Traitement palliatif des carcinomes hépatocellulaires

Objectifs pédagogiques

– Connaître les indications, les moyens thérapeutiques,leurs résultats et leurs complications.

Résumé

Lors du diagnostic de CHC, près de 60% des malades ne pourront bénéficier d’un traitement curateur. Le pronostic est dans ce cas là défavorable avec une survie médiane spontanée inférieure à 16 mois. Le traitement palliatif repose sur la chimio-embolisation qui est réservée aux tumeurs non métastatiques et qui du fait de sa toxicité ne peut être administrée qu’à des patients sélectionnés (bon état général, fonction hépatique préservée). Aucun traitement systémique n’a fait la preuve de son efficacité jusqu’à l’arrivée en 2007 du sorafenib, un inhibiteur multicible de tyrosine kinases qui augmente significativement la survie globale des patients en traitement palliatif du CHC. Le sorafenib devient le premier traitement systémique de référence des CHC en situation palliative et ouvre la voie à de nouvelles possibilités thérapeutiques (associations de traitements, nouvelles thérapies ciblées…).

Introduction

Le carcinome hépatocellulaire est la deuxième cause decancer digestif en France avec un nombre de nouveaux cas estimé à environ 6000par an [1]. Ce cancer survient essentiellement sur foie de cirrhose (plus de85% des cas), principalement d’origine alcoolique ou virale. D’autres facteurs(ou cofacteurs) de risques ont été identifiés de façon plus récente [2], enparticulier des éléments du syndrome dysmétabolique (obésité, diabète [3]), àl’origine d’un nombre croissant de CHC sur foie pathologique mais nonsystématiquement cirrhotique.

Les programmes de surveillance des cirrhoses et de dépistage des CHC mis en place permettent de détecter un plus grand nombre de CHC à un stade précoce de la maladie [4] et donc accessibles à un traitement potentiellement curateur (résection chirurgicale, destruction percutanée, transplantation hépatique). Cependant, environ 50 à 70% des cancers sont encore diagnostiqués tardivement et ne pourront recevoir qu’un traitement palliatif qu’il soit régional ou systémique. Malgré les nombreux essais cliniques réalisés, aucun traitement palliatif, n’a jusqu’en 2007, convaincu définitivement de son efficacité. L’arrivée des thérapies ciblées, les résultats positifs obtenus avec le sorafenib communiqués en juin 2007 modifient la situation. Ces traitements, associés aux progrès techniques de la radiologie interventionnelle, de la radiothérapie.., ouvrent de nouvelles perspectives qui seront exposées dans cette revue.

Classificationdes carcinomes hépatocellulaireset implicationdans la prise en charge

La compréhension de l’évolution naturelle des CHC etl’identification de facteurs pronostiques sont indispensables pour la prise encharge des malades. La complexité de la maladie et du traitement provient eneffet de la présence quasi systématique d’une perturbation sous-jacente desfonctions hépatiques.

Les principaux facteurs pronostiques sont maintenant bien identifiés. Il s’agit :

– Des caractéristiques tumorales définies par le nombre et la taille des nodules, la présence d’une invasion vasculaire macroscopique, l’existence de métastases extra-hépatiques, l’élévation de l’alpha-fœtoprotéine;

– Des travaux plus récents suggèrent que les caractéristiques histologiques des tumeurs (degré de différentiation, envahissement microvasculaire, présence de marqueurs potentiels de cellules souches dont la cyto-kératine 19 [5]) constituent des paramètres importants fortement prédictifs de l’évolution tumorale et du risque de récidive après traitement. Des classifications moléculaires, corrélées à l’étiologie mais également au potentiel évolutif des CHC [6] sont également développées et pourraient avoir un impact dans le choix des traitements dans les années à venir [7]. En conclusion, bien que le diagnostic de CHC puisse être porté de façon non invasive grâce aux examens radiologiques dynamiques, la place de la biopsie devra donc être reconsidérée dans la prise en charge thérapeutique.

– De la fonction hépatique sous-jacente définie par le score de Child-Pugh, l’albumine, la bilirubine et l’existence d’une hypertension portale. L’évaluation précise de l’hépatopathie sous-jacente et sa prise en charge sont des éléments essentiels à prendre en compte.

– De l’état général du patient défini par l’index ECOG / OMS et par la présence de symptômes liés à la masse tumorale.

