Immuno-suppresseurs et MICI

Points importants

Ce qui est consensuel

• recommandation d'utilisation d'un analogue des purines ou le méthotrexate en cas de maladie de Crohn corticodépendante ou résistante ;

• recommandation d'utilisation d'un analogue des purines en cas de RCH corticodépendante ou résistante et résistante au aminosalicylés (la colectomie totale peut aussi alors être envisagée) ;

• la posologie efficace des analogues des purines est de 2 à 2,5 mg/kg/j pour l'azathioprine et de 1 à 1,5 mg/kg/j pour la 6-mercaptopurine ;

• recommandation d'utilisation de la ciclosporine en cas de RCH grave corticorésistante (la décision doit être rapide) ;

• la posologie recommandée de la ciclosporine par voie veineuse est de 2 mg/kg/j, rapidement adaptée aux dosages de la ciclosporinémie.

Ce qui est actuellement débattu

• intérêt d'une recherche systématique d'un déficit en TPMT avant institution d'un traitement par analogue des purines ;

• utilisation des immunosuppresseurs dès la première poussée de maladie de Crohn chez des sous-groupes « à risque ».

Ph. MARTEAU

 

« Médecine fondée sur des preuves »

Un traitement immunosuppresseur (IS) est utilisé un jour ou l'autre chez près des 3/4 des patients atteints de maladie de Crohn (MC) [1] et une partie plus faible, à ce jour mal chiffrée, des patients atteints de rectocolite hémorragique (RCH). Les trois médicaments ou classes les plus uti­lisés sont les analogues des purines (azathioprine Imurel® ou 6-mercaptopurine Purinéthol® ) le méthotrexate et la ciclosporine. La fré­quence de l'hépatotoxicité de la 6-thioguanine (Lanvis®) a stoppé son développement, le mycophénolate mofétil s'est avéré inefficace dans un essai contrôlé et l'utilisation du tacrolimus et de l'endoxan reste très anecdotique. Nous n'abordons pas ici les médicaments anti-TNF.

L'azathioprine et la 6-mercaptopurine (analogues des purines) ont une efficacité démontrée dans la MC notamment dans les poussées trai­tées par corticoïdes pour faciliter le sevrage corticoïde, dans les formes chroniques actives, et chez les malades en rémission pour éviter la re­chute [2, 3]. Cinquante à 75 % des patients traités par azathioprine ou 6-mercaptopurine ont une réponse clinique favorable ; le délai d'action médian est de 3 mois. Il est possible que ces médicaments soient capables de cicatriser les lésions de la MC après plusieurs années de traite­ment. Un effet bénéfique sur les lésions ano-périnéales est aussi possible bien qu'assez faible.

Le méthotrexate a une efficacité prouvée dans les formes chroniques actives, notamment corticodépendantes de maladie de Crohn, et peut être efficace chez les malades non répondeurs ou intolérants à l'azathioprine [4, 5]. Son délai d'action est peut être un peu plus court ou similaire à celui des analogues des purines. Son efficacité dans la RCH n'est pas démontrée mais les essais qui concluaient à son inefficacité n'étaient pas optimaux (car ils testaient une faible posologie et une voie d'administration orale). Il a donc une place potentielle (bien qu'à ce jour marginale) au cours de cette affection en cas d'inefficacité ou d'intolérance aux analogues des purines [6].

La ciclosporine a une grande efficacité à court et moyen terme au cours de la RCH grave corticorésistante et permet d'éviter 80 % des colec­tomies en urgence. Elle est en général alors utilisée pendant quelques jours par voie veineuse puis de 3 à 4 mois per os . Ce traitement pris iso­lément s'avérant décevant au bout de quelques mois (ne permettant souvent pas d'éviter la colectomie dans l'année), il a été proposé de l'as-socier à un analogue des purines et cette stratégie désormais consensuelle est efficace dans plus de 50 % des cas [6]. De rares travaux ouverts ont montré que la ciclosporine (ou le tacrolimus) est efficace dans les poussées sévères de MC ou en cas de fistules mais les essais contrôlés ont montré que ce traitement ne diminuait pas le risque de rechute de la MC [7].

Ces effets bénéfiques décrits sont contrebalancés par un risque d'effets indésirables [2]. Les plus redoutés sont les effets graves et ceux portant sur la maternité ou la paternité. Le risque d'infection opportuniste est de l'ordre de 1 %. Celui de lymphomes est d'environ 0,2 %. On discute encore du caractère statistiquement significatif de l'augmentation du risque global, mais la réalité des lymphomes liés au virus EBV est établie. Le caractère tératogène du méthotrexate est établi et ce médicament interdit la maternité et la paternité tant qu'il est prescrit et pendant en­core 3 mois après son arrêt [8]. Les analogues des purines n'augmentent pas de manière significative les risques au cours de la grossesse dans les études cliniques mais leur innocuité n'est pas non plus formellement établie [2, 8].

