Traitement du petit carcinome hépatocellulaire sur cirrhose

Objectifs pédagogiques

  • Quel est le bilan pré-thérapeutique ?
  • Quelles sont les indications de la transplantation ?
  • Quels sont les autres traitements disponibles et leurs indications ?

Le carcinome hépatocellulaire (CHC) est le cinquième cancer le plus fréquent dans le monde, et il représente la troisième cause de décès par cancer. Il est associé à une cirrhose dans 90% des cas. Une étude observationnelle prospective nationale menée par l’ANGH en 2009 a permis d’analyser 1026 patients porteurs d’un CHC, diagnostiqués sur une preuve histologique ou sur les critères radiologiques usuels (1). La consommation excessive d’alcool était la cause de la cirrhose sous-jacente dans 73% des cas, les virus des hépatites B et C représentaient 27% des causes et le syndrome métabolique 18% des causes. Dans cette même étude, le diagnostic du CHC était majoritairement fait au moment d’une complication hépatique dans 44% des cas, et grâce au dépistage systématique par surveillance de la cirrhose dans uniquement 20% des cas. Ce dernier résultat pose problème, puisqu’un dépistage systématique par échographie tous les 6 mois, chez tous les patients porteurs d’une cirrhose, permet de diagnostiquer le CHC à un stade précoce et donc curable (2).
La classification BCLC (Annexe 1), dite de Barcelone, permet de classer les patients porteurs d’un CHC sur cirrhose, en fonction des critères suivants : état général du malade, gravité de la cirrhose selon le score de Child-Pugh, présence d’une hypertension portale significative, critères morphologiques de la tumeur (taille et nombre de nodules) (3). Le terme « petit carcinome hépatocellulaire » regroupe les patients des stades 0 et A, à savoir, stade très précoce et stade précoce. Il s’agit de patients dont la maladie hépatique est compensée, avec un état général parfait, et soit un nodule unique de moins de 2 cm et un score de Child-Pugh A (stade BCLC 0), soit un nodule unique de moins de 5 cm ou 3 nodules tous inférieurs à 3 cm, et un score de Child-Pugh A ou B (stade BCLC A). Pour ces patients, un des 3 traitements curatifs disponibles pourra être proposé : transplantation hépatique, résection chirurgicale, destruction percutanée sous contrôle radiologique. Dans l’étude précédemment citée de l’ANGH, seuls 28% des patients inclus dans cette étude, avaient pu bénéficier d’un de ces 3 traitements curatifs (1).
Nous traiterons donc dans cet exposé, du bilan pré-thérapeutique et des indications des traitements curatifs des petits CHC, tels qu’ils ont été définis ci-dessus.

1) Bilan pré-thérapeutique :

Il faut évidemment s’assurer au préalable qu’il s’agit bien d’un CHC. L’algorithme validé par les sociétés savantes distingue les nodules < ou > à 1centimètre (3). Lorsqu’un nodule > 1centimètre est mis en évidence lors du suivi échographique d’un patient cirrhotique, une IRM ou un scanner hélicoïdal est demandé. La présence d’une hypervascularisation à la phase artérielle et d’un lavage précoce à la phase veineuse lors d’un de ces examens permet d’affirmer le diagnostic de CHC et de débuter le bilan pré-thérapeutique. En l’absence de ces signes, une biopsie sera nécessaire.
La recherche d’une localisation extra-hépatique est la première étape de ce bilan puisqu’elle conditionne la poursuite d’un projet thérapeutique curatif. La scanner thoraco-abdomino-pelvien est l’examen de référence.
L’état général qui conditionne l’opérabilité du patient, est évalué par le score OMS. La gravité de la cirrhose sous-jacente est évaluée par le score de Child-Pugh et le score de MELD (celui-ci combine INR, bilirubine, créatinine; calcul sur www.mdcalc.com). Celui-ci doit être fait chez tous les malades car il est un élément clé si un projet de transplantation hépatique est envisagé. Par ailleurs, l’évaluation de l’hypertension portale est indispensable puisque elle conditionne la possibilité d’une résection chirurgicale (4). On considère qu’une hypertension portale significative est définie par un gradient de pression supérieur à 10mmHg, ce qui signifie une prise de pression par voie invasive transveineuse. Cependant, il peut également être confirmé par la présence de varices œsophagiennes, ou une splénomégalie à l’échographie associée à une thrombopénie inférieure à 100.000/l. Le diagnostic de thrombose portale, soit satellite de la tumeur et qui représente alors une extension macroscopique, soit parce qu’elle complique l’hypertension portale liée à la cirrhose, sera obtenu sur le scanner fait lors du bilan d’extension.