La combinaison de ces divers paramètres est à l’origine de plusieurs classifications à visée pronostique [8]. Certaines d’entre elles ont été validées prospectivement dans plusieurs cohortes dont la classification du CLIP (Cancer Liver Italian Program) [9, 10] et la classification BCLC (Barcelona Cancer Liver Center) [11]. Cette dernière [12, 13] permet d’appliquer une stratégie thérapeutique relativement standardisée, recommandée par les sociétés savantes internationales : EASL (European Association for the Study of Liver Diseases) et AASLD (American Association for The Study of Liver Diseases).

Elle permet en effet de regrouper schématiquement les CHC en trois grandes catégories (schéma 1) :

– stade précoce (A) de la maladie pour lequel untraitement curateur peut être envisagé avec un effet bénéfique sur la survieglobale démontré pour la résection chirurgicale, les traitements percutanés etla transplantation hépatique. Il s’agit de patients avec une cirrhose compenséeet une tumeur unique de moins de 5 cm ou 3 nodules de moins de 3 cm (critèresdits de Milan). La survie globale à 5 ans atteint 50 à 70% [14];

– stade terminal (D) de la maladie caractérisé par une altération profonde de la fonction hépatique (Child C), et de l’état général (ECOG > 2) avec une médiane de survie spontanée de 3 à 4 mois pour lequel le traitement ne peut et ne doit être que symptomatique;

– stade intermédiaire-avancé de la maladie pour lequel un traitement curateur ne peut être envisagé et qui est donc la cible des traitements palliatifs. Ce stade est subdivisé en deux groupes :

• Stade intermédiaire (B) correspondant à une atteinte multifocale hépatique sans extension extra-hépatique, ni envahissement vasculaire, avec une fonction hépatique préservée (Child A ou B) et un bon état général (ECOG 0). La médiane de survie spontanée de ces patients est de 16 mois. Les traitements locorégionaux (dont la chimio-embolisation) constituent le traitement de première intention;

• Stade avancé (C) correspondant à des tumeurs en évolution extra-hépatique ou avec envahissement vasculaire macroscopique ou altération de l état général (ECOG 1-2). La survie spontanée des patients varie en fonction de la fonction hépatique sous-jacente de 6 (Child B) à 8 mois (Child A). Cette catégorie de malade ne peut en général bénéficier d’un traitement locorégional et relève donc en théorie, de traitements systémiques.

Cette classification a l’avantage d’orienter le traitement de façon simple. La frontière entre les différents groupes est cependant quelque peu artificielle et va se modifier avec l’amélioration des moyens de traitement. Ainsi, la frontière entre traitement curateur (stade A) et palliatif (stade B), élément capital pour la prise en charge et le pronostic, est extrêmement ténue. A titre d’exemple, les critères de transplantation classiques de Milan (moins de 3 nodules de moins de 3 cm ou nodule unique de moins de 5 cm) définissant les malades au stade A sont actuellement remis en cause par de nombreuses équipes qui proposent plusieurs modèles d’extension de ces critères [15]. Les progrès techniques tels que la radiofréquence multipolaire [16, 17], la chimio-embolisation hyper-sélective avec particules chargées de chimiothérapie [18] voire certaines techniques de radiothérapie conformationnelle [19] vont modifier la prise en charge en permettant le down-staging de tumeurs voire le traitement curateur de tumeurs volumineuses (> 5 cm).

Un des enjeux majeurs avant de débuter un traitement palliatif est donc de s’assurer de l’absence de possibilité de traitement curateur. Compte tenu des innovations techniques précédemment décrites, des modifications envisageables des critères de transplantation, il est donc indispensable au moindre doute que le dossier soit discuté en réunion multidisciplinaire comportant des hépatologues, des oncologues avec des intervenants experts dans le domaine de la chirurgie (dont la transplantation hépatique) et de la radiologie interventionnelle.

CHC intermédiaires : place des traitements régionaux(chimio-embolisation, radiothérapie métabolique)