 

Quand débuter le traitement ?

Le choix de débuter le traitement dépend de l'analyse du rapport efficacité/ risque par le thérapeute puis in fine , le malade informé. N'était la crainte des effets secondaires graves (très rares), il est probable que les IS seraient débutés très tôt chez tous les malades atteints de MICI.

 

» Quand débuter la ciclosporine dans la RCH ?

En cas de RCH grave cortico-résistante, le traitement intensif de deuxième ligne par ciclosporine ou chirurgie doit être envisagé en l'absence

de réponse clinique et biologique entre 3 et 7 jours après le début de la corticothérapie intraveineuse à laquelle il est alors associé [6]. Certains auteurs se posent la question de débuter d'emblée ce traitement mais aucune donnée ne permet de soutenir cette attitude qui serait d'ailleurs difficile à organiser en pratique. Le traitement oral (en relais du traitement IV) est habituellement débuté vers le 7 e jour [9].

 

» Quand débuter les analogues des purines ?

A ce jour, il existe un consensus et des recommandations [6, 10] pour débuter ce traitement en cas de cortico-dépendance, ou de poussées rap­prochées, de formes chroniques actives cortico-résistantes. Chez l'enfant, la plupart des auteurs recommandent la mise en uvre précoce des IS, dès le premier traitement corticoïde car une étude prospective contrôlée a démontré l'efficacité de la 6-mercaptopurine pour le sevrage corticoïde et la durée de la rémission [11]. Enfin, la prévention de la rechute post-chirurgicale chez les patients multi-opérés ou ayant eu une résection in­testinale longue et la prévention de rechute de lésions ano-périnéales sévères fait l'objet d'un consensus parmi les experts [10, 12, 13].

Certains auteurs se posent la question de débuter ces médicaments plus tôt car à ce jour, le traitement IS ne paraît pas diminuer le recours à la chirurgie dans la MC [14]. Cette absence d'effet est peut-être en partie liée à la mise en uvre trop tardive des I.S. Une étude française du GE­TAID (coordonnée par J. Cosnes) va tenter de répondre à cette question chez les malades présentant une première poussée associée à des cri­tères prédictifs de gravité validés (deux au moins parmi les trois suivants : âge < 40 ans ; présence de lésions ano-périnéales; corticothérapie initiale) [15].

En cas de RCH grave, on débute les analogues des purines quelques (3 à 30) jours après avoir observé l'efficacité de la ciclosporine (et les ma­lades reçoivent donc alors une « triple thérapie » immunosuppressive : corticoïdes, ciclosporine et azathioprine) [6, 9].

 

» Quand débuter le méthotrexate ?

Habituellement, ce médicament est envisagé en cas d'échec ou d'intolérance aux analogues des purines (que l'on préfère en général en pre­mière intention du fait de leur prise orale et de leur absence d'effet tératogène) [10].

 

Comment initier le traitement

En dehors de la RCH grave, le traitement n'est jamais une urgence et on peut donc attendre d'avoir éliminé des contre-indications définitives (exceptionnelles) ou temporaires. Les IS sont contre-indiqués en cas d'infection évolutive, notamment virale. Des sérologies HIV, HCV et HBV sont conseillées avant le début du traitement.

 

» Les analogues des purines

La posologie efficace est de 2 à 2,5 mg/kg/j pour l'azathioprine et de 1 à 1,5 mg/kg/j pour la 6-MP. On peut l'administrer d'emblée et une prise unique journalière est possible. Les posologies inférieures ne le sont pas ou beaucoup moins et doivent donc être réservées aux cas individuels où elles sont imposées par la tolérance. Mieux vaut arrondir la dose à l'échelon supérieur qu'à l'échelon inférieur.

Le déficit génétique en thiopurine-méthyl-transférase (TPMT) (déficit complet, mutation homozygote: 0,3 % de la population ; déficit partiel, hétérozygote, 11 %), augmente l'efficacité mais aussi la toxicité de l'azathioprine/6-MP. On peut le rechercher par mesure de l'activité de cette enzyme ou génotypage. Le déficit complet contre-indique les analogues des purines et on débute habituellement la dose à 50 % en cas de dé­ficit partiel. La mesure systématique de cette enzyme avant tout traitement, ne fait pas l'objet d'un consensus pour trois raisons [2] : 1) La cor­rélation entre toxicité et déficit en TPMT est imparfaite (l'absence de déficit ne garantit pas l'absence de risque hématologique) ; 2) difficultés d'organisation et non prise en charge ; 3) rareté du déficit total. Ceux qui, comme moi, ont un accès facile à cette mesure, y voient une possi­bilité de réduire un risque rare mais identifiable dans certains cas. L'association aux amino-salicylés ne pose dans l'immense majorité des cas aucun problème et peut donc être utilisée (notamment dans la RCH).