2) Les indications de transplantation hépatique :

La transplantation hépatique (TH) est théoriquement le traitement idéal du CHC sur cirrhose, puisqu’elle va traiter simultanément la tumeur et la maladie hépatique sous-jacente. De plus, sa faisabilité n’est pas affectée par le degré de l’atteinte hépatique sous-jacente. Une conférence de consensus internationale s’est tenue à Zurich en décembre 2010 et ses conclusions sous forme de recommandations ont été publiées en 2012 (5). On peut en retenir les points clés suivants :
La classification BCLC est le meilleur système pour évaluer le pronostic des patients avec CHC. Elle utilise des critères radiologiques, qui par définition précèdent la TH ; on sait que dans environ 20% des cas, l’analyse de la pièce opératoire finale mettra en évidence une sur ou une sous-évaluation de la masse tumorale totale (6). Seule l’analyse histologique de la pièce opératoire permettra d’établir un pronostic après transplantation : la présence d’une micro-invasion vasculaire et de nodules satellite sont les 2 éléments prédictifs de cette récidive post-TH.
La TH doit être réservée aux patients pour lesquels la survie à 5 ans sera identique à celle des patients sans cancer. En conséquence, les critères dits de Milan, qui correspondent aux stades BCLC 0 et A, restent la recommandation internationale permettant aux patients d’accéder à la greffe (7). Dans cette situation, la survie sans récidive à  5 ans est supérieure à 70%.Il semble possible d’aller au-delà des critères de Milan, et notamment en utilisant les critères de San Francisco, à savoir une lésion unique dont le diamètre n’excède pas 6,5cm ou une masse tumorale totale n’excédant pas 8cm, avec la plus grosse lésion ≤ 4.5cm en cas de CHC multifocal (8). L’intérêt du dosage de l’alpha-foetoprotéine apporte des informations pronostiques supplémentaires et cela a d’ailleurs été développé dans le modèle français récemment publié dans Gastroenterology, qui va être utilisé par l’agence de Biomédecine, à partir de l’année 2013, pour organiser les ordres de priorité pour les patients en attente de transplantation (9). Ce modèle comporte 3 variables: le taux d’alpha-foetoprotéine (< 100 ng/mL, entre 100 et 1000 ng/mL, >1000 ng/mL), le diamètre du plus gros nodule, et le nombre de nodules. Il permet d’affiner les critères de Milan. Ainsi, chez des patients avec un CHC en dehors des critères de Milan mais un taux d’alpha-foetoprotéine < 100 ng/mL, le risque de récidive à 5 ans est de 14.4±5.3%. A l’inverse, chez des patients avec un CHC dans les critères de Milan et un taux d’alpha-foetoprotéine  >1000 ng/mL, le risque de récidive à 5 ans est de 37.1±8.9%.
La projection de ces recommandations dans notre pratique clinique nous amène à proposer la stratégie suivante :
En cas de nodule unique de petite taille, et de cirrhose totalement compensée (Child-Pugh A et/ou MELD<12), les alternatives à la transplantation doivent être proposées en première intention, soit résection chirurgicale, soit destruction radiologique per-cutanée. Dans toutes les autres situations de petits CHC et/ou Cirrhose Child-Pugh > A, la transplantation hépatique est proposée en première intention. Il faut intégrer dans cette démarche la durée d’attente sur liste, qui actuellement varie de 6 à 12 mois en France en fonction de la gravité de l’hépatopathie sous-jacente.