La chimio-embolisation s’applique aux patients nonaccessibles à un traitement curateur (classiquement avec plus de 3 nodules de moinsde 3 cm ou un nodule de plus de 5 cm). Cette technique consiste à combinerl’injection d’un agent de chimiothérapie (en général anthracycline ou sel deplatine) suivie d’une obstruction artérielle ayant pour but de ralentir le fluxartériel (et donc d’efflux de chimiothérapie de la tumeur) et d’entraîner unenécrose tumorale. Ces traitements entraînent une nécrose tumorale chez lamajorité des patients (60% de réponses objectives). Cependant, le bénéfice surla survie globale reste controversé. En effet, malgré l’efficacité initiale,une reprise tumorale est souvent rapidement observée. D’autre part, lamorbidité de ce traitement est non négligeable chez le patient cirrhotique cequi peut retentir sur la survie. La démonstration de l’efficacité repose surdeux essais randomisés positifs [20, 21] et sur une méta-analyse [22] dont lesrésultats sont cependant fragiles. Une étude randomisée française plus récente[23] ne retrouve pas de bénéfice à la chimioembolisation dans une populationcomposée majoritairement de cirrhoses d’origine alcoolique avec des tumeurssymptomatiques dans 20% des cas et une altération de la fonction hépatique dans30% des cas.

L’ensemble des résultats suggère que la chimio-embolisation doit être réservée à des patients en bon état général, avec une fonction hépatique conservée, une fonction rénale normale, sans symptômes liés à la tumeur ni thrombose portale. Cette sous-population ne représente que 10 à 15% des patients avec un CHC.

La pratique de la chimio-embolisation est en train de se modifier avec le recours de plus en plus fréquent à des traitements hyper sélectifs (dans l’artère nourricière propre de la tumeur si possible) qui améliorent la tolérance du traitement. L’apport de nouvelles techniques (particules chargées avec de la chimiothérapie, avec un passage systémique minime) aux résultats prometteurs [18] pourraient amener à proposer la chimio-embolisation à des patients ayant des tumeurs plus volumineuses (> 5 cm) mais peu nombreuses (3 à 4 lésions au maximum). Ces traitements devront être évalués dans des essais thérapeutiques.

Le traitement par lipiocis (radiothérapie métabolique) est une alternative à la chimio-embolisation avec une efficacité voisine [24, 25]. Sa mise en œuvre est cependant lourde, ce qui limite son utilisation. Il est principalement indiqué en cas de CHC compliqué de thrombose portale (contre-indication de la chimio-embolisation). Cependant, son intérêt dans cette situation (impact sur la survie globale) n’est pas clairement validé dans de larges études. D’autres agents (Ytrium…) [26] sont en cours d’investigation.

» Traitement systémiquedes carcinomes hépatocellulaires

Le traitement systémique est indiqué par défaut en casd’impossibilité (ou d’échec) d’un traitement locorégional c’est-à-direessentiellement en cas de thrombose portale tronculaire et/ou d’extensionextra-hépatique ganglionnaire ou métastatique viscérale.

Sa mise en œuvre nécessite une fonction hépatique préservée (excluant les cirrhoses au stade C de Child) et un état général globalement préservé (ECOG < 3). Les patients cibles sont donc dans le groupe C de la classification BCLC.

De multiples traitements, cytotoxiques ou non, ont été testés chez ces patients depuis près de 30 ans sans faire la preuve de leur efficacité jusqu’en 2007 avec la publication de résultats concernant une thérapie ciblée : le sorafenib. Ces résultats marquent un tournant dans le traitement palliatif du CHC et ouvrent la voie à l’utilisation de nouvelles thérapies ciblées et à des associations thérapeutiques.

1980-2007 : échecs et incertitudes

De nombreuses molécules ont été testées dans le traitementpalliatif du CHC. Pour la plupart des traitements non cytotoxiques, lesrésultats initiaux prometteurs n’ont pas été confirmés par les étudesultérieures plus larges et randomisées. Les résultats des chimiothérapiessystémiques sont difficiles à évaluer puisque la plupart des études sont dephase II avec un nombre restreint de patients et que seuls trois essais dephase III sont disponibles.

Les traitementspar chimiothérapie cytotoxique

Ces traitements se heurtent à deux obstacles : 1) unetolérance et une maniabilité médiocre en cas de cirrhose; 2) unerésistance théorique de la cellule hépatique à de nombreux agents dechimiothérapie du fait de la présence de l’expression de produit des gènesMDR-1 (multi-drug resistance-1).

Les anthracyclines (essentiellement la doxorubicine) ont été largement utilisées en monothérapie dans les essais cliniques depuis 1980 selon des schémas variés de 20 à 75 mg/m3. Les taux de réponses sont variables selon les études, mais globalement malgré plus de 1000 patients traités en essais et un taux moyen de réponse de 18% (selon les critères radiologiques et les techniques disponibles dans les années 80), il n’a jamais été montré un bénéfice en survie globale du traitement. Un seul essai randomisé (phase II) a montré un bénéfice en survie au prix cependant d’une toxicité cardiaque majeure (25% de décès liés au traitement).