Les réactions d'intolérance (5 à 10 % des cas) surviennent essentiellement dans le premier mois et peuvent comporter : fièvre, arthralgies, myal­gies, éruption cutanée (y compris érythème noueux), malaise général, hypotension (exceptionnel), nausées, vomissements, diarrhée (parfois profuse), hépatite aiguë et pancréatite aiguë (3 %) [2]. L'azathioprine/6-MP diminue progressivement les leucocytes, dont le taux sanguin se stabilise en moyenne à 50 % de sa valeur initiale en 6 mois ; il existe une baisse parallèle des diverses sous-populations lymphocytaires et des polynucléaires neutrophiles. En général, les autres lignées sanguines sont peu modifiées, à l'exception d'une macrocytose (bénigne). La toxi­cité hépatique est rare (environ 1 %) et peut s'exprimer sous forme d'une hépatite aiguë cytolytique, d'une péliose ou une hyperplasie nodu­laire régénérative, ou d'une cytolyse ou cholestase chronique.

La surveillance biologique systématique doit porter sur l'hémogramme et les enzymes hépatiques. Un hémogramme doit être fait avant le début du traitement. La surveillance est rapprochée durant les 4 premières semaines (tous les 7 jours) pour détecter une cytopénie précoce et sévère [6]. En cas de diminution rapide des leucocytes ou des plaquettes, le traitement doit être interrompu. Un déficit en TPMT doit être recherché avant toute tentative de réintroduction. La surveillance reste régulière par la suite (tous les mois jusqu'à stabilisation, puis tous les 3 mois), une cytopénie tardive restant possible tout au long du traitement. Si la baisse est modérée (leucocytes < 3 000/mL, polynucléaires < 1 500/mL, lym­phocytes < 500/mL ou plaquettes < 100 000/mL), une baisse de la posologie peut être suffisante ; dans les cas plus marqués, il est prudent (compte tenu de l'effet retardé du produit) d'arrêter le médicament et de tenter de le reprendre à dose moindre, ensuite, après correction de l'anomalie et étude de la TPMT. La surveillance hépatique comporte des tests au même rythme que la surveillance de l'hémogramme avec au minimum, un test de cytolyse (ALAT) et un test de cholestase (gamma-GT). La mesure des enzymes pancréatiques est en revanche inutile en dehors de symptômes, des anomalies mineures étant fréquentes et habituellement sans conséquences.

 

» Par le méthotrexate

Les mêmes mesures que celles avec les analogues des purines doivent être prises. Il convient en outre d'éliminer une grossesse et d'informer sur la contraception nécessaire dans les deux sexes [8]. La posologie initiale est d'une injection d'une ampoule à 25 mg une fois par semaine au début ; elle peut par la suite (après 3 mois par exemple) être diminuée à 20 ou 15 mg/semaine [10]. La voie orale semble moins efficace, peut-être du fait d'une mauvaise absorption. Certains experts recommandent l'adjonction d'un traitement oral par acide folinique (5 à 10 mg/j) sauf le jour de l'injection de méthotrexate afin d'essayer d'améliorer la tolérance. Attention aux interactions médicamenteuses, notamment avec le Bactrim (sulfamethoxazole-trimetoprime). Le rythme et la nature du suivi biologique systématique sont les mêmes qu'avec les analogues des pu­rines.

 

» Par la ciclosporine

En dehors des contre-indications aux IS en général, il faut savoir tenir compte de 3 éléments (souvent perturbés dans cette situation d'urgence) : la fonction rénale, la magnésémie, et la cholestérolémie [9]. L'insuffisance rénale est une contre-indication. L'hypomagnésémie < 15 mg/l né­cessite une traitement par magnésium IV. L'hypocholestérolémie est fréquente (due à l'entéropathie exsudative) et augmente le risque de convul­sions sous ciclosporine. Les propositions médicales pour tenter de faire remonter la cholestérolémie varient selon les médecins (non validées) et consistent souvent en une surcharge en beurre voire des perfusions lipidiques.

Par voie veineuse, la posologie initiale recommandée de ciclosporine est désormais de 2 mg/kg/j IV en continu à la seringue électrique sur 24 heures. Cette dose est aussi efficace que la posologie de 4 mg/kg/j. La posologie est ensuite adaptée en fonction des résultats des dosages de ciclosporinémie. Les taux sanguins cibles sont de 200 ± 50 ng/ml. Ce traitement IV dure en général de 3 à 14 jours puis la ciclosporine est ad­ministrée per os . La surveillance doit être étroite (pression artérielle, créatininémie, bilan hépatique, cholestérol, ciclosporinémie).

