %). Il est in­téressant de noter dans l'étude que la courbe d'apprentissage était rapide et que la sensibilité passait à 87 % pour les 64 derniers patients.

Nous pensons donc que l'échographie de routine du grêle reste pour le mo­ment réservée à quelques centres spé­cialisés mais représente une technique qu'il faut maîtriser. Dans notre pra­tique, nous ne l'utilisons pas dans le cadre des syndromes obstructifs ni dans le bilan lésionnel initial du Crohn. En revanche, nous considérons qu'elle est essentielle pour la caractérisation d'une anomalie visualisée par une autre méthode d'imagerie (épaississement pariétal au scanner par exemple), ou pour la surveillance d'une lésion connue (contrôle de maladie de Crohn en cours de traitement en particulier où l'absence d'irradiation est un argu­ment important).

 

» Scanner

Le scanner est avec l'IRM la technique qui a connu les progrès les plus spec­taculaires ces dernières années. Les performances du scanner hélicoïdal (monodétecteur) en avaient déjà fait un outil indispensable dans les mala­dies digestives en général. La techno­logie en multidétecteur en augmen­tant la vitesse d'acquisition et en permettant la réalisation de coupes très fines (inférieures au mm) en apnée sur toute la cavité abdomino-pelvienne a encore considérablement amélioré la qualité d'image. La conséquence prin­cipale est que la qualité des recons­tructions multiplanaires (coronales, sa­gittales, obliques voire curvilignes