De multiples agents ont été testés en phase II en monothérapie avec des réponses variant de 0 à 20%, sans confirmation dans des études plus larges parmi lesquels 5FU et dérivés (UFT), sels de platine (Cisplatine, oxaliplatine), taxanes (paclitaxel, docetaxel), inhibiteurs de topo-isomérase (irinotecan, étoposide), gemcitabine…

L’association de chimiothérapie permet d’obtenir en phase II des taux de réponse plus important variant de 8 à 40% (pour l’association épirubicine – VP16). Une seule étude randomisée de phase III a comparé une poly-chimiothérapie associant cisplatine, adriamycine, 5FU et interféron (PIAF) à la doxorubicine sans différence significative de survie globale entre les deux groupes.

Finalement, aucune des études randomisées n’a permis de montrer un bénéfice en survie de ces associations, probablement du fait des effectifs réduits et d’un manque de puissance statistique. Il n’est donc pas possible d’affirmer un quelconque bénéfice de ce type de traitement.

En résumé, bien qu’il existe des taux de réponses objectives notables dans les phases II avec des chimiothérapies conventionnelles, l’utilisation d’agents cytotoxiques dans le CHC ne peut être recommandée en l’absence de données de phase III montrant un bénéfice du traitement sur la survie globale.

Une revue des essais de chimiothérapie dans le CHC peut être obtenue avec les références [27-29].

Les traitementsnon chimiothérapiques

Les résultats initiaux encourageants concernant letamoxifène et l’octréotide ont été infirmés par de larges études randomisées[30, 31]. L’interféron 32, le seo-calcitol ont également fait l’objet d’étudesnégatives.

Il n’est donc pas justifié actuellement d’utiliser ces médicaments même s’il n’est pas exclu que des sous-groupes de malades puissent en bénéficier. Ainsi, l’octréotide pourrait avoir un intérêt si les tumeurs fixent à l’octréo-scanner [33]. L’ensemble des résultats de ces études ne sera pas détaillé dans cette revue [34, 35].

Jusqu’en 2007, aucun traitement spécifique n’était donc recommandé chez ces patients avec CHC avancé.

2007 : les thérapies ciblées
et le sorafenib

L’absence d’efficacité avérée des chimiothérapies conventionnelles a naturellement conduit à évaluer de nouvelles armes qui sont les thérapies ciblées. Ces traitements bloquent, de façon plus ou moins spécifique, des voies de signalisation cellulaires impliquées dans la prolifération des cellules tumorales mais aussi dans l’angiogenèse tumorale. Le développement de ces molécules est concomitant d’un décryptage des voies de signalisation impliquées dans la carcinogenèse hépatique permettant de mieux utiliser ces traitements.

En cas de carcinome hépatocellulaire évolué, donc en situation palliative, de multiples voies de signalisation sont altérées. Il est actuellement illusoire de pouvoir agir sur l’ensemble de ces voies. En conséquence, les traitements visent actuellement les voies considérées comme prépondérantes dans le développement tumoral.

Ces voies et les molécules les ciblant sont indiquées dans les schémas 2 et 3. Il s’agit de :

– la voie des récepteurs tyrosine kinase aux facteurs de croissance;

– la voie wnt-b-caténine;

– l’angiogenèse.

La voie des facteurs de croissance

De nombreux facteurs de croissance sont impliqués dans lacroissance des cellules tumorales, parmi lesquels l’EGF (Epidermal GrowthFactor), l’IGF (Insuline Growth Factor), le PDGF (Platelet Derived Growthfactor) ou l’HGF (hepatocyte growth factor). Schématiquement, la fixation dufacteur de croissance sur le récepteur induit une phosphorylation de résidustyrosine intracellulaire (via une tyrosine kinase) ce qui active des voies de signalisationintracellulaire de prolifération. Ces récepteurs peuvent être bloqués par desanticorps tels que le cetuximab (Erbitux®) ou par des petites moléculesbloquant l’activité tyrosine kinase intracellulaire telles que le gefitinib(Iressa®) ou l’erlotinib (Tarceva®) pour les récepteurs à l’EGF.

La transmission du signal peut également être bloquée en aval du récepteur, en agissant sur les deux principales voies activées :

– la voie Raf – Ras – MAPK peut être bloquée par des inhibiteurs de farnesyl-transférases tels que les statines;

– la voie PI3K – AKT –mTOR peut être bloquée par des dérivés de la rapamycine tels que l’évérolimus ou le temsirolimus.

