Foie gras non alcoolique: prise en charge

Objectifs pédagogiques

– Savoir évoquer une NASH;

– Savoir la diagnostiquer et savoir la traiter.

Introduction

Les stéatopathies hépatiques non alcooliques (FGNA pour foiegras non alcoolique) sont probablement les plus fréquentes des maladieschroniques du foie en Occident. Elles comportent, par l’intermédiaire d’unemaladie inflammatoire et fibrosante, la stéatohépatite non alcoolique (NASH),un risque faible mais certain d’évolution fibreuse, vers la cirrhose et lecarcinome hépatocellulaire; surtout elles témoignent d’un risque métaboliquegénéral lié principalement à l’existence d’une insulinorésistance dont ellespourraient être un marqueur épidémiologique plus sensible que le syndromemétabolique. Enfin, elles peuvent s’associer à d’autres causes de maladieschroniques du foie en aggravant leur pronostic.

Cet article ne concerne que les aspects cliniques des NASH; les concepts physiopathologiques actuels sont clairement exposés dans au moins deux revues récentes [1, 2) auxquelles le lecteur est renvoyé.

Circonstancesde découverte

La découverte d’une augmentation des transaminases en l’absencede symptôme est la circonstance la plus fréquente. Une fois éliminés l’alcool,les hépatites virales et la surcharge en fer, le FGNA en est la causeessentielle [3, 4]. Une augmentation de l’échogénicité du foie («foiebrillant») témoignant quasi constamment d’une FGNA, est observée chez 15% desadultes en Italie du Nord [5], et peut faire découvrir la maladie.

La maladie est beaucoup plus rarement découverte au stade de cirrhose. Dans ce cas, le diagnostic repose sur l’élimination des autres causes, et l’existence présente, mais parfois seulement passée, d’une obésité, d’un diabète ou d’autres éléments du syndrome métabolique; la prévalence de ces facteurs de risque métaboliques est identique dans les cirrhoses cryptogénétiques et le FGNA, et plus élevée que dans les cirrhoses d’autres causes [6, 7]. La stéatose peut régresser avec le temps, rendant la cirrhose plus anonyme encore [8], même si, sur les foies explantés lors de la transplantation, des lésions actives de NASH sont encore présentes une fois sur 3 [9].

Exceptionnellement, la présentation est celle d’une insuffisance hépatique subaiguë grave, révélant, à l’occasion d’un facteur déclenchant non identifié, une cirrhose préexistante [10, 11].

Examen clinique

La plupart des malades sont asymptomatiques, ou ne seplaignent que d’une gêne intermittente de l’hypocondre droit [12,13]. Unehépatomégalie (classiquement molle) est possible, des signes d’insuffisancehépatique chronique et/ou d’hypertension portale exceptionnels.

La majorité des malades atteints de FGNA ont un excès pondéral (IMC>25 kg/m2), et plus d’un tiers ont un syndrome métabolique [14] (Tableau I); trois quarts des patients minces (IMC<25 kg/m2) ont au moins 1 critère du syndrome métabolique [14]. C’est l’adiposité abdominale et non la surcharge pondérale globale qui détermine le plus fortement le risque à la fois du syndrome métabolique, de l’insulinorésistance, et de lésions hépatiques sévères (NASH, fibrose); comme il en est de même pour le risque d’infarctus du myocarde où que l’on vive dans le monde [15], il faut mesurer au moins le tour de taille, et au mieux le rapport tour de taille sur tour de hanches [16, 17].

Le tour de taille est associé indépendamment à unaccroissement du risque cardiovasculaire en prévention primaire (OR 2,3 dansl’étude des infirmières américaines pour la maladie coronaire), secondaire (à 5ans après un accident cardiovasculaire OR 1,23 pour l’infarctus du myocarde;1,38 pour l’insuffisance cardiaque; 1,17 pour la mortalité toutes causesindépendamment de l’indice de masse corporelle), et à un OR de 1,77 pourl’infarctus du myocarde dans la grande étude internationale INTERHEART [15,18].