3) La résection chirurgicale :

Elle doit être réservée aux patients dont la fonction hépatocellulaire est totalement conservée (Child-A et/ou MELD<12). Il a cependant été démontré que le taux de bilirubine et une hypertension portale cliniquement significative était des facteurs indépendants de mauvais pronostic après résection chirurgicale pour CHC (4). La plupart des équipes restreignent les indications de résection aux tumeurs uniques, car le caractère multifocal est associé à une survie diminuée et une fréquence élevée de récidive. Ceci dit, chez les patients au stade BCLC A qui peuvent présenter jusqu’à 3 nodules, il n’y a pas de contre-indication absolue à la résection, mais une estimation très précise de la masse hépatique restante doit être effectuée avant le geste chirurgical, idéalement par volumétrie hépatique par scanner hépatique avec logiciel adapté. Il est à noter que le risque d’invasion vasculaire augmente avec la taille de la tumeur. En tenant compte de l’ensemble de ces facteurs on estime que seuls 5 à 10% des patients avec CHC pourront bénéficier d’une résection (3).
Grâce à la maitrise des techniques de résection chirurgicale chez les patients cirrhotiques, notamment l’embolisation portale permettant une augmentation de taille du foie non tumoral, la survie à 5 ans s’est nettement améliorée : si l’on considère les principales séries publiées entre 2001 et 2011, la survie à 5 ans varie de 34 à 72% (3,10). Par contre, la survie sans récidive est beaucoup plus faible puisqu’elle ne dépasse dans les meilleures séries 30%. L’analyse histologique de la pièce opératoire conditionne le pronostic. La présence d’une micro-invasion vasculaire, d’une mauvaise différenciation histologique, de nodules satellites, et le caractère multifocal des lésions tumorales sont des facteurs prédictifs de récidive précoce (11). La récidive tardive au-delà des 2 premières années, dépend principalement de l’effet carcinogénique de la maladie sous-jacente (virus C+++). Il n’existe à ce jour aucun traitement néo-adjuvant ou adjuvant, permettant de réduire ce risque de récidive. En cas d’infection virale C avec charge virale positive, il est fortement conseillé chez ces patients à fonction hépatique conservée, de tenter une éradication de l’infection virale après le geste chirurgical pour diminuer le risque de récidive.

4) Destruction tumorale percutanée par voie radiologique :

Ce traitement curatif est utilisé maintenant de façon courante pour tous les patients ayant un petit CHC (12). La radiofréquence est aujourd’hui la technique de choix utilisée en France. Elle permet d’obtenir dans presque 100% des cas une nécrose complète des lésions de moins de 2cm; ce taux diminue pour les lésions de plus grande taille, et quelle que soit la technique utilisée, y compris la radiofréquence multipolaire, la radiofréquence n’est pas recommandée pour des lésions de plus de 5cm de diamètre (13). Certaines contre-indications anatomiques limitent l’utilisation de la radiofréquence, même pour des petites lésions : proximité de vaisseaux sanguins ou de structure biliaire. La survie après 5 ans est proche de celle de la chirurgie, aux alentours de 70%, avec une survie sans récidive aux alentours de 30 à 35%. Il semble que la destruction cutanée par radiofréquence soit le traitement de choix de première intention pour les patients classées BCLC 0, chez lesquels le risque de récidive est le plus faible.

Lorsqu’une résection chirurgicale ou une destruction percutanée d’un CHC sont choisies comme traitement de première intention, le risque est d’observer une récidive précoce en dehors des critères de Milan, ce qui gênerait une transplantation hépatique de seconde intention dite de sauvetage. Tous les patients doivent bénéficier d’une imagerie trimestrielle par scanner ou IRM  pendant la première année, puis quadrimestrielle pendant les deux années qui suivent, puis semestrielle.Certains critères doivent permettre d’éviter cette situation. Une taille du plus gros nodule supérieur à 2cm de diamètre, la présence de micro-invasion vasculaire sur la pièce de résection chirurgicale, une première récidive du CHC dans l’année qui suit le traitement curatif sont des facteurs prédictifs de récidive en dehors des critères de Milan (3). Dans toutes ces situations, une transplantation hépatique devrait être envisagée rapidement afin de ne pas occasionner de perte de chance pour le malade (14).