Les résultats des études cliniques sont résumés dans le tableau I.

Les anticorps (cetuximab) et les inhibiteurs de tyrosinekinase (gefitinib, erlotinib, lapatinib) dirigés contre le récepteur à l’EGFont fait l’objet d’études de phase II dans le CHC. L’interprétation desrésultats est difficile car ces études portent sur un nombre restreint demalades, sélectionnés, avec des fonctions hépatiques en général préservées. Lesréponses objectives, définies classiquement par une diminution de la taille destumeurs, sont rarement observées. Par contre, des stabilisations parfoisprolongées de la maladie sont notées avec des temps à progression variant de 4à 7 mois.

Une étude de phase II randomisée, suggère que la pravastatine prolonge la survie globale des patients avec CHC évolués, ce qui demande à être confirmé.

Les études cliniques avec les dérivés de la rapamycine sont en cours. Ces molécules (temsirolimus, évérolimus) sont des immunosuppresseurs qui pourraient avoir un intérêt particulier chez les patients transplantés pour CHC pour prévenir à la fois le rejet et la récidive tumorale.

La voie wnt-b-caténine

L’accumulation de b-caténine dans la cellule conduit à satranslocation dans le noyau induisant l’activation de gènes stimulant laprolifération et la survie cellulaire. Cette accumulation est liée soit à laliaison de glycoprotéines wnt sur les récepteurs frizzleds à la surface de lacellule, soit, plus fréquemment, à l’existence d’une mutation du gène de lab-caténine. L’activation de la voie b-caténine est fréquente (30% des cas) etimportante dans la carcinogenèse hépatique. De nouveaux agents sont développés(au stade préclinique actuellement) pour cibler cette voie, tels que lePKF-115-854, l’ICG-001 ou des anticorps anti-Wnts.

La voie de l’angiogenèse(Tableau II)

Les CHC sont des tumeurs hyper-vascularisées trèsdépendantes de l’angiogenèse. Plusieurs facteurs de croissance sont impliquésde façon majeure dans l’angiogenèse : le VEGF (Vascular Endothelial GrowthFactor), le FGF (Fibroblast Growth Factor) ou le PDGF. Le VEGF est laprincipale cible des thérapies anti-angiogènes. Le bevacizumab (Avastin®), unanticorps anti-VEGF, a été étudié en phase II dans le CHC avec des résultatsencourageants (12% de réponses objectives, 54% de stabilisation de la maladie)même si le risque d’hémorragie digestive liée à l’hypertension portale estpeut-être accru.

L’association du bevacizumab à des chimiothérapies a été testée en phase II. L’absence de bras contrôle ne permet pas de juger de l’apport respectif de la chimiothérapie et de l’agent anti-angiogène dans ces études (Tableau II).

D’autres molécules sont en phase d’étude clinique précoce : une phase I/ II est en cours avec des inhibiteurs tyrosine-kinase du récepteur au VEGF, le cediranib (AZD2171) (Alberts SR, 2007 Gastrointestinal Cancer Symposium, Orlando, January 19-21, 2007. A186) et le valatinib (PTK787) (Koch I, J Clin Oncol 2005; 23Ab 4134).

Les inhibiteurs multi-cibles de tyrosine kinase (Tableau II)

La difficulté d’utilisation des thérapies ciblées dans leCHC à un stade palliatif résulte du grand nombre de voies de signalisationdérégulées : bloquer de façon spécifique une seule voie ne peut paspermettre de contrôler de façon prolongée de la progression tumorale. Unesolution passe par des associations de thérapies ciblées (telles quel’association d’erlotinib et de bevacizumab) et/ou par l’utilisation demolécules à spectre plus large agissant sur plusieurs voies de signalisationqui sont des inhibitrices multi-cibles de tyrosine-kinases

» Le sorafenib (Nexavar®)

Le sorafenib est un inhibiteur de protéine-kinases avec undouble mécanisme d’action. Cette molécule cible à la fois la cellule tumorale(en inhibant la prolifération cellulaire tumorale par inhibition de la voie ras– MAPK) et l’angiogenèse tumorale (en bloquant le récepteur au VEGF, au PDGF).