Un centimètre de couturière doit donc faire partie des outils de l’hépatologue (son stéatoscope!) ainsi qu’un tensiomètre. En fait, l’existence d’une FGNA témoigne de l’existence d’une insulinorésistance avec une sensibilité et une spécificité plus grande que celle des critères classiques du syndrome métabolique [19], au moins chez les malades qui ne sont ni diabétiques ni obèses.

Examens biologiques

L’hémogramme est normal, la baisse des plaquettes augmentantla suspicion de fibrose sévère, une macrocytose franche celle d’une maladiealcoolique.

L’élévation des transaminases est habituellement modérée (< 5N), et prédomine sur l’ALAT, une élévation supérieure de l’ASAT indiquant habituellement l’existence de lésions fibreuses. L’activité des transaminases fluctue, et se trouve dans les limites des valeurs normales au moins une fois chez les trois quarts des malades ayant des transaminases initialement augmentées au cours du suivi [20]. L’éventail complet des lésions de FGNA a été observé chez des malades ayant des transaminases considérées comme normales [21] (en fait relativement élevées). Le seuil de «normalité» des transaminases a été récemment rediscuté, notamment en ce qui concerne les FGNA, et un abaissement de la limite supérieure des valeurs normales (30 UI/L chez l’homme, 20 UI/L chez la femme) a été conseillé [19, 22]. De plus, dans les grandes études épidémiologiques à base de population, la valeur des transaminases apparaît comme un facteur de risque continu [19], sans seuil.

La gamma-glutamyl transpeptidase peut être normale ou modérément élevée (beaucoup moins, à lésions comparables, que dans les maladies alcooliques).

Les phosphatases alcalines seraient modérément augmentées (<2N) dans 1/3 à 2/3 des cas, rarement isolément [12, 13].

Une hyperglycémie à jeun, une hypertriglycéridémie, une hypo-HDLémie, une hyper-LDLémie doivent être recherchées (Tableau I).

Une hyperferritinémie est observée dans 20 à 50% des cas, et une augmentation de la saturation de la transferrine dans 5 à 10% des cas; une hétérozygotie pour la mutation C282Y du gène HFE semble plus fréquente dans cette dernière situation [23, 24]. A l’inverse, en cas d’«hépatosidérose dysmétabolique» [25], il existe une stéatose dans la moitié des cas, et une fibrose sévère ou une cirrhose dans 12% des cas. Les IgA sériques seraient élevées dans 25% des cas [2].

La présence d’anticorps anti-noyau et/ou anti-muscle lisse est assez banale en cas de NASH; cependant, dans une série de 225 NASH biopsiées, 8% des malades ayant des auto-anticorps avaient aussi des signes histologiques d’hépatite auto immune [26].

Imagerie

L’échographie est un excellent moyen de dépistage. Lastéatose augmente l’échogénicité du foie, le rendant plus échogène que le reinou la rate adjacents; un aspect similaire avec une échostructure plus grossièrecependant, peut être observé en cas de fibrose [27], et aussi de granulomatose.La sensibilité de l’échographie (60-94%) dépend essentiellement de l’intensitéde la stéatose : 80% pour une stéatose de plus de 30%, 55% pour unestéatose de moins de 20%. Les performances diagnostiques sont égalementdiminuées par l’obésité morbide [13]. La reproductibilité inter et même intraobservateur n’est pas excellente, ni pour la présence, ni pour l’intensité dela stéatose, les taux de concordance ne dépassant guère 60% [28].

La tomodensitométrie a une bonne sensibilité (93%) pour détecter une stéatose de plus de 33%. Des aspects pseudo tumoraux peuvent être observés en cas de stéatose de disposition irrégulière (îlot de foie sain non stéatosique, plus souvent que plage de stéatose dans un foie sain [29]).

La spectroscopie par résonance magnétique a récemment permis d’estimer à 5,5% la limite supérieure de la quantité de triglycérides normalement présente dans le foie de sujets sains [30]. L’IRM utilisant le contraste de phase est peut-être l’examen idéal (objectif, quantitatif, non irradiant), mais coûteux [31, 32].