En conclusion, il faut dépister les petits CHC curables en appliquant strictement la règle de l’échographie semestrielle chez tous les patients cirrhotiques. Tous les dossiers de patients porteurs d’un CHC doivent être discutés dans une RCP. La présence de chirurgiens transplanteurs et de radiologues interventionnels est indispensable afin d’éviter toute perte de chance pour les patients.

Annexe 1 (d’après ref 3)

estruction tumorale percutanée par voie radiologique

Références

  1. Rosa I, Denis J, Renard P, et al. A French multicentric longitudinal descriptive study of hepatocellular carcinoma management (The CHANGH study): preliminary results. J Hepatol 2010; 52: S231, 585.
  2. Trinchet JC, Chaffaut C, Bourcier V, et al. Ultrasonographic surveillance of hepatocellular carcinoma in cirrhosis: a randomized trial comparing 3- ad 6-month periodicities. Hepatology 2011; 54: 1987-97
  3. Forner A, Llovet JM, Bruix J. Hepatocellular carcinoma. Lancet 2012; 379: 1245-55
  4. Llovet JM, Schwartz M, Mazzaferro V. Resection and liver transplantation for hepatocellular carcinoma. Semin Liver Dis 2005; 25: 181-200
  5. Clavien PA, Lesurtel M, Bossuyt PMM, et al. Recommendations for liver transplantation for hepatocellular carcinoma: an international consensus conference report. Lancet Oncol 2012; 13: e11-22
  6. Freeman RB, Mithoefer A, Ruthazer R, et al. Optimizing staging for hepatocellular carcinoma before liver transplantation: a retrospective analysis of the UNOS/OPTN database. Liver Transpl 2006; 12: 1504-11
  7. Mazzaferro V, Regalia E, Doci R, et al. Liver transplantation for the treatment of small hepatocellular carcinoma in patients with cirrhosis. N Engl J Med 1996; 334: 693-9
  8. Yao FY, Ferrell L, Bass NM, et al. Liver transplantation for hepatocellular carcinoma: expansion of the tumor size limits does not adversely impact survival. Hepatology 2001; 33: 1394-403
  9. Duvoux C, Roudot-Thoraval F, Decaens T, et al. Liver transplantation for hepatocellular carcinoma: a model including alpha fetoprotein improves the performance of Milan criteria. Gastroenterology 2012; 143: 986-94
  10. Jarnagin WR. Management of small hepatocellular carcinoma: a review of transplantation, resection, and ablation. Ann Surg Oncol 2010; 17: 1226-33
  11. Imamura H, Matsuyama Y, Tanaka E, et al. Risk factors contributing to early and late phase intrahepatic recurrence of hepatocellular carcinoma after hepatectomy. J Hepatol 2003; 38: 200-7
  12. Lencioni R. Loco-regional treatment of hepatocellular carcinoma. Hepatology 2010; 52: 762-73
  13. Chi YK, Kim JK, Kim MY, et al. Systematic review of randomized trials for hepatocellular carcinoma treated with percutaneous ablation therapies. Hepatology 2009; 49: 453-9
  14. Fuks D, Dokmak S, Paradis V, et al. Benefit of initial resction of hepatocellular carcinoma followed by transplantation in case of recurrence; an intention-to-treat analysis. Hepatology 2012; 55: 132-40

Les points forts

  • La classification de Barcelone (stade BCLC), fait référence pour décider du traitement du petit carcinome hépatocellulaire sur cirrhose.
  • Les nodules uniques compliquant une cirrhose compensée (stade BCLC 0) doivent être préférentiellement traités par résection chirurgicale ou destruction percutanée.
  • Après transplantation hépatique chez des patients BCLC A, la survie à 5 ans sans récidive est supérieure à 70%.
  • Le taux d’alpha-foetoprotéine couplé aux caractéristiques morphologiques de la tumeur permet d’affiner les critères de sélection pour la transplantation hépatique.