Certains se posent la question d'alléger le niveau d'immunosuppression en arrêtant les corticoïdes chez les malades corticorésistants ; cepen­

dant à ce jour, l'association de corticoïdes et de ciclosporine est recommandée [6]. Le passage à la voie orale se fait habituellement comme suit [9] : la ciclosporine IV est arrêtée le soir à 20 h. Le lendemain matin, le Néoral® est débuté à la dose de 5 mg/kg. La gélule peut être avalée intacte ou mâchée avec un grand verre d'eau. La solution buvable doit être diluée dans un grand verre (en verre) de boisson froide (chocolat, lait, cola, jus d'orange) mais jamais dans du jus de pamplemousse. La toxicité du schéma thérapeutique de triple immunosuppression étant importante (notamment risque d'infections opportunistes), certains ont recours (les recommandations françaises ne sont pas ici formelles cependant) à des aérosols de pentamidine tous les mois ou au triméthprime sulfaméthoxazole per os [6].

R. JIAN

RÉFÉRENCES

•  1. Nielsen OH, Vainer B, Rask-Madsen J. Review article: the treatment of inflammatory bowel disease with 6-mercaptopurine or azathioprine. Aliment Pharmacol Ther 2001; 15: 1699-708.

•  2. Dubinsky MC. Azathioprine, 6-mercaptopurine in inflammatory bowel disease: pharmacology, efficacy, and safety. Clin Gastroenterol Hepatol 2004; 2: 731­ 43.

•  3. Sandborn W, Sutherland L, Pearson D, et al. Azathioprine or 6-mercaptopurine for inducing remission of Crohn's disease. Cochrane Database Syst Rev 2000: CD000545.

•  4. Feagan BG, Fedorak RN, Irvine EJ, et al. A comparison of methotrexate with placebo for the maintenance of remission in Crohn's disease. North American Crohn's Study Group Investigators. N Engl J Med 2000; 342: 1627-32.

•  5. Alfadhli A, McDonald J, Feagan B. Methotrexate for induction of remission in refractory Crohn's disease. Cochrane Database Syst Rev 2003; (1): CD003459.

•  6. Marteau Ph, Seksik P, Beaugerie L, Bouhnik Y, Reimund JM, Gambiez L, Flourié B, Godeberge Ph. Recommandations pour la pratique clinique pour le trai­tement de la rectocolite hémorragique. Gastroenterol Clin Biol 2004; 28(10 Pt 2): 955-60.

•  7. Stange EF, Modigliani R, Pena AS, et al. European trial of cyclosporine in chronic active Crohn's disease: a 12-month study. The European Study Group. Gastroenterology 1995; 109: 774-82.

•  8. Couve S, Seksik P, Elefant E, et al. Maladies inflammatoires chroniques de l'intestin et grossesse. Gastroenterol Clin Biol 2003; 27: 618-26.

•  9. Bouhnik Y, Alves A, Beau P, Carbonnel F, Lévy P. Traitement de la rectocolite ulcéro-hémorragique dans sa forme grave. Gastroenterol Clin Biol 2004; 28 (10 Pt 2): 984-91.

•  10. Carter MJ, Lobo AJ, Travis SP; IBD Section, British Society of Gastroenterology. Guidelines for the management of inflammatory bowel disease in adults. Gut 2004; 53 Suppl 5: V1-16.

•  11. Markowitz J, Grancher K, Kohn N, et al. A multicenter trial of 6-mercaptopurine and prednisone in children with newly diagnosed Crohn's disease. Gastroenterology 2000; 119: 895-902.

•  12. Ardizzone S, Maconi G, Sampietro GM, et al. Azathioprine and mesalamine for prevention of relapse after conservative surgery for Crohn's disease. Gastroenterology 2004; 127: 730-40.

•  13. Hanauer SB, Korelitz BI, Rutgeerts P, et al. Postoperative maintenance of Crohn's disease remission with 6-mercaptopurine, mesalamine, or placebo: a 2­year trial. Gastroenterology 2004; 127: 723-9.

•  14. Cosnes J, Nion-Larmurier I, Beaugerie L, et al. Impact of the increasing use of immunosuppressants in Crohn's disease on the need for surgery. Gut 2005; 54: 237-41.

•  15. Beaugerie L, Gendre JP, Cosnes J. Peut-on identifier précocement les maladies de Crohn bénignes? Gastroenterol Clin Biol 2004; 28 Hors série I: A9 (ré­sumé).