Diagnostic

Une fois éliminées les autres causes d’hypertransaminasémie,si l’on est dans un contexte métabolique évocateur, que l’échographie montre unfoie brillant, et qu’il n’existe pas d’autre cause (Tableau II [2, 33]) destéatose (notamment de consommation d’alcool arbitrairement définie commesupérieure à 20g/j chez la femme et 30g/j chez l’homme [34]), la biopsie n’estsans doute pas indispensable pour affirmer le diagnostic.

Chez les malades qui ne sont ni obèses ni diabétiques, et qui n’ont pas les critères nécessaires au diagnostic de syndrome métabolique (Tableau I), il est raisonnable de déterminer le score HOMA-IR (ou QUICKI), qui ne nécessitent qu’une détermination simultanée de la glycémie et de l’insulinémie après 12 heures de jeûne [35, 36]; la démonstration d’une insulinorésistance apporte un élément essentiel au diagnostic (Tableau III). Le Stéatotest® [37] pourrait également améliorer la sagacité du clinicien. Cependant, le diagnostic clinique de NASH basé sur la biologie et l’imagerie serait erroné dans 17 à 47% des cas [38, 39], expliquant pour certains, un recours encore large à la biopsie hépatique diagnostique [2, 13], peu raisonnable cependant en raison de la fréquence très grande de la maladie, de l’absence fréquente de réelles difficultés diagnostiques, et de la morbi-mortalité du geste [40].

Biopsie hépatique

Les lésions élémentaires – stéatose macrovacuolaire,inflammation lobulaire et/ou portale, nécrose ou apoptose hépatocytaire,fibrose péricellulaire, périsinusoïdale, péricentrale, portale, ponts fibreux,prolifération néoductulaire, sont les mêmes que dans la maladie alcoolique dufoie. Les lésions prédominent généralement dans la zone centrolobulaire. Unscore lésionnel «consensuel» a été récemment proposé [41]. Comme c’est hélassouvent le cas, il est un peu compliqué, sa reproductibilité (surtout en ce quiconcerne la ballonisation et l’inflammation) n’est pas très bonne; de plus, leslésions ne sont pas réparties de façon homogène dans le foie [42, 43]. On aimeraitbien que des pathologistes français s’y mettent avec la même ardeur quiengendra METAVIR [40], pour faire naître un score aussi simple et reproductible(«METAGRA»? ) qui pourrait sans doute être commun à toutes les stéatopathieshépatiques. En clinique individuelle, une description sémiologique précise deslésions élémentaires, plus qu’une quantification aléatoire, doit êtresuffisante pour répondre à 4 questions : la stéatose est-elle pure ou non?Quelle est l’activité nécrotico-inflammatoire? Quel est type et le degré defibrose? Y a-t-il des lésions associées?

Peut-on prédirela sévérité des lésions sans biopsie?

Les variables associées à la présence (ou au développement)de la fibrose dans le FGNA sont l’âge, le sexe, l’IMC, le rapport tour detaille sur tour de hanches, l’activité des ALAT, le rapport ASAT/ALAT, lesplaquettes, la bilirubine, la ferritine, la saturation de la transferrine,l’albumine, le syndrome métabolique lui-même et les témoins del’insulinorésistance (diabète, HTA, HOMA-IR, QUICKI, HGPO, syndromemétabolique, hypertriglycéridémie, hyperlipidémie, adiponectine, leptine), desmarqueurs directs de fibrose (acide hyaluronique, TIMP1, laminine, collagèneIV, PIIINP), les IgA, et divers autres plus confidentiels [44].

Le niveau de fibrose qu’on cherche à prédire est la question majeure : s’agit‑il de dépister la cirrhose, pour prendre en charge la prévention de ses complications? Ou veut-on dépister une fibrose «significative» qui pourrait intensifier une prise en charge thérapeutique qui n’a actuellement rien de spécifique à l’atteinte hépatique?