Dans un essai phase II ayant évalué le sorafenib chez 137 patients atteints de CHC évolué (Child-Pugh A/B : 72%/28%) une réponse partielle a été constatée chez 2,2% des patients; 33,6% des patients ont eu une maladie stable pendant au moins 4 mois. La durée de survie sans progression a été de 4,2 mois et la survie globale de 9,2 mois. De façon intéressante, le bénéfice semblait plus important chez les patients ayant une activation dans la tumeur de la voie Raf-Ras-MAPK [36].

L’essai international SHARP (Sorafenib HCC Assessment Randomized Protocol) [37] a inclus de mars 2005 à avril 2006, 602 patients randomisés en 2 groupes traités par sorafenib 400 mg 2 fois par jour per os (N=299) ou par placebo (N=303). Le traitement était interrompu en cas de progression tumorale symptomatique ou en cas d’effet indésirable jugé inacceptable. Les malades inclus avaient un CHC évolué, histologiquement (ou cytologiquement) prouvé, étaient OMS 0-2 et Child-Pugh A. Les résultats de cette étude ont été présentés en juin 2007 (ASCO). Les médianes de survie globale (10,7 mois vs 7,9 mois) et de survie sans progression (5,5 mois vs 2,8 mois) étaient significativement allongées chez les malades traités par sorafenib (respectivement P = 0,00058 et 0,000007). Les effets indésirables les plus fréquents ont été : diarrhée (39%), syndrome main-pied (21%), anorexie (14%) et alopécie (14%). Deux effets indésirables grade 3-4 ont été plus fréquents chez les malades sous sorafenib : la diarrhée (8% vs 2%) et le syndrome main-pied (8% vs < 1%).

Une deuxième étude de phase III (selon le même schéma), réalisée en Asie confirme ces résultats. Ceci a conduit à l’obtention d’une AMM dans le traitement palliatif du CHC sur cirrhose en novembre 2007.

Les essais cliniques ayant concerné très majoritairement des patients avec une cirrhose compensée (CHILD A), nous ne disposons pas à ce jour de données sur la tolérance et l’efficacité du sorafenib en cas de cirrhose décompensée CHILD B (et a fortiori CHILD C). Dans ces conditions, les sociétés savantes françaises (FFCD, FNCLCC, AFEF), dans leurs recommandations conjointes, conseillent de n’utiliser le sorafenib qu’en cas de cirrhose CHILD A. L’intérêt du sorafenib en cas de cirrhose CHILD B mérite d’être évalué dans des essais cliniques.

» Le sunitinib (Sutent®)

Cet inhibiteur multicible de tyrosine kinase a fait l’objetde deux phases II encourageantes en traitement palliatif du CHC (Tableau II).La dose optimale (50 mg/j ou 37.5 mg/j) et le rythme doivent être précisés. Eneffet, la dose de 50 mg quotidienne est associée à un pourcentage important de toxicitésde grade 3 ou 4 telles que des perturbations hématologiques, des manifestationshémorragiques et des décompensations hépatiques sévères.

Il est à noter que dans les 2 études, un nombre significatif de nécrose tumorale a été observé. Ceci doit amener à discuter dans les futurs essais de thérapies ciblées, la méthode adéquate de mesure de la réponse tumorale : les critères traditionnels RECIST (évaluation de la taille tumorale) sont clairement inadaptés avec ces traitements qui induisent des ischémies et des nécroses sans modification significative du volume tumoral mesuré sur les examens radiologiques conventionnels. La quantification de la nécrose et sa corrélation à une efficacité clinique seront des paramètres importants à définir dans les futurs essais.

Conclusion

Après des années d’échecs, l’arrivée des thérapies cibléesva modifier la prise en charge palliative des CHC. Le sorafenib est la premièremolécule ayant fait la preuve de son efficacité dans cette indication etdevient le traitement de référence lorsque la tumeur est inaccessible à untraitement locorégional. D’autres thérapies ciblées et des associations detraitement sont et vont être évaluées dès les prochains mois.

En situation palliative, lorsque le traitement locorégional est possible, celui-ci doit être privilégié en première intention. La chimio-embolisation reste le traitement de référence sous réserve d’une sélection adéquate des patients pouvant supporter le traitement. Des innovations (chimio-embolisation avec particules chargées, radiofréquence multipolaire, radiothérapie stéréotaxique…) devront trouver leur place dans les prochaines années.

Ces nouveaux outils thérapeutiques ouvrent une ère nouvelle pour les patients atteints de CHC dont la prise en charge reste extrêmement complexe. Choisir la meilleure stratégie chez ces patients justifie donc plus que jamais une concertation multidisciplinaire spécialisée.

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