En pratique, il faut clairement tenir compte dans le jugement clinique de l’âge, et du sexe (en dehors de cause associée de maladie chronique du foie, le risque de cirrhose est quasiment nul avant 45 ans), de l’intensité du syndrome métabolique et/ou de l’insulinorésistance, tenir compte d’anomalies même «minimes» du TP, des plaquettes, de la bilirubine, des IgA. On peut sans doute utiliser le dosage de l’acide hyaluronique : dans une étude publiée sans population de validation, au seuil de 46 µg/L, la valeur prédictive négative de fibrose significative était de 96%, avec une prévalence de fibrose F3F4 de 25%. Dans le travail de Lainé et al. [45], mené chez 173 malades ayant des transaminases augmentées et des éléments du syndrome métabolique, avec 24% de fibrose hépatique significative, l’acide hyaluronique (au seuil de 35 µg/L), combiné au rapport transferrine désialylée/transferrine totale (au seuil de 0,9) avait une aire sous la courbe pour le diagnostic de fibrose F3F4 de 0,92.

L’équipe de la Pitié a validé son Fibrotest® dans les FGNA sur une population de 170 malades suspects de FGNA (fibrose significative 24%), 97 malades avec stéatose provenant d’une étude multicentrique française basée sur l’augmentation des transaminases (fibrose significative 15%) et 954 donneurs de sang [46]. L’aire sous la courbe pour la fibrose significative (F2F3F4) était de 0,86 et 0,75 dans les deux populations; un Fibrotest® <0,30 avait une valeur prédictive négative de 90% avec une sensibilité de 77%; supérieur à 0,70, il avait une valeur prédictive positive de 73% avec une spécificité de 98% [46].

A partir de 733 malades ayant une FGNA (tous avaient des transaminases «élevées») biopsiés aux USA, en Angleterre, en Australie et en Italie, un modèle a été construit à partir de 480 malades puis validé sur les 253 autres; ce «NAFLD Fibrosis Score» [47] peut être calculé comme suit : -1,675 + 0,037  age (années) + 0,094  IMC (kg/m2) + 1,13  diabète (Oui 1, Non 0) + 0,99 x AST/ALT -0,013  plaquettes (x109/L) – 0,66  albumine (g/dL). Au dessous du seuil de – 1,455 il n’y avait pas de fibrose >F2 (VPN 93/88%), et au-delà de 0,676 les malades avaient une fibrose F3 ou F4 (VPP 90/82%); seuls 25% des malades avaient un score intermédiaire («indéterminé») [47].

Les performances du Fibroscan® dans le FGNA ne sont pas encore claires : on s’attend à ce que la dureté du foie soit diminuée par la stéatose et augmentée par la fibrose. L’obésité est le seul facteur significativement lié à l’échec technique de la mesure (OR 10 pour un IMC > 28 kg/m2) [48]; de plus, il a été récemment montré que la reproductibilité de la mesure était significativement plus faible en cas de stéatose et d’obésité [49].

On dispose donc d’outils assez performants pour exclure une fibrose significative et exclure une fibrose sévère, et réduire les indications de la biopsie. La validité des mesures non invasives pour la surveillance de l’évolution reste à établir.

Histoire naturelle, complications

Une des observations suggérant que le FGNA n’est pasune condition si bénigne est qu’elle est fréquente (70% des cas) en cas denon fonction primaire du greffon hépatique, et également en cas de rejet [50].

L’histoire naturelle du FGNA est mal connue, parce qu’on dispose surtout d’assez courtes séries provenant de centres tertiaires, et d’une seule étude en population générale [52]. Pour les malades hospitalisés pour FGNA, la mortalité est quintuplée par rapport à la population générale [51]; un sur 5 avait une cirrhose au moment du diagnostic, et le taux de décès brut était de 9% à 8 ans. Dans l’étude rétrospective (sur 20 ans, avec un suivi moyen de 7,6 ans) menée en population générale dans le comté d’Olmstedt, le risque absolu de décès par maladie du foie, chez 420 malades diagnostiqués en moyenne à 49 ans était augmenté par l’âge, la présence d’un diabète et d’une cirrhose [52], et la mortalité globale augmentée de 34% (SMR : 1,34), et de 55% pour les malades suivis plus de 10 ans (les malades les plus anciennement diagnostiqués avaient une maladie hépatique plus sévère, et l’essentiel de la mortalité hépatique cantonnée aux malades qui avaient d’emblée une fibrose sévère). Les principales causes de décès étaient des cancers chez 28% (hors carcinome hépatocellulaire), des maladies cardiovasculaires chez 35%, des maladies du foie chez 13% (21 cirrhoses (5%) dont 13 (3,1%) compliquées avec 1 transplanté et 2 carcinomes hépatocellulaires), une infection chez 11% [52].

Même si elles ne sont pas très nombreuses, on dispose de bonnes études pour monter que l’évolution de la stéatose non alcoolique pure est, sur le plan hépatique, bénigne : sur 244 malades biopsiés suivis jusqu’à 21 ans après le diagnostic, seuls 3 ont progressé vers la cirrhose, et 1 seul est mort du foie [51, 53, 54, 55]. En revanche, en cas de NASH, jusqu’à 11% des malades pourraient développer une cirrhose [8, 51, 53, 55]. Dans une étude suédoise [55] où les malades n’avaient été initialement vus «que» pour une augmentation des transaminases, 2/3 des malades – âgés de 55 ans en moyenne – avaient initialement une NASH (dont 4/71 une cirrhose) : la mortalité hépatique (cirrhose et carcinome hépatocellulaire) était de 2,8% à 14 ans, la mortalité cardiovasculaire de 15,5%, toutes deux significativement supérieures à celles d’une population de référence; ce n’était pas le cas chez le tiers des malades ayant une stéatose pure. Chez 68 malades sans cirrhose initiale et rebiopsiés plus de 10 ans après le diagnostic, la fibrose s’était aggravée chez 29 (41%), était inchangée chez 30 malades (43%), et avait régressé chez 11 (16%); le seul facteur prédictif initial était l’existence d’une fibrose portale (VPP 18%, VPN 100%). Au moment de la seconde biopsie, les malades dont la fibrose s’était aggravée avaient des transaminases plus élevées, une prise de poids plus grande, une insulinorésistance plus marquée, une stéatose plus sévère [55]. Dans l’étude de la Mayo Clinic, portant sur 102 malades rebiopsiés en moyenne après 3,2 ans, le taux de progression de la fibrose était semblable (37%), mais les malades initialement plus sévères [56].

Une fois la cirrhose constituée, l’évolution semble moins sévère que celle de malades ayant une cirrhose virale C (38-40% de complications [57, 58] et une mortalité hépatique de l’ordre de 5% à 10 ans, avec une incidence plus faible de carcinome hépatocellulaire, de l’ordre de 7%, mais une mortalité cardiovasculaire plus élevée (5%).

L’existence d’un diabète sucré est un facteur de risque de carcinome hépatocellulaire bien établi avec des OR significatifs entre 1,3 et 5 [59, 60]. La plupart des cas de carcinome hépatocellulaire rapportés dans le FGNA sont survenus chez des malades ayant une cirrhose, que souvent ils révélaient [59], et ont été souvent diagnostiqués à un stade avancé. L’équipe de Beaujon [61] a récemment rapporté une série de 27 cas de carcinomes hépatocellulaires opérés chez des malades dont le seul facteur de risque observé était un syndrome métabolique; 26 étaient des hommes âgés en moyenne de 68 ans; les tumeurs étaient grosses, et une fibrose sévère ou une cirrhose n’étaient présentes que dans 37% des cas. Il est donc probable que 2 grands mécanismes de carcinogenèse, non exclusifs, sont à l’œuvre : la cirrhose elle-même, et des phénomènes métaboliques liés à l’insuline elle-même, à l’IGF-1, à l’augmentation de la prolifération et à l’inhibition de l’apoptose dans le foie gras, et peut être à l’activation chronique de PPAR

FGNA : un facteur aggravant (réciproque) des autres maladiesdu foie?

L’existence de lésions histologiques de stéatose, voire deNASH et/ou la présence d’une surcharge pondérale ou d’un syndrome métabolique aété observé en cas de maladie alcoolique du foie [62], d’hépatite chronique C(en dehors de la stéatose spécifiquement virale liée au génotype 3) [63],d’hépatite chronique B [64], d’hémochromatose [65]. Plus encore, l’existenced’une surcharge pondérale et/ou d’une insulinorésistance est un facteur derésistance au traitement antiviral de l’hépatite C [63]. Enfin, dans une petiteétude non contrôlée, une réduction pondérale modeste obtenue en 3 mois parrégime et exercice a été associée à une amélioration de l’activité desaminotransférases, de la stéatose et de la fibrose chez la majorité des malades[66].

Même (et surtout) en l’absence de biopsie du foie dans toutes ces maladies, il faut donc rechercher chez tous les malades du foie les éléments du syndrome métabolique, peut être systématiquement faire un test HOMA-IR, et essayer de traiter le FGNA soit simultanément (alcool) soit prioritairement (hépatite C) pour améliorer à la fois les lésions et l’efficacité éventuelle du traitement spécifique.

Traitement

Les buts instinctifs d’un hépatologue normalement constituésont de prévenir les maladies du foie, de les faire régresser quand ellesexistent, de réduire leurs complications pour in fine réduire leur mortalitéspécifique et améliorer la qualité de vie des patients; il est cependantessentiel que cela ne se fasse pas au prix d’une augmentation du risque decomplications extra hépatiques plus ou moins prévisibles tenant au contextepathologique (particulièrement riche et complexe en cas de syndrome métabolique[Tableau III]) ou aux effets délétères des traitements eux-mêmes. Ces risquessont particulièrement élevés en cas de FGNA, et l’utilisation de «surrogatemarkers» (de marqueurs de substitution) à des critères cliniques robustesrisque toujours à la fois de faire surestimer l’utilité d’un nouveaumédicament, et de mal apprécier le rapport bénéfice/risque, comme l’affaire dela rosiglitazone l’a récemment montré [67].

Il faut que le traitement du FGNA soit bon pour le foie, mais aussi bon (ou au moins pas mauvais) pour le syndrome métabolique, pour les complications cardiovasculaires (et l’excès de cancer) et finalement, pour la survie.

» Régimeet exercice physique

Le but actuel du traitement du FGNA est d’obtenir une pertede poids modeste [68], et tout particulièrement une réduction de l’obésitéabdominale, en combinant des mesures diététiques et une augmentation del’activité physique [69]. Qu’elle soit obtenues par une modification du «stylede vie» ou, à l’extrême, par la chirurgie bariatrique, elles améliorentl’insulinorésistance, font régresser la stéatose, les lésions hépatocytaires,l’inflammation et la fibrose [69] – même si les effets sur l’histologie sontvariables [70] –, préviennent le diabète et les complicationscardiovasculaires, et, finalement sont coût-efficaces, à conditiond’interventions «intensives» et pas seulement d’une consultation semestrielleassociée à une conversation téléphonique mensuelle [71, 72].

Le type même du régime restrictif pourrait être discuté. Le classique régime hypocalorique hypolipidique, a montré son efficacité dans le traitement du syndrome métabolique et la prévention du diabète de type II chez les sujets à haut risque [73, 74]. Cependant, c’est plus un excès glucidique (et singulièrement de glucides à forte valeur glycémique [75,76]) qui est associé au syndrome métabolique et à la sévérité des lésions de FGNA [77] et une restriction glucidique prédominante pourrait être plus efficace sur le syndrome métabolique. Enfin, la modification vers un régime de type méditerranéen incluant une augmentation de la ration de fruits et légumes, des glucides lents et de l’huile d’olive est également efficace dans le syndrome métabolique (auquel ce régime est négativement associé dans les études épidémiologiques) [78].

La perte de poids est habituellement associée à l’amélioration des aminotransférases, mais les effets sur les lésions histologiques sont plus discutés [2]; il a été suggéré qu’une perte de poids trop rapide pouvait être associée à une aggravation de l’inflammation hépatique [79]. Une perte de poids de 10% est la cible habituellement définie, au rythme de 0,5 à 1 kg/ semaine, mais même un amaigrissement de 3% peut améliorer la tolérance glucidique et la sensibilité à l’insuline [2].

Le rôle bénéfique de l’exercice physique est généralement accepté, qu’il s’agisse d’un exercice intermittent ou quotidien, et l’activité physique quotidienne améliore l’insulinorésistance [2, 80]. En fait, il s’agit plus de réaugmenter une activité physique anormalement basse dont témoigne notamment le temps passé devant des écrans de télévision [80].

Le temps passé devant la télévision (et maintenant les écrans d’ordinateurs ou de consoles de jeu) a augmenté parallèlement à l’épidémie d’obésité; son effet délétère (en plus des ravages culturels! ) tient sans doute à la fois à la diminution de la dépense énergétique, mais aussi à l’augmentation des ingesta (grignotage) et à leur qualité (très calorique) [80]. Il a même été observé que le fait de regarder la télévision pendant un repas familial changeait la composition de celui-ci, en l’appauvrissant en légumes et en fruits (sans doute plus difficiles à manger sans regarder ses mains et quitter l’écran de vue! Le temps passé devant la télévision est associé au syndrome métabolique, indépendamment de l’activité physique [80, 81]. Des programmes efficaces de rééducation ont été développés pour les enfants. Cette piste n’a pas encore été explorée chez l’adulte [83].

» Les médicaments

L’utilité de traitements médicamenteux spécifiques au FGNAn’est pas clairement établie, soit parce que les essais contrôlés convaincantsmanquent, soit parce que la preuve d’un rapport bénéfice-risque favorable surune période de temps suffisamment longue n’a pas été apportée.

L’efficacité des 3 médicaments actuellement disponibles dans le traitement de l’obésité a été récemment revue [84]. Dans une métaanalyse des essais contrôlés menés pendant au moins 1 an contre placebo (un régime restrictif et une injonction à l’activité physique étant simultanément appliqués aux 2 bras), l’orlistat (un inhibiteur de la lipase) réduisait le poids de 2,9 kg (IC 95% 2,5-3,2) et le tour de taille de 2,1 cm (IC 95% : 1,3-2,9), la sibutramine (un inhibiteur central de la recapture des monoamines) réduisait le poids de 4,2 kg (IC 95% 3,6-4,7) et le tour de taille de 4 cm (IC 95% 3,3-4,7), et le rimonabant (un antagoniste des récepteurs endocannabinoïdes de type 1) réduisait le poids de 4,7 kg (IC 95% : 4,1-5,3), et le tour de taille de 3,9 cm (IC 95% 3,3-4,5). Le taux de sortie d’essai était élevé (30-40%!). Les 3 médicaments permettaient plus souvent que le placebo une réduction pondérale supérieure à 5 et à 10%. L’orlistat réduisait l’incidence du diabète et améliorait le cholestérol total et le LDL cholestérol, la pression artérielle et le contrôle glycémique chez les diabétiques, au prix d’effets secondaires digestifs (diarrhée principalement) et d’une discrète diminution du HDL cholestérol. La sibutramine augmentait le HDL cholestérol, diminuait les triglycérides mais augmentait la pression artérielle et le rythme cardiaque. Le rimonabant enfin, améliorait le HDL cholestérol, les triglycérides, la pression artérielle, le contrôle glycémique chez les diabétiques mais augmentait le risque d’effets délétères sur l’humeur [85, 86]. De ces 3 médicaments, seuls l’orlistat a été utilisé dans la FGNA, mais de façon non contrôlée [87].

Enfin, l’observance est un problème particulièrement ardu dans le traitement médicamenteux de l’obésité, avec un taux d’abandon pouvant dépasser 95% après 18 mois dans la vraie vie [88].

Les médicaments de l’insulinorésistance actuellement disponibles sont la metformine, les glitazones (des agonistes de